Que se passe-t-il réellement dans le contentieux qui oppose la Banque malienne de solidarité (Bms) à la Société ivoirienne de concept et de gestion (Sicg) ? Actuellement, la Sicg se prévaut de l’Arrêt n°259/2020 du 16 juillet 2020 de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) pour réclamer à la Banque malienne de solidarité le paiement de 16 007 365 960 Fcfa. Mais, de son côté, la Bms-sa se prévaut d’un Arrêt du 4 juin 2020 de la Cour d’appel du Mali confirmant un jugement de compensation, suite auquel toutes les procédures judicaires devaient être totalement radiées des rôles des juridictions.
Suite à l’Arrêt n°259/2020 du 16 juillet 2020 de la Ccja déclarant irrecevable le recours en tierce opposition déposé par la Banque malienne de solidarité à travers le ministère de l’Economie et des finances, la Société ivoirienne de concept et de gestion (Sicg) veut faire exécuter une condamnation prononcée par la Ccja par un arrêt précédent, notamment celui n° 143/2019/PC du 19 mai 2019, ayant fait l’objet d’un recours de l’Etat du Mali à travers le ministère de l’Economie et des finances. Mais apparemment, ce n’est pas la fin d’un procès plein de rebondissements, pour devenir finalement un long feuilleton judiciaire dont les épisodes se succèdent sans se ressembler, au point que l’on s’y perde pour se demander, à vrai dire, si ça ne tourne pas à un vaudeville judiciaire.
Les origines du conflit
Ce contentieux, la Banque malienne de solidarité l’a hérité de l’ex-Banque de l’Habitat du Mali, suite à la fusion-absorption entre les deux établissements bancaires.
Il faut comprendre que, courant 2000, la société Sicg- Mali-sarl, filiale de la Société ivoirienne de concept et de gestion (Sicg), représentée par Monsieur Saïdi Mohamed Jamal, son Président-directeur général, avait approché l’ex-Banque de l’Habitat (Bhm-sa), par l’intermédiaire de la Mairie du district de Bamako, pour la réalisation d’un projet de super marché dénommé “Les Halles de Bamako”. Ce projet devait être réalisé au moyen du produit de la vente sur plan des espaces commerciaux, sans sollicitation de la Bhm-sa.
Ainsi, les pourparlers engagés sur ce schéma entre les différents intervenants, notamment la Mairie du District, la Sicg-Mali-sarl et la Bhm-sa) avaient abouti à la signature d’une convention cadre de partenariat, le 06 Novembre 2000. Convention selon laquelle la Sicg-Mali s’engageait à ouvrir un compte de Dépôt à Terme (DAT) et un compte courant dans les livres de la Bhm-sa. Le solde de ce DAT devrait renforcer la garantie des facilités de caisses que la Bhm-sa pourrait être amenée à accorder à la Sicg- Mali dans le cadre du compte courant.
Rappelons que le seul apport financier effectué par la Sicg-Mali dans la réalisation de ce projet s’est limité à 200 millions de Fcfa. Et en juin 2004, la Sicg- Mali-sarl a signé une reconnaissance de dette en la forme notariée pour un montant de 7, 5 milliards Fcfa au titre exclusif du projet “Halles de Bamako” en faveur de la Bhm-sa, assortie d’une hypothèque de premier rang sur les droits réels résultant du bail à construction sur le titre foncier N° 22 227 (abritant le marché des Halles) de la Mairie du District.
Par ailleurs, Monsieur Saïdi Mohamed Jamal, es-qualité, avait sollicité et obtenu l’ouverture d’un nouveau compte au nom d’une nouvelle société dénommée Sicg-Habitat qui a bénéficié, à son tour, des facilités de trésorerie auprès de la Bhm- sa à concurrence de près de 2 milliards, plus précisément 1 885 727 562 FCFA.
Cette nouvelle structure, en partenariat avec l’ACI, a initié divers programmes immobiliers, notamment à l’ACI 2000 Hamdallaye et à Souleymanebougou, sur des terrains dont l’ACI est propriétaire.
La gestion de ces programmes a occasionné entre les deux structures un contentieux qui a été tranché par un arrêt de la Cour d’appel de Bamako. A l’issue des procédures, sous l’auspice des autorités politiques ivoiriennes et maliennes, un protocole d’accord transactionnel a été signé entre les parties, en mars 2016.
