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Mali : les forces antiterroristes au cœur de la répression à Bamako
Publié le jeudi 20 aout 2020  |  Midi Pyrénées
Attaque
© aBamako.com par A.S
Attaque terroriste subie par le campement de Kangaba
Dimanche 18 juin 2017. Le campement ``Le Kangaba`` sis à la périphérie ouest de Bamako a été pris pour cible par une attaque terroriste ayant fait des morts et des blessés.
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Au Mali, pour réprimer les manifestations qui ont eu lieu ces derniers jours à Bamako, une unité d’élite chargée de la lutte antiterroriste est intervenue. Et a tiré à balles réelles. On dénombre au moins onze morts et des dizaines de blessés.

Les manifestations de ces derniers jours et la violente répression qui a suivi ont laissé des traces à Bamako, et pas seulement sur les bâtiments publics ou privés pris d’assaut par des centaines d’insurgés les 10 et 11 juillet. La riposte des forces de l’ordre, qui ont tiré à balles réelles sur les manifestants et ont procédé à l’arrestation musclée de plusieurs figures de la contestation, a marqué les esprits.

Des photos de corps déchiquetés par des balles et des vidéos de jeunes abattus par les tirs circulent en boucle et suscitent l’émoi. Un bilan provisoire issu de sources hospitalières fait état d’au moins onze morts et de plusieurs dizaines de blessés. « Depuis les manifestations de 1991 et la chute du dictateur Moussa Traoré, on n’avait jamais vu ça, constate un défenseur des droits de l’homme ayant requis l’anonymat. C’est très rare au Mali. Même les partisans du président Ibrahim Boubacar Keïta [surnommé IBK – ndlr] sont choqués. » Sur les réseaux sociaux, de nombreux Maliens ont relayé le mot d’ordre : « On ne tire pas sur le peuple. »

Dans un communiqué publié le 12 juillet, l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) « condamne avec énergie l’utilisation des balles réelles contre des populations civiles » ainsi que les « actes de pillage des biens publics et privés par des manifestants ». Amnesty International a pour sa part exigé « une enquête rigoureuse, impartiale et indépendante » afin de « déférer à la justice toutes les personnes suspectées d’homicides ou d’autres violations des droits humains ».

L’ONU a condamné « l’usage de la force létale dans le cadre du maintien de l’ordre ». La France a également fait part de ses critiques, tout en rappelant « son attachement au droit de manifester pacifiquement ».

Une unité d’élite a joué un rôle majeur dans la répression du mouvement de colère initié par le M5-RPF (Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques), une coalition de partis politiques et d’organisations de la société civile dénonçant la corruption du régime et réclamant le départ d’IBK : il s’agit de la Force spéciale antiterroriste, plus connue sous le nom de Forsat.

Selon plusieurs sources sécuritaires contactées par Mediapart, cette force a été déployée très rapidement le 10 juillet, lorsque les manifestants ont commencé à ériger des barricades et à prendre d’assaut des lieux symboliques du pouvoir tels que l’Assemblée nationale, le bâtiment de la télévision publique et le siège du parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali (RPM).

« Dès qu’il est apparu que les forces de l’ordre classiques étaient dépassées, on leur a demandé de se positionner dans certains lieux considérés comme stratégiques, précise le collaborateur d’un ministre de haut rang. On appelle ça des “piquets” : il s’agit de forces en attente susceptibles d’intervenir à tout moment. »

Les éléments de la Forsat ont tiré à balles réelles dès le vendredi soir aux abords de l’Assemblée nationale. Le lendemain matin, ils ont reçu l’ordre d’interpeller les leaders du M5-RPF qui se trouvaient au siège de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), un dignitaire religieux qui a pris la tête de la contestation ces derniers mois. Le soir, ils se sont à nouveau rendus au siège du CMAS et ont tiré sur la foule, tuant au moins quatre personnes.

