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Au Mali, la dérive solitaire du président IBK
Publié le samedi 25 juillet 2020  |  liberation . fr
Mission
© aBamako.com par AS
Mission des Chefs d`Etat de la CEDEAO à Bamako
Bamako, Le 23 juillet 2020. Les chefs d`Etats de la CEDEAO venus à Bamako dans le cadre de la médiation de la crise malienne, ont rencontré les différents acteurs de la crise.
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Le chef de l'Etat malien, qui fait face à un mouvement de contestation intransigeant, est fragilisé. Les médiateurs de la Cédéao, en visite à Bamako, jeudi, sont repartis sans avoir rapproché les deux camps.

Un à un, jeudi soir, les chefs d’Etat nigérien, sénégalais, ivoirien, nigérian et ghanéen sont remontés dans leur avion et ont quitté Bamako. A chacun, Ibrahim Boubacar Keïta a fait un signe d’au revoir de la main, restant seul sur le tarmac. Le président du Mali, aux prises avec un mouvement de contestation qui ébranle la capitale depuis un mois, apparaît plus que jamais abandonné après le départ de la délégation de la Cédéao. Leur médiation, comme celle de l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan, cinq jours plus tôt, semble avoir échoué.

«IBK», 75 ans, était pourtant prêt à faire beaucoup de concessions pour conserver l’essentiel : son fauteuil. Former un «gouvernement consensuel d’union nationale», c’est-à-dire distribuer des postes à ses opposants ; repêcher les 31 candidats aux législatives des 29 mars et 19 avril, écartés par la Cour constitutionnelle ; et même dissoudre cette juridiction controversée. Mais en face, le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), coalition hétéroclite de partis d’opposition, d’organisations anticorruption et de militants nationalistes ou anti-impérialistes, a sèchement refusé le plan de sortie de crise tracé par les médiateurs de la Cédéao.

Mine sombre
A l’issue de la réunion avec les chefs d’Etat, l’imam Mahmoud Dicko, autorité morale et figure tutélaire du M5-RFP, avait la mine sombre des mauvais jours. «Rien n’a bougé pour le moment, a-t-il déclaré, le visage fermé. Si vraiment c’est à cause de cela qu’ils se sont réunis, je pense que rien n’a été fait […] Nous sommes un peuple debout, nous ne sommes pas un peuple soumis ou résigné. Je préfère mourir en martyr que de mourir en traître. Les jeunes gens qui ont perdu la vie ne l’ont pas perdue pour rien.»

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La crise politique malienne a basculé dans une nouvelle dimension le 10 juillet. Ce jour-là, la troisième manifestation organisée par le M5-RFP dégénère : à l’appel de plusieurs leaders du mouvement, des barricades se dressent dans les rues de Bamako, l’Assemblée nationale est caillassée et pillée. La police répond à balles réelles. Le lendemain, des membres d’une unité antiterroriste (Forsat) tirent sur des manifestants dans le quartier de Badalabougou, près du domicile de l’imam, et arrêtent des responsables de la contestation. Bilan de trois jours de troubles : onze morts, selon le Premier ministre Boubou Cissé, 23 d’après le M5-RFP. La donne a changé, jamais la capitale malienne n’avait connu de tels affrontements avec des civils depuis le renversement du dictateur Moussa Traoré, en 1991.

IBK sait qu’il ne peut plus rester politiquement immobile. Il invite l’imam Dicko au palais de Koulouba, tend la main aux chefs politiques du mouvement – dont certains sont ses anciens ministres –, promet de rétablir dans leurs droits les députés retoqués par la Cour constitutionnelle. Son fils, Karim Keïta, honni par les manifestants, démissionne de son poste de président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Trop peu, trop tard. «Il a tenté de faire des concessions par étapes, en lâchant petit à petit, résume un parlementaire de la majorité. Mais les négociations n’aboutiront pas s’il ne fait pas de concessions majeures. La seule solution envisageable, désormais, c’est la dissolution de l’Assemblée nationale, un mécanisme prévu par la Constitution.»

Traits tirés
Le président malien est de plus en plus esseulé. «Beaucoup de gens de son camp sont en train de le lâcher, affirme Boubacar Ba, à la tête du Centre d’analyse stratégique sur la gouvernance et la sécurité au Sahel. Il semble en déphasage croissant avec son pays.» Le 11 juin, IBK fait annuler le «meeting de soutien aux institutions de la République». Même son vieux rival Soumaïla Cissé, le chef de l’opposition malienne, kidnappé par les jihadistes pendant la campagne électorale, lui manque. Avec le modéré surnommé «Soumi», le dialogue aurait été possible, pense certainement IBK. Mais sa libération, plusieurs fois présentée comme imminente, ne survient toujours pas. Autre épine dans le pied présidentiel. A chaque nouvelle apparition publique, le chef de l’Etat, apparaît les traits tirés sous son bonnet blanc.

Lundi, un sommet extraordinaire de la Cédéao consacré à la situation malienne doit se tenir par visioconférence. «A l’issue de ce sommet, je pense que la Cédéao prendra des mesures fortes pour accompagner le Mali», a dit son président en exercice, le chef de l’Etat nigérien Mahamadou Issoufou, en soulignant qu’il n’était pas question de «faire partir le président IBK alors qu’il a été démocratiquement élu» – une «ligne rouge» pour l’organisation régionale. En attendant, dans un souci d’apaisement, le M5-RFP a accepté une trêve de dix jours, renonçant à organiser des manifestations jusque 48 heures après la grande fête de Tabaski (l’Aïd el-Kebir), soit le 2 août.

«Partage du gâteau»
Ce répit peut-il être mis à profit pour débloquer la situation ? «Il y a certainement des gens, à l’intérieur du M5-RFP, qui seraient prêts à accepter un compromis politique. Mais ce n’est pas ce que la rue demande : c’est ce qui rend la position du mouvement si complexe, explique Mirjam Tjassing, directrice régionale de l’Institut néerlandais pour la démocratie multipartite. La question est de savoir si ce compromis politique suffira par rapport au changement réclamé.» Jusqu’à présent, les discussions ont porté sur le «partage du gâteau» politique malien, pas sur les problèmes de fond – justice, corruption, pauvreté, sécurité, conflits intercommunautaires – qui alimentent la colère populaire.

«Il faut un signal fort sur la gouvernance, l’essentiel est de rétablir la confiance avec la population, poursuit l’experte. Or celle-ci est tellement abîmée que le Mali ne peut pas gâcher une nouvelle opportunité.» En parrainant un futur accord, l’imam Mahmoud Dicko, qui s’est toujours tenu en dehors de la sphère gouvernementale, pourrait être le garant de cette confiance retrouvée. «Il est suffisamment écouté pour imposer un deal politique assorti d’un engagement fort sur la bonne gouvernance, estime Mirjam Tjassing. Mais il a aussi beaucoup à perdre en cas d’échec.»

Pour la communauté internationale, il y a désormais urgence. Le Mali ne peut pas se permettre une instabilité prolongée alors que le pays reste l’épicentre de l’insurrection jihadiste au Sahel, chaque année plus meurtrière. Mardi encore, deux gendarmes maliens ont été assassinés dans la ville de Gao. Jeudi, un soldat français a été tué dans la région de Gossi lorsque «son engin blindé a sauté au contact d’un véhicule suicide chargé d’explosifs», a indiqué la ministre des Armées, Florence Parly, dans un communiqué.

Célian Macé
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