Le dernier volet de la trilogie de l’écrivain malien, Mohamed Diarra, intitulé “Meurtre sous le pont des indigents” est un roman plein de suspens et de rebondissements. Il plonge le lecteur dans l’enfer des crimes rituels commandités par des hommes politiques assoiffés de pouvoir. Le polar de 96 pages, paru en 2019 chez L’Harmattan, interpelle également sur les conséquences de la polygamie au Mali.
A l’instar des deux premiers volets de sa trilogie romanesque, à savoir Le mystère du tournant (L’Harmattan 2015) et La fille adoptive du Cherif (L’Harmattan 2016), l’écrivain malien, Mohamed Diarra, nous fait vivre une aventure policière aussi passionnante que tragique, inspirée des réalités de la société malienne, voire africaine. Dans Meurtre sous le pont des indigents, le personnage du commissaire Cègèlen (mot Bambara qui signifié homme tenace) et son équipe d’enquêteurs tenteront d’élucider des affaires délicates liées à des crimes rituels.
Informés de la présence d’un macchabée sous un pont, les policiers arrivent sur les lieux du crime et découvrent le corps sans vie d’une femme. La victime a été sauvagement assassinée, la main droite sectionnée au niveau du poignet. Très peu d’indices laissent voir le mobile et l’identité du ou des meurtrier (s). Un mystère que le très respecté Commissaire Cègèlen (héros principal de la trilogie) et son équipe du 20e arrondissement tenteront d’élucider tout au long de ce polar, écrit dans un langage simple et accessible, même pour le lecteur le moins disposé, avec une grande maitrise de la langue de Molière.
Meurtre sous le pont des indigents qui pourrait s’intituler aussi La folle du pont est un roman plein de suspens et de rebondissements. Il emporte le lecteur dans une aventure digne d’un film policier. La victime s’appelle Chata, une femme de 45 ans, mère d’une fille et d’un garçon. Devenue folle, Chata avait quitté le domicile conjugal et pris ses quartiers sous le pont des indigents où elle s’est fait assassinée. Cette démence et l’assassinat de Chata nous renvoient à un autre mal dont les conséquences font des ravages dans la société malienne : la polygamie.
L’irresponsabilité du polygame
En effet, Chata a été victime d’injustice de la part son époux Elias, un ouvrier métallique. En épousant une deuxième épouse, Elias change de comportement. Chata est maltraitée tant par son époux que par sa coépouse. Elle est injuriée, humiliée, boudée sur le lit conjugal et même battue. L’irresponsabilité des maris polygames n’est pas un phénomène rare dans la société malienne, majoritairement musulmane. L’islam autorise aux hommes d’épouser jusqu’à quatre femmes, à condition d’être justes et équitables envers leurs épouses. Cette recommandation est foulée au pied dans notre société. La folie de Chata qui a conduit à sa mort est imputable à l’irresponsabilité de son mari polygame.
Dans ce dernier livre de sa trilogie, Mohamed Diarra pointe également du doigt l’irresponsabilité parentale. Le père de Chata refuse de tendre l’oreille aux suppliques de sa fille en détresse. Informé des premiers signes de démence de Chata, il va jusqu’à soutenir que cette dernière simule la folie pour fuir le domicile conjugal. Chata est rejetée par son époux et son père, deux hommes qui sont pourtant censés la protéger.
A la mémoire des victimes des crimes rituels
Pendant que les limiers du 20e arrondissement, conduits par le commissaire Cègèlen, essayent de faire la lumière sur le mystère de la mort de Chata, un jeune écolier est amputé d’une main. Ces deux crimes ont-ils un lien ? Les limiers ont intérêt à le découvrir car la pression de la presse et de la population s’accentue. L’opinion publique est toujours en attente de résultats de l’enquête, d’autant plus que la première enquête n’a rien donné de concret. Le crime devenant monnaie courante et l’insécurité gagnant du terrain, des questions taraudent tous les esprits : pourquoi ces crimes ?
A l’inverse des premiers livres de la trilogie, dans lesquels les crimes sont passionnels, Meurtre sous le pont des indigents nous plonge dans les crimes rituels commandités par des hommes politiques à la recherche du pouvoir, en complicité avec des charlatans qui demandent des organes humains à des fins sacrificielles.
En lisant Meurtre sous le pont des indigents on ne peut s’empêcher de penser à l’assassinat de la petite albinos, Ramata, à Fana, ville située à une centaine de kilomètres de la capitale Bamako. C’était en 2018, un 13 mai, à l’approche des élections présidentielles. Le lien était vite fait entre les deux évènements. Cette histoire avait choqué et indigné plus d’un Malien. Ce n’est donc pas surprenant que l’auteur dédie cet ouvrage à la mémoire de la petite Ramata et à toutes les victimes des crimes rituels. Le polar est un genre romanesque assez rare au Mali. Toutefois, Mohamed Diarra s’affiche aujourd’hui comme le digne héritier de Modibo Sounkalo Keita auteur de L’Archer bassari (1984), surement le premier roman policier de la littérature malienne et de Moussa Konaté, auteur de plusieurs polars dont L’assassin de Banconi, suivi de l’honneur des Keita (Gallimard, 2002). Désigné meilleur manuscrit en 2015, Meurtre sous le pont des indigents est le lauréat du Prix Massa Makan Diabaté de la Rentrée littéraire du Mali en 2019.