Ils ne sont pas les seuls à avoir fait usage d’armes à feu. Cependant, l’emploi de cette unité dans le maintien de l’ordre a scandalisé de nombreux Maliens, y compris dans l’entourage du président et au sein de l’appareil sécuritaire. Et pour cause : quand cette force a été mise sur pied en mars 2016, c’était pour faire face à des attaques terroristes, et non pour assurer une mission de maintien de l’ordre.

L’article 2 de l’arrêté portant création de cette unité est clair : « La Forsat est chargée de lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes. Aucune autre mission de sécurité ne peut lui être assignée. »

Plusieurs membres de cette force ont d’ailleurs très peu goûté cette mission particulière, estimant que ce n’était pas leur rôle. Certains d’entre eux avaient déjà été mis à contribution en mai dernier pour mater une manifestation à Sikasso, dans le sud, lorsque des centaines de personnes étaient descendues dans la rue pour contester les résultats officiels des élections législatives. Plusieurs manifestants avaient été grièvement blessés. « Cela devient une habitude, c’est inquiétant », souligne le militant des droits de l’homme déjà cité.

Constituée par les meilleurs éléments de la police, de la gendarmerie et de la garde nationale, la Forsat a une double mission : répondre à une éventuelle attaque d’un groupe terroriste en milieu urbain, comme Bamako en a connu plusieurs ces dernières années, et traquer lors de missions de courte durée les groupes armés considérés comme terroristes dans les zones où ils se sont implantés.

Ces derniers mois, elle est intervenue dans les zones infiltrées par les groupes djihadistes, principalement dans les régions de Mopti et de Tombouctou (centre et nord). En novembre dernier, une unité de la Forsat a ainsi été déployée à Kouri, près de la frontière avec le Burkina Faso, après que plusieurs postes de gendarmerie eurent été attaqués par des hommes armés. Cagoulés et surarmés, ses membres sont très mobiles : ils se déplacent d’un endroit à l’autre et ne restent que quelques jours sur un même lieu.

Ceux qui sont intervenus à Bamako le week-end dernier étaient pour la plupart en permission ou en repos. « Ils sont très bien formés, mais pas au maintien de l’ordre, assure un officier de l’armée. D’ailleurs, ils ne disposent pas de lacrymos. Leur équipement est constitué d’armes de guerre : fusils d’assaut, grenades, gilets pare-balles… Chez eux, pas de balles à blanc ni de sommation. Face à la menace, on tire. »

À Bamako, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir qui a donné l’ordre aux Forsat de se déployer et de tirer sur les manifestants. La réponse est loin d’être évidente. Selon la loi, cette force est placée sous l’autorité exclusive du ministre de la sécurité. Dans un courrier confidentiel ayant rapidement fuité, le premier ministre, Boubou Cissé – dont le M5-RPF réclame également la tête –, demande au ministre de la sécurité de procéder à des investigations « en vue de préciser les raisons de l’engagement de la Forsat ».

Mais depuis le 11 juin, il n’y a plus de gouvernement au Mali. Seul le premier ministre, reconduit par IBK en dépit du mouvement de contestation, est aux manettes, tandis que les affaires courantes sont gérées dans chaque ministère par les secrétaires généraux. « On imagine mal un secrétaire général prendre une telle décision seul », souligne un ancien ministre. L’ordre est-il venu de plus haut ?

La question n’intéresse pas que les Maliens. Les partenaires du pays se la posent également. La France, mais aussi l’Union européenne, les États-Unis et l’ONU sont en effet indirectement éclaboussés par cette affaire.

La Forsat a été créée avec le soutien actif de la communauté internationale : financements, dons de matériel, formations, etc. Ces dernières années, ses éléments sont devenus des soldats redoutables après avoir bénéficié de plusieurs programmes de formations prodiguées par des policiers français du Raid [1], des militaires américains [2], des officiers européens missionnés dans le cadre des programmes EUCAP-Sahel et EUTM-Mali [3], ou encore des fonctionnaires onusiens – tout cela au nom de la lutte contre le terrorisme.

Rémi Carayol

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