Les anciennes pratiques n’ont jamais été trop loin de la surface L’approche actuelle de la France au Sahel implique toujours des pratiques qui rappellent son «ancien unilatéralisme», et supposer que le pays adhérerait pleinement aux principes du «multilatéralisme» dans la région est «peu réaliste», relève une récente analyse publiée par le média en ligne australien, ‘‘The Conversation’’.
L’analyse, co-signée par Tony Chafer de l’université de Portsmouth et de Gordon D. Cumming de l’université de Cardiff du Royaume-Uni, tente de déceler la réalité des interventions actuelles de la France au Sahel présentées comme «une nouvelle forme d’intervention plus multilatérale». En cherchant à comprendre dans quelle mesure l’implication de la France au Sahel peut être considérée comme multilatérale, les deux universitaires ont présenté quelques facettes de la «vieille» approche du pays qui se considère traditionnellement comme le «gendarme de l’Afrique» autoproclamé.
Au cours des premières décennies postcoloniales, la France est intervenue militairement sur le continent au moins 30 fois, rappellent les auteurs. Jusque dans les années 1990, les interventions militaires françaises étaient pour la plupart «unilatérales et accompagnées d’une pratique d’auto-légitimation». En d’autres termes, la France décide seule de la mission de ses opérations, qui se déroulent presque toujours à l’intérieur des frontières d’Etats africains souverains. La fin de la guerre froide et le rôle de la France au Rwanda ont marqué un tournant majeur pour la politique militaire française en Afrique. En conséquence, la France est passée d’une politique d’intervention unilatérale à une approche multilatérale. Cela s’expliquait en partie par «la nécessité de partager les risques politiques de l’intervention» suite à la critique internationale du rôle de l’armée française au Rwanda. Mais elle était aussi en partie motivée par des considérations de ressources. La France devait donc partager le fardeau financier, expliquent les auteurs. Vingt ans après le génocide au Rwanda, la France réalise que les interventions doivent être mandatées par des instances internationales telles que le Conseil de sécurité de l’ONU. Et que, dans l’idéal, il devrait également y avoir l’approbation d’organismes régionaux tels que l’Union européenne ou la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Les anciennes pratiques n’ont jamais été trop loin de la surface
La nouvelle approche de la France continue d’attirer le soutien. Pourtant, l’interventionnisme unilatéral de style ancien «n’a jamais été trop loin de la surface», selon les universitaires qui donnent pour exemple les actions françaises en Côte d’Ivoire entre 1999 et 2011.
Et aujourd’hui: la France est incontestablement l’acteur pivot au sein de l’assemblage des intervenants extérieurs au Sahel. Son opération Barkhane implique le déploiement de plus de 5.000 soldats pour lutter contre le terrorisme dans cinq pays du Sahel occidental —Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad— et dans le bassin du lac Tchad. Les nouveaux éléments s’inscrivent aussi dans le cadre des efforts pour obtenir l’approbation internationale, l’approche interrégionale et l’accent mis sur la création de coalitions. Au sein de cette coalition, chaque acteur a adopté un rôle primordial. L’opération française Barkhane se concentre sur des opérations antiterroristes actives et sur le terrain. Pour sa part, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) soutient les processus politiques et la réconciliation. Et la mission de formation de l’Union européenne au Mali et la mission de renforcement des capacités de l’Union européenne au Sahel-Mali se concentrent sur la formation de l’armée malienne et la réforme du secteur de la sécurité du pays. Enfin, la force conjointe du G5 Sahel mène des opérations de lutte contre le terrorisme en coopération avec les forces françaises. Les interventions n’ont pas toujours reçu l’autorisation préalable de l’ONU.
En fin de compte, les auteurs ont conclu qu’ «il n’était peut-être jamais réaliste de supposer que la France adhérerait pleinement aux principes du nouvel interventionnisme. Même la menace d’un retrait américain, les attaques incessantes des extrémistes et la menace du Covid-19 pourraient ne pas suffire à faire de la France autre chose qu’un multilatéraliste réticent».