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3e mandat d’Alassane Ouattara – La lettre ouverte du journaliste écrivain ivoirien : « Monsieur le président, vous souffrez de la fascination du chaos. »
Publié le lundi 10 aout 2020  |  Le Républicain
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Suite à la déclaration d’Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire, annonçant sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre prochain, pour un troisième mandat, nous publions cette lettre ouverte de MINGA S. Siddick, journaliste-écrivain ivoirien résidant à Bamako au Mali.
Excellence M. le président de la République de Côte d’Ivoire, mon président,

Depuis la mort du premier ministre Amadou Gon Coulibaly, j’ai vu le ballet d’Ivoiriens qui allaient chez vous pour vous demander de vous dédire et de transgresser. J’ai entendu les louanges à vous adressés par ces Ivoiriens et d’autres, pour vous inviter au péché, à la disgrâce. Je n’en croyais ni mes yeux, ni mes oreilles. Et j’attendais votre réponse.

Quand, au journal de 20 heures du jeudi 06 août 2020, je vous ai écouté, je n’ai pas seulement eu honte d’être Ivoirien. J’ai eu mal au cœur et j’ai eu peur pour mon pays. J’ai eu du dégoût pour vous. J’ai eu la nausée. Parce que j’ai finalement compris ce que je refusais d’admettre depuis des semaines. Or donc mon dernier cauchemar était une prémonition !

Le chef d’un village, invité à promettre à ses administrés qu’il était déterminé à céder son trône pour rassurer tout le monde, est venu faire une annonce solennelle fort applaudie, même par ses ennemis, en promettant effectivement de partir à la fin de son règne. Pour donner à son engagement tous les contours de la réalité, il devait désigner son successeur. Il réfléchit. Puis il porta son choix sur un jeune du village. Mais un jeune pas comme les autres, car il était malade et le sorcier du canton avait expliqué au chef que ce jeune mourrait avant la date prévue pour son intronisation. Ainsi, le chef attendait impatiemment la mort de son supposé successeur, pour trouver un argument qui justifie son maintien sur le trône. Puis le successeur désigné mourut. Le chef feignit le grand deuil mais jubilait intérieurement et avec ses sombres acolytes. A quelques jours de l’intronisation, le chef profita de la fête des générations pour faire l’annonce fatale : « Vu que le jeune que j’avais choisi pour me succéder a été rappelé à Dieu, et compte tenu du fait qu’aucun autre jeune du village n’est prêt pour la relève à cause de la date toute proche, vu que beaucoup de dangers guettent notre village et que sans moi, tous nos acquis risquent d’être détruits, je me vois dans l’obligation de rester encore sur le trône, par amour pour vous et gare à qui s’opposera à la voix de ma Raison ! » Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. De nombreux fils du village se levèrent pour protester violemment et le village s’enflamma…

Son excellence M. le président de la République de Côte d’Ivoire, ce cauchemar-là, j’aurais tellement voulu qu’il ne se réalisât jamais ! J’aurais tellement voulu qu’il ne restât que simple vapeur onirique liée à mes propres distorsions mentales ! Hélas !

Mais, dites-moi Monsieur le président, pourquoi donc refusez-vous d’entrer dans l’histoire par la grande porte ? Mais pourquoi donc méprisez-vous tant l’Afrique ? Mais pourquoi donc aimez-vous tant prêter le flanc aux injures, à la défiance, à la révolte, à la violence ? Combien de morts voulez-vous ajouter aux 3 000 de 2011 ?

Non, mon cher président, nous ne sommes pas idiots au point de croire qu’en dehors d’Amadou Gon Coulibaly, il n’existe plus aucun jeune cadre présidentiable au sein du RHDP. Nous ne sommes pas assez bêtes pour gober votre incapacité à avoir un plan B pour votre succession, sachant bien que votre choix était un grand malade. L’argument de la Constitution qui vous autorise un troisième mandat est trop facile et n’impressionne que vos suiveurs qui sont prêts à tout pour vous défendre et par ricochet, défendre leurs petits ou grands intérêts. L’argument du temps avancé pour justifier l’impossibilité d’une autre candidature est si maladroit, si grossier, si grotesque qu’on ne peut accepter qu’il vient de vous, vous que, personnellement, je croyais très intelligent.

Monsieur le président,

Vous avez donc voulu faire comme tous ces autres présidents africains qui ont piétiné et bafoué leurs peuples, tué ou emprisonné leurs contradicteurs. Vous avez donc voulu inspirer un nouveau rêve de dictature à d’autres gros corps malades du voisinage. Alpha Condé a déjà sauté sur votre annonce du 3e mandat pour laisser deviner son intention.

Oh, j’étais loin, très loin de vous imaginer capable de vous renier vous-même ; loin, très loin de vous imaginer capable d’insulter ainsi l’intelligence de la Côte d’Ivoire, notre intelligence, de la plus horrible des manières.

Monsieur le président,

Vous voulez nous faire croire que vous étiez prêt à quitter le pouvoir mais que la mort de l’autre vous a fait changer d’avis pour sauver la Côte d’Ivoire d’une certaine apocalypse ? Vous voulez nous faire accepter que sans vous la Côte d’Ivoire va sombrer dans le chaos ? Ce chaos qui vous suit depuis si longtemps et qui risque de vous emporter, malheureusement, de la pire des façons. Moi qui pendant longtemps vous prenais pour une victime de l’ivoirité et qui avais beaucoup d’admiration pour vous jusqu’à ce que l’ethnicisation à outrance du pouvoir devînt une de vos normes de gouvernance. N’empêche, j’appréciais bien le travail que vous faisiez pour faire d’Abidjan une vitrine impressionnante en Afrique. Vous avez construit une Côte d’Ivoire nouvelle qui fait pâlir d’envie mais que vous ne voulez pas laisser à la postérité. Par égoïsme. Par méchanceté. Parce que vous aussi, vous rêvez d’éternité au pouvoir. Parce que vous aussi, vous souffrez de la fascination du chaos et de la maladie de la déité. Mais sachez, ô Messie, que vos propos d’intimidation vous desservent plus qu’ils ne vous glorifient.

Monsieur le président,

Espérant que vous reviendrez sur vos derniers propos pour finir en beauté vos deux mandats, je vous redis tout mon dégoût pour vous, pour m’avoir ôté toute fierté d’être Ivoirien aujourd’hui.

Je sais bien que je ne suis rien pour perturber le rythme du concert endiablé des hiboux de votre Cour, mais j’aurai dit mon mot pour la postérité ; j’aurai contribué à alerter, avec d’autres voix et d’autres plumes, l’opinion internationale, pour ne pas applaudir par le silence le lit de la chienlit que vous préparez en Côte d’Ivoire.

Vous pouvez toujours rectifier le tir, pour sauver la Côte d’Ivoire que vous dites tant aimer. Il n’est jamais trop tard pour être sage. Réfléchissez-y !

MINGA S. Siddick

Journaliste-écrivain, Bamako-Mali

minga.siddick@outlook.com
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