Le sort d’IBK préoccupe la communauté internationale. Pendant que l’Union africaine s’inquiète pour sa santé et critique les conditions de sa détention en réclamant sa libération, pour la Cedeao, il faut le rétablir dans ses fonctions de président en vertu des termes du protocole pour démocratie et la gouvernance de la Cedeao ratifié par le Mali. Pour Dr Abdramane Touré, Professeur de Droit constitutionnel à la retraite, ce protocole pour la démocratie et la gouvernance n’est pas au-dessus de la constitution malienne. Pas plus que le changement de régime n’est une panacée.
Le Témoin : Le président Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé, dans la nuit de mardi à mercredi, sa démission et la dissolution de l’Assemblée nationale, suite à son arrestation plus tôt dans la journée par des soldats mutins. En tant que citoyen malien, quelle a été votre réaction ?
Abdramane Touré : Si je dois revêtir la peau de l’universitaire, ce que je vais retenir c’est que ça peut être douloureux pour les Maliens. Les républiques que nous avons eues ont été enfantées dans la douleur avec des convulsions. La première république est née après des convulsions et nous sommes allés, presque par décennies, de convulsions en convulsions. Ce qui est arrivé, le 18 aout est une situation de crise politique, économique et sociale. Moi, je constate qu’il y avait rupture de la légalité constitutionnelle.
De crise en crise, le Mali n’a-t-il aujourd’hui pas besoin de changer de régime et aller vers une nouvelle république ?
Abdramane Touré : Le doyen Vedel, en 1949, a dit, dans son manuel de droit constitutionnel : «la quête de l’idéal démocratique, toute poussée de démocratie qui se termine par un échec final, a un certain acquis irréversible». Est ce qu’il faut changer de régime ? C’est vrai au moment de la conférence nationale de juillet à aout 1991, on a repris la constitution française de la Vè république parce que les acteurs, au regard des enjeux du pouvoir, avaient cru nécessaire d’avoir un régime comparable à celui de la Ve république. Mais d’avoir un régime comparable à celui de la Vè République ne veut pas dire que c’est un régime identique à celui de la Vè République. Je ne le pense pas parce que les contre-pouvoirs qu’on trouve dans la Vè République française vous ne les avez jamais eus en IIIê République du Mali. Par exemple, avant l’avènement de la IIIè République, il y a eu un point qu’on a jamais régler : l’article fondamental du 31 mars 1991 disposait très clairement qu’on allait œuvrer à un accès équitable aux mass-médias officiels. Si vous avez regardé le journal, hier, je ne pense pas qu’il y ait un accès équitable des courants politiques et des citoyens à la télévision nationale. Ceci est palpable. Lorsque la constituante a voulu mettre en place la constitution de 1992, les courants politiques (dans la constituante) ont consciemment refusé qu’un organe régulateur, notamment la HAC, puissent être un contre-poids du pouvoir exécutif. L’indépendance de la justice n’a pas été effective. J’ai entendu plus d’un premier ministre malien dire «sur instruction du président de la République». Ça me parait une hérissée. Le premier est le chef du gouvernement responsable devant l’assemblée nationale. Il n’agit pas sur instruction du président de la République mais sur la base d’une Déclaration de Politique Générale à lui. Or les lettres de cadrage, les lettres de mission et même le dicta présidentiel ont pu faire que les PM que nous avons eus ne me paraissent pas dans la plénitude de leurs fonctions telles que définies par la troisième République. Ceci reste entier. D’ailleurs, la question se pose aujourd’hui en France de reformer le système de la Vè République parce que comme qui dirait d’une prééminence du président de la République, on est revenu à une situation de primauté sinon de prépondérance excessive du président de la République. Il faut donc un équilibrer des institutions.
J’ai peine à croire, qu’il soit nécessaire, dans la démocratie représentative que nous avons, de continuer à nommer des ministres sous prétexte qu’ils sont des technocrates alors qu’ils n’ont aucun mandat électif.
La constitution de la Troisième République a peut-être eu de la peine à s’appliquer, mais passer à une IV è république n’est pas la solution ; elle peut être révisée. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des réformes institutionnelles majeures et je ne pense pas qu’elle soit incompatible avec l’existence de la troisième république. Changer de régime n’est une panacée.
Dans son discours de démission, IBK dit avoir quitté ses fonctions et toutes ses fonctions parce qu’il n’avait pas le choix. Que prévoit la constitution de 1992 – qui reste en vigueur – en cas de vacance du pouvoir ?
Abdramane Touré : La constitution de la troisième république évoque la vacance de pouvoir. Qui peut intervenir l’empêchement temporaire ou définitif. Dans le cadre de l’empêchement, la constitution dispose que c’est le premier ministre qui va assurer les fonctions. J’attends que la constitution évoque la vacance. Les conditions dans lesquelles une vacance peut intervenir, la constitution ne le définit pas. Mais, quelle que soit la vacance, un empêchement temporaire ou définitif constaté par la Cour constitutionnelle, la constitution indique à qui revient la gestion du pouvoir.
Est-ce qu’on peut qualifier la démission du président IBK de coup d’état ?
Il faut se résoudre à accepter qu’il y a une crise. Un acteur qui n’est pas habilité à intervenir dans le jeu institutionnel tel que prévu par les règles de la constitution est intervenu. C’est une évidence, on est plus dans la troisième République. Est-ce un coup d’état, est ce que ce n’est pas un coup d’état ? Ceci est une question d’appréciation qui, à priori, pour moi n’est pas juridique.
La Cedeao a demandé à la junte militaire de rétablir le Président IBK dans ses fonctions. La constitution malienne prévoit-elle une telle pratique ?
Abdramane Touré : J’ai entendu le président Issoufi du Niger dire le protocole de gouvernance, que le Mali a ratifié d’ailleurs. Je doute que ce protocole soit supérieur à la constitution malienne.
Des Propositions pour une sorties de crise…?
Abdramane Touré : J’observe qu’il y a un cours nouveau, une parenthèse, qui porte juridiquement un régime d’exception. Encore une fois, le régime d’exception peut-être démocratique. En 1991, il l’a été. Il faut s’acheminer, comme tous les acteurs le laisse entrevoir, vers des élections législatives, présidentielles dans les conditions que les acteurs auront déterminées sur la base d’un chronogramme.