Mais ensuite, la Sicg voulait-elle ensuite se soustraire de ses responsabilités vis-à-vis de la Bhm-sa auprès de laquelle elle était engagée à hauteur de 9 385 727 562 Fcfa ? En tout cas, elle a commencé à afficher une attitude qui a beaucoup surpris la Banque, notamment en posant des actes que la Banque considérait comme du dilatoire. Par exemple, des demandes en remise de documents comptables et/ou financiers sous astreinte, puis des requêtes en reddition de comptes notifiées à la Bhm- sa par la Sicg-Mali.
Un long feuilleton judiciaire
Le climat de collaboration entre la Bhm et la Sicg va se détériorer pour aller ensuite de Charybde en Scylla. En effet, sans procéder au remboursement de ses engagements, la Sicg-Mali-sarl a sollicité et obtenu, par le jugement N°215 rendu en date du le 1er Juin 2005 du Tribunal de Commerce de Bamako, la désignation de Messieurs Abdrahamane Touré, expert-comptable, et Baréma Dramé, comptable agréé, pour la reddition de compte portant sur le compte N°0167 051 972 N 00 ouvert par la Sicg-Mali-sarl dans les livres de la Bhm-sa et sur tous autres comptes créés au nom de la Sicg-Mali-sarl de la date de l’ouverture de compte jusqu’au 31 Décembre 2001… ” .
Contre cette décision du Tribunal de commerce de Bamako, la Bhm-sa a introduit un recours en appel auprès de la Cour d’appel de Bamako. Retenons qu’avant la décision en appel, le Tribunal de commerce de Bamako, suite au rapport des experts désignés précédemment, avait condamné la Bhm-sa au paiement à la Sicg-Mali de la somme de 1 707 365 960 FCFA au titre des recettes non reversées.
Le recours déposé auprès de la Cour d’Appel de Bamako a abouti à l’annulation de ce jugement par l’arrêt N°20 du 11 Février 2009. Auparavant, en vertu de la loi N°008-005 du 08 février 2008 créant un privilège général pour garantir les créances de la Banque de l’Habitat du Mali, l’état de créances N°1 pour un montant principal de 6 866 228 420 Fcfa a été établi contre la Sicg-Mali.
Le recouvrement ainsi entamé, après plusieurs incidents de procédure, a abouti à la saisie puis à la mise en vente du reliquat des réalisations non commercialisées (magasins et étals) constituant “les Halles de Bamako” pour une valeur d’adjudication de 4 milliards de Fcfa.
La Sicg-Mali-sarl va se tourner vers la Cour commune de justice et d’Arbitrage (Ccja) de l’Ohada dont le siège est à Abidjan, pour y introduire un recours en cassation. En plus de l’annulation du titre de créance et de l’adjudication des réalisations, la Sicg cherchait à obtenir, au moyen d’une reddition des comptes et d’une réparation de préjudice, la condamnation de la Bhm- sa au paiement de la somme de plus de 36 milliards, plus précisément, 36 891 361 768 Fcfa.
Dans son évolution à la Ccja, le dossier a connu quatre arrêts. D’abord, le 22 décembre 2014, suivant Arrêt N°144/2014, la 1ère Chambre de la Ccja a déclaré le pourvoi de la Sicg-Mali sarl irrecevable, faute par ses conseils de justifier leur qualité d’avocats. Ensuite, le recours en révision a été également déclaré irrecevable le 11 Mai 2017 suivant Arrêt N°109/2017 rendu par l’Assemblée plénière. En outre, l’Arrêt N°191/2018 rendu le 25 Octobre 2018 par la 1ère Chambre de la Ccja rétractant l’Arrêt N°144/2014 et remis au rôle le pourvoi introduit contre l’Arrêt N°20 rendu le 11 février 2009 par la Chambre commerciale de la Cour d’Appel de Bamako. Par ailleurs, le 14 mars 2020, suivant Arrêt N°068/2019, la 1ère Chambre de la Ccja a condamné la Banque au paiement de la somme totale de 16.007.365.960 Fcfa grevée d’intérêts moratoires à calculer sur la somme de 1.707.365.960 Fcfa pour compter du 1er Janvier 2004.
