Le chef de l’Etat du Sénégal travaillera, à Bamako, au sein d’une escouade de Présidents ouest-africains. Une démarche collégiale qui noie le Sénégal dans une mission de médiation à caractère communautaire (CEDEAO), là où une initiative hardie, personnelle et rapide du Président Macky Sall aurait assurément revivifié puis parfaitement fécondé l’exceptionnelle relation bilatérale, dans l’optique d’une stabilisation hautement utile pour le Mali et pour les Etats de la sous-région.
Davantage que tous les quatorze autres membres de la CEDEAO, le Sénégal dispose d’un substantiel stock d’arguments politico-historiques et d’impératifs géostratégiques totalement imparables et impressionnants pour jouer un rôle moteur et pacificateur chez le voisin de l’Est qui est, à la fois, un « autre et même pays » pour les Sénégalais.
En effet, l’histoire, la géographie et même la religion se sont embrassées et entrelacées pour faire le lit d’une fusion passée, présente et future de deux pays exceptionnellement soudés. Un chapelet de souvenirs, une myriade de personnages célèbres et un catalogue de quelques temps forts de la vie des deux peuples en rendent bien compte.
Le Sénégal et le Mali ne sont-ils pas les deux rares voire seuls pays au monde qui partagent la même devise : un peuple, un but et une foi ? Deux anciennes colonies françaises (Sénégal et Soudan) qui ont acquis une indépendance commune dans un cadre librement fédéral. Une posture anti-balkanisation qui, en 1960, montra concrètement le chemin de l’unité au reste du continent africain, en favorisant une imbrication voire une osmose institutionnelle rarement égalée : gouvernement fédéral, parlement fédéral et armée fédérale.
Cette prouesse politique est rendue possible par l’existence de quelques creusets formateurs et par l’émergence d’hommes de valeur dans les deux pays. En effet, l’Ecole normale William Ponty a été un moule commun qui a façonné et mixé de grandes figures comme Modibo Keita, Mamadou Dia, Fily Dabo Cissokho et autre Mamadou Konaté. En outre, le hasard des naissances a fait de Maitre Lamine Guèye : un originaire de Saint-Louis et un natif de Kayes. Car il est né – de parents sénégalais – à Médine, non loin de Kayes.
Le même mélange est historiquement observé dans l’institution militaire. Le Général Abdoulaye Soumaré a été successivement chef d’Etat-major de l’armée fédérale (l’armée sénégalaise incluse) puis créateur de l’armée actuelle du Mali, après l’éclatement de la Fédération, en août 1960. Pour la petite histoire, l’ex-Président ATT est issu de la « Promotion Général Abdoulaye Soumaré » de l’EMIA de Kati. Dans le même ordre d’idées, rappelons que le premier contingent onusien comprenant des « casques bleus » sénégalais, dans l’ancien Congo belge, était commandé par le Colonel Claude Mademba Sy, issu de la grande famille du Fama de Sansanding. Ces deux adjoints chargés des opérations sur le terrain étaient le Capitaine Soya Cissokho du Sénégal et Balla Koné du Soudan. Enfin, combien d’officiers des Douanes sénégalaises savent que leur premier directeur, en juin 1960, était le Malien Sambala Cissokho ?
Au plan religieux, les deux pays ont fonctionné comme deux vases communicants. La tribu maraboutique des Kounta, à cheval sur la Mauritanie et le Mali, ainsi que les familles chérifiennes de Banghère, en Casamance, ont de solides attaches maliennes. Quant au Vénéré Seydou Nourou Tall, il est hautement emblématique d’une présence religieuse largement partagée entre les deux pays. Les Hamallistes de Nioro du Sahel ont, eux aussi, de nombreux adeptes au Sénégal dont la symbolique et érudite figure reste Cheikh Tahirou Doucouré, ancien Secrétaire d’Etat dans un des gouvernements du Président Senghor. Justement, l’un de nos premiers ambassadeurs à Paris, son Excellence Gabriel D’Arboussier, un métis franco-malien de Mopti, a été parrainé par son oncle Seydou Nourou puis nommé par le Président Léopold Sédar Senghor.
Cependant, c’est le chapitre géopolitique ou géostratégique qui légitime une vigoureuse implication du Sénégal. Aujourd’hui, le Président IBK et son armée famélique ne contrôlent que 20% de l’immense territoire. Si l’Etat branlant s’écroule à Bamako, ce sera le boulevard pour les djihadistes, jusqu’à la Falémé. La sécurité du Barrage de Manantali – source d’énergie hydroélectrique du Sénégal – sera mise en équation. Et dans la foulée d’une « somalisation » galopante du Mali, la très peuplée région de Kayes se déversera littéralement dans celle de Tambacounda. Bref, c’est le fardeau de millions de réfugiés que se coltinera le Sénégal, dans un difficile contexte post-COVID 19. L’autre péril infiniment plus subversif pour l’Etat sénégalais, est le grand nombre de djihadistes de multiples nationalités sur le sol du Mali. D’un point de vue prospectif, le chaos malien enverra des islamistes venus de La Tchétchénie, jusqu’aux abords de Bakel. Voilà qui donne un sens stratégique à l’implantation d’un camp militaire à Bakel.
L’inventaire ci-dessus des arguments, des intérêts et des impératifs du Sénégal rend très regrettable le retard à l’allumage de la diplomatie sénégalaise sur la crise malienne ; nonobstant la souveraineté réelle de ce pays voisin avec lequel nous avons été précisément en co-souveraineté. Mieux, une rapide enquête d’ambiance par téléphone dans les milieux médiatiques de Bamako met en exergue un préjugé favorable dont bénéficient le Président Macky du Sénégal et son homologue Nana Akufo-Addo du Ghana. En revanche, un fragment de l’opinion publique bamakoise cultive la méfiance vis-à-vis de l’Ivoirien Alassane Ouattara qui, aux yeux de l’homme de la rue, n’a pas clairement mis une croix sur un troisième mandat après le décès du candidat Gon Coulibaly. Quant au Président Issoufou du Niger, le crépuscule constitutionnel de son régime dévalue d’avance ses faits et gestes dans la capitale malienne