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Gilles Holder : “Tout le monde était d’accord pour un changement au Mali”
Publié le vendredi 21 aout 2020  |  La Vie
Conférence
© aBamako.com par AS
Conférence de presse du CNSP
Bamako, le 19 Août 2020, le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) a animé une conférence de presse au camp Soundiata Keita de Kati.
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L’anthropologue au CNRS Gilles Holder, spécialiste de l’islam malien, codirecteur du laboratoire Mali Cohésion Territoire de Bamako, rompt avec la langue de bois diplomatique et explique que le putsch n’était pas vraiment une surprise… Dans la nuit du 18 au 19 août, le président, Ibrahim Boubacar Keïta, a en effet été renversé.
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Ce coup d'État était-il prévisible ? Dans quel contexte intervient-il ?
Des rumeurs de putsch couraient depuis les élections législatives de mars et avril dernier. La situation économique, sécuritaire et sociale s’est beaucoup dégradée ces derniers mois. Il y a eu aussi les frasques du fils du président, Karim Keïta (une vidéo où on le voit dans une fête en Espagne a choqué les Maliens, ndlr). Mais c’est surtout l’obstination du président Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK) à rester en place qui explique ce coup de force.
Les Maliens semblent approuver ce coup d’État, contrairement à la communauté internationale…
Le mouvement est effectivement massivement soutenu, mais surtout parce que les Maliens voulaient en finir avec ce régime. D’un autre côté, l’alternative qui se présentait autour du M5-RFP (Mouvement du 5 Juin - Rassemblement des forces patriotiques, qui regroupe plusieurs formations politico-religieuses hétéroclites, ndlr) provoquait aussi des inquiétudes. Finalement, l’intervention de l’armée rassure un certain nombre de personnes sur les modalités de ce changement. Quant à la communauté internationale, son ton est convenu ; nous sommes dans le jeu diplomatique. Tout le monde était d’accord sur le fait que IBK avait pourri la situation, et qu’il fallait un changement.
Quant à la communauté internationale, son ton est convenu ; nous sommes dans le jeu diplomatique.

Qui sont les putschistes ?
C’est un coup d’État de colonels et pas de capitaines ou de lieutenants… Les militaires qui ont pris le pouvoir ne sont pas des jeunes loups. Ce sont des cadres bien formés, avec des profils très variés, tous très au fait des enjeux internationaux. Le colonel Assimi Goita qui a pris la tête du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) revenait ainsi d’Égypte. Le général Cheick Fanta Mady Dembele est, lui, un ancien élève de Saint-Cyr qui a dirigé l’École de maintien de la paix de Bamako, créée par la coopération française. Quant aux colonels Malick Diaw et Sadio Camara, ils étaient de retour de Russie où ils ont suivi des formations politique et tactique.
Jean-Marie Bockel, au nom du fils

On pourrait ainsi craindre que Moscou revienne en force au Mali, d’autant que le pays a signé un accord de coopération militaire avec la Russie l’année dernière. Ce n’est pas forcément un fantasme : Vladimir Poutine peut très bien avoir voulu placer ses pions, sans s’investir massivement car il ne s’agit pas bien sûr pour lui de prendre la suite de l’opération militaire française Barkhane… Mais je pense que cela va plus loin que cela. La sociologie du CNSP et la formation initiale de ses membres montrent qu’on ne peut réduire ce coup d’État à une opération russe.
Les putschistes sont-ils en lien avec la coalition d’opposition M5-RFP qui appelle à la désobéissance civile depuis plusieurs mois ?
C’est le M5-RFP qui a mis en place la contestation populaire, c’est lui qui a construit idéologiquement le mouvement. Mercredi 19 août, il a même présenté un programme de transition démocratique. Celui-ci contient d’ailleurs des idées intéressantes, comme les mesures envisagées pour lutter contre la corruption. Le M5-RFP veut aussi réformer l’État et les institutions avec pour objectif de fonder une quatrième république. Plusieurs pistes sont ainsi examinées, afin d’en finir avec le régime présidentiel à la française qui favorise l’émergence de dictateurs, au profit d’un régime parlementaire. On y trouve aussi l’idée de revoir l’accord d’Alger, signé en 2015 entre le gouvernement malien et la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), pour aller vers davantage de régionalisation.
À la tête du M5-RFP, l’imam conservateur Mahmoud Dicko inquiète… Qui est-il ?
C’est un homme très intelligent, très instruit, qui comprend très bien les enjeux internationaux. Il a aussi une rhétorique claire qui a permis au M5-RFP d’élaborer une feuille de route précise. Mahmoud Dicko promeut un projet de société de rectification morale et culturelle du Mali. Il est le chantre d’un islam afrocentré qui affirme que cette religion et la culture africaine sont totalement compatibles. Un mouvement qui s’inscrit dans un discours de décolonisation, mais aussi de désarabisation de l’islam.
Les héros du Mali

Mahmoud Dicko est aussi très ancré dans une forme de salafisme. Il a d’ailleurs suivi des études religieuses pendant deux ans à la faculté de Médine, en Arabie saoudite (le berceau du wahhabisme, ndlr). Pour lui, la mauvaise gouvernance du pays est directement liée à l’absence de morale et d’éthique, éthique qu’il puise dans l’islam. En même temps, ce n’est pas un putschiste qui voudrait imposer un État islamiste. Il veut rester dans le cadre de la démocratie électorale. Il est ce que j’ai nommé un « salafiste républicain ». Mahmoud Dicko n’a pas un agenda saoudien, mais malien.
Plusieurs pistes sont examinées, afin d’en finir avec le régime présidentiel à la française.

Comment expliquez-vous sa popularité ? Pourrait-il devenir le futur président malien ?
Mahmoud Dicko n’a pas la prétention d’arriver au pouvoir. Et cela n’arrivera pas, parce que la structure sociale, politique et intellectuelle malienne est beaucoup plus large que lui. Sa popularité est d’ailleurs ambiguë. Elle se mesure davantage par rapport à l’impopularité du président IBK. Mahmoud Dicko est adulé par une partie de la population, mais détesté par une autre. Les Maliens n’oublient pas notamment son rôle nébuleux lors du premier coup d’État de 2012, où ses liens avec les groupes armés du Nord, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et les djihadistes d’Ansar Dine. Reste à savoir si les Maliens veulent de son projet de société…
Ce qui est certain c’est que le Mali n’est pas un État laïc, contrairement à ce que semblent penser certaines chancelleries. Pour bien comprendre le pays, il faut avoir en tête qu’être malien, c’est d’abord être musulman. Il y a aujourd’hui une réaffirmation de l’identité malienne autour de trois piliers : la pratique de l’islam avant tout, le fait d’être africain noir de peau et la langue bambara (parlée par 80 % de la population). On trouve au Mali toute une variété de mouvements qui s’appuient sur des interprétations différentes de l’islam. Cela laisse donc aussi moins d’espace à un leader wahhabite ou salafiste qui aurait comme projet de rassembler l’ensemble de la population.
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