Entrainée dans une bataille judiciaire, la Bms-sa se défend, soutenue par l’Etat malien actionnaire dans la Banque
Retenons que, ainsi entrainée dans une procédure judiciaire inattendue et inhabituelle, la Bms-sa se devait de réagir pour se défendre. C’est ainsi qu’elle a adressé à la Ccja les répliques appropriées aux demandes de la Sicg-Mali-sarl. Mais il faut reconnaître que ce dossier a permis, une fois de plus, de remettre sur la table la question de la crédibilité de la Ccja que le Mali avait déjà posé, quelques années auparavant, suite à une condamnation scandaleuse de la Cmdt qui frisait d’ailleurs le harcèlement. Ce qui fait que, à ce jour, le Mali n’a pas renouvelé sa cotisation annuelle au niveau de l’Ohada, après avoir manifesté vivement sa désapprobation de la Ccja. Il nous revient même que le Mali avait décidé d’ouvrir ce débat sur la Ccja au niveau de l’Ohada car la Ccja est de plus en plus décriée et des magistrats y siégeant, indexés par plusieurs pays.
Un recours en révision déposé par la Bms devant la Ccja
Un recours en révision a été déposé le vendredi 05 avril 2019 devant la Ccja contre l’arrêt N° 68/2019 rendu le 14 mars 2019. Qu’en l’espèce, 14 des 16 milliards réclamés par la Sicg représentent des pertes d’exploitation liées à l’exécution du contrat avec l’ACI. Contrat inconnu de la Banque pendant la procédure. En plus, la Cour d’Appel de Bamako dans son Arrêt N°314 du 21 Mai 2008, a dit que l’ACI était fondée à faire constater la résiliation de plein droit aux torts exclusifs de la Sicg.
Afin d’arrêter le cours des intérêts sur la somme de 1 707 365 960 Fcfa correspondant au montant des recettes non versées suivant le rapport de l’expert daté du 08 janvier 2008, qui produit des intérêts pour compter de 2004, la Banque malienne de solidarité, pour preuve de sa bonne foi, a procédé au paiement dudit montant, le 09 avril 2019 sur le compte Sicg N°46398586001- 09 intitulé Sicg- Habitat.
Courant premier semestre 2020, la Ccja a tenté une médiation entre les parties à la demande de l’Etat du Mali. Echec ! Et voilà que, le 29 juillet 2020, à travers un cabinet d’huissier-commissaire de justice, la Sicg a notifié, remis et laissé au ministère de l’Economie et des finances, la copie de l’Arrêt n° 259/2020, rendu le 16 juillet par la Ccja, lequel Arrêt rejette le recours en tierce opposition formulée par le Cabinet Brysla, Conseil de l’Etat du Mali à travers le ministère de l’Economie et des finances.
En d’autres termes, la Ccja appelle la partie malienne à s’exécuter, notamment pour lui payer 16 007 365 960 Fcfa.
Recours de la Bms devant les juridictions maliennes
Rappelons que la Bms a sollicité et obtenu, par ordonnance des référés N° 88/19 du 16 avril 2019 du Tribunal de Commerce de Bamako, un délai de grâce de 12 mois à la suite du commandement de payer suivi du PV de saisie conservatoire qui a été servi le 19 avril 2019.
Ce délai de grâce a été confirmé par l’arrêt N° 259 du 21 juin 2019 de la Cour d’Appel de Bamako contre lequel la Sicg-Mali s’est pourvue en cassation devant la Ccja.
Procédure exportée en Côte d’Ivoire
La bataille judiciaire a été exportée sur le sol ivoirien où la Bms a mené des actions. C’est ainsi qu’après l’échec des demandes de mainlevées des opérations de saisies-attribution pratiquées le 26 avril 2019 par exploit de Maître Assey Roger, huissier de justice, sur l’ensemble du mobilier de la succursale et des avoirs de la banque à la Nsia pour 8 890 681 Fcfa devant la Cour d’appel du Commerce d’Abidjan qui a, par arrêt N° 489/2019 du 25 juillet 2019, confirmé l’ordonnance N°1786/2019 du 21 mai 2019 du Tribunal de commerce d’Abidjan déboutant la Bms-sa de sa demande de mainlevée des saisies, la Bms a été déboutée de la requête aux fins d’exéquatur de l’arrêt N° 259 du 21 juin 2019 de la Cour d’Appel de Bamako qui a confirmé l’ordonnance N°88 du Tribunal de commerce de Bamako accordant un délai de grâce de douze (12) mois à la Bms.
