La musique est aussi vieille que le monde et toutes les religions, qu’elles soient monothéistes ou polythéistes, se sont servies de cet art pour se développer et prospérer. Le paganisme d’où naquit le monothéisme d’Abraham a connu ces chansons sacrées dans toutes les parties du monde. Dans le monde bambara affilié au paganisme, les sociétés initiatiques, lors de la célébration de leurs cultes, se font accompagner par des chansons et des danses tantôt ouvertes au grand public, tantôt réservées aux seuls initiés. On connaît les chorales chrétiennes, catholiques et protestantes, qui donnèrent souvent naissance à de grands artistes comme certains noirs américains ou antillais sortis de ces structures.
L’islam n’a pas connu un tel rayonnement musical sauf peut-être au Moyen-Orient où quelques artistes s’inspirèrent du Coran et des hadiths pour s’exprimer et se faire connaître.
Au Mali où l’islam fut longtemps une religion de cour, les musiques religieuses furent rares et on peut compter sur les doigts d’une main les musiciens célèbres dans ce domaine. Mais depuis maintenant deux décennies, on voit se développer chez nous un genre musical spécial appelé “zikiri”, un terme que même les utilisateurs peinent à bien définir.
A l’origine, il s’agissait probablement de propager par la musique le message religieux mais le contexte de pauvreté généralisée prévalant, de malins talibés ont sauté sur l’occasion pour faire leur beurre. L’introduction de la chanson musulmane dans le music- hall malien ne se fit pas de la même manière que chez les chrétiens où les thèmes sont purement liturgiques et ne chantent pas les exploits fantaisistes des grands personnages locaux de la religion. Au Mali, non seulement le zikirifola ne chante pas uniquement la spiritualité du guide musulman, mais s’attache à sa personne pour bénéficier de ses bienfaits. Car ce genre musical ne s’intéresse qu’aux chefs religieux très riches et non au simple croyant qu’elle que soit sa piété. Il est curieux de constater que dans la vie civile, les griots et autres nyamakalas n’ont pas de démarche contraire. Et souvent le leader ainsi chanté et loué, oublie sa foi et se comporte en conquérant qui pousse la générosité jusqu’à distribuer à tour de bras des liasses de billets de banque aux assistants à la cérémonie et à faire loger chez lui son musicien et sa famille.
Les leaders religieux qui ne travaillent pas et dont on ignore d’où ils tirent leur fortune souvent colossale aiment ce spectacle qui fait d’eux un roi avec sa cour. La religion dans tout cela est superbement ignorée au profit de la gloire terrestre comme le personnage historique ou littéraire qui recherche l’immortalité.
On a comme l’impression que les richesses matérielles intéressent plus ces guides religieux ainsi chantés que la recherche du paradis qu’ils promettent aux autres et non à eux-mêmes, le prenant pour une éventualité plus imaginaire que réelle. La religion n’a donc pas qu’une fonction spirituelle mais se charge aussi de la temporalité comme pour ces héros de “la guerre du Péloponnèse” dépeints par Thucydide et qui se battaient pour la grandeur de Lacédémone.
Si la musique fut au début de la religion, ce troubadourisme intéressé d’un genre nouveau, défigure carrément cet art.