La Banque a obtenu, par ordonnance gracieuse n° 3043/2019 du 27 septembre 2019 du Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, l’exéquatur de l’arrêt N° 259 du 21 juin 2019 de la Cour d’Appel de Bamako.
Au motif de l’immunité d’exécution dont elle jouit, la BMS a obtenu la mainlevée des saisies attributions pratiquées sur les avoirs et le mobilier de la Bms-CI par ordonnances N° 4135/2019 et 4136/ 2019 du 10 janvier 2020 du Tribunal de Commerce d’Abidjan, confirmée par décisions de la Cour d’Appel du Commerce d’Abidjan du 27 février 2020.
En France, aussi !
Courant mois de juillet 2019, la Sicg a, en vertu d’une ordonnance rendue le 26 juin 2019 par le Juge de l’exécution près le Tribunal de Grande Instance de Paris, fait pratiquer des saisies conservatoires à l’encontre de la Bms.
Ces saisies conservatoires ont porté sur des comptes ouverts par la Bms auprès de différents établissements financiers parisiens (Natixis, Attijariwafa, Banque Wormser Frères, Crédit Agricole) pour un montant total d’environ 10 000 000 d’euros et sur les 200 000 actions composant le capital de Bms France et détenues par la Bms- sa.
A la requête du Cabinet Viguie Schmidt & Associes, avocats au Barreau de Paris, la Bms a sollicité la mainlevée des saisies litigieuses. L’affaire a été plaidée le 5 août 2019 et la décision rendue le 4 septembre 2019 n’a pas été favorable à la Banque qui en a fait appel. Une procédure pendante devant les tribunaux !
Par acte en date du 25 juillet 2019, la Sicg-Mali sarl a assigné la Bms à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins d’exéquatur de l’arrêt 68/2019 de la Ccja du 14 mars 2019.
Plusieurs procédures
pendantes devant diverses juridictions maliennes
En vertu des dispositions du Régime Général des Obligations, notamment en son article 234, la Banque a engagé une compensation des créances réciproques entre la Bms- sa et la Sicg- Mali sarl. Le délibéré prononcé le 30 octobre 2019 a autorisé la compensation des créances qui rend la Sicg-Mali sarl débitrice de la Bms-sa de la somme de Deux milliards cent quarante-cinq millions six cent quarante un mille trois cent trente (2 145 641 330) Fcfa.
Cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel de Bamako en son audience du 24 juin 2020.
En réaction, la Sicg-Mali a engagé deux actions auprès des juridictions suivantes : le Tribunal administratif de Bamako et la Section administrative de la Cour suprême.
Au Tribunal Administratif de Bamako, la Sicg-Mali-sarl a déposé une requête en Contestation de validité et annulation d’une note de compensation devant le Tribunal administratif de Bamako qui par jugement n°43 en date du 23 janvier 2020, s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
Devant la Section administrative de la Cour suprême, la Sicg a introduit une requête en déclaration de prescription et annulation pour excès de pouvoir. Elle visait à obtenir principalement la prescription des créances réclamées et subsidiairement l’annulation des états de créance N°1 du 12 mai 2008 établi en application de la loi N° 08-005 du 08 février 2008 créant un privilège général pour garantir les créances de la Bhm-sa. La Cour a, par arrêt en date du 04 juin 2020, rejeté la demande comme étant mal fondée.
Avec l’arrêt de la Cour d’appel du Mali qui a confirmé le jugement de compensation, toutes les procédures judicaires doivent être totalement radiées des rôles des juridictions. Seules doivent être discutées les modalités de remboursement de la créance de la Banque. Au vu de la maturité de la créance, un abandon peut être consenti.
De sources proches du dossier au ministère de l’Economie et des finances, nous apprenons que les autorités maliennes ne comprennent donc pas l’attitude de la Ccja qualifiée de harcèlement et manifestent leur désapprobation. La première réaction a été donc la rétention de la cotisation annuelle au budget de l’Ohada, en attendant d’ouvrir le débat sur des griefs à l’encontre de cette institution. Et selon toujours nos sources, d’autres Etats sont du même point de vue que le Mali et la crédibilité de la Ccja est donc sur la balance.