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Mali : le piège de 2012 plane-t-il encore sur le pays ?
Publié le vendredi 28 aout 2020  |  Nouvelle Libération
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Les meneurs des évènements du 18 août agissent de manière diamétralement opposée à ceux qui ont perpétré le coup d’Etat de Mars 2012. Cela est un fait. La méthode, le discours et les actes semblent bien plus posés et réfléchis. Pas étonnant vu qu’ils sont tout de même des officiers supérieurs. Pour autant, un excès d’enthousiasme ne doit pas faire oublier aux Maliens qu’il s’agit d’un évènement grave qui a des répercussions et qui se juge non pas dans l’immédiat mais sur la durée.




Applaudir en fermant les yeux sur les enjeux de fond ne sert ni le Mali ni ceux-là même objet de l’euphorie. On a bien souvent vu un Peuple acclamer des «libérateurs» pour ensuite finir par les honnir. Comme dans tout renversement d’un régime, les dirigeants du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) seront nécessairement mis à l’épreuve de trois des plus féroces démons d’un coup de force : le temps, les luttes d’influence et l’opportunisme politique.

Le temps, parce qu’il est évident que la pression internationale ne faiblira pas du jour au lendemain. La crise multidimensionnelle que nous vivons et la présence massive de troupes étrangères sur notre territoire font du Mali un enjeu majeur de sécurité internationale et d’équilibre socioéconomique sous-régional. Enjeu dans lequel la stabilisation de notre pays est un impératif qui dépend de la présence au pouvoir d’un régime élu. Personne n’a intérêt à ce que la rupture démocratique s’installe dans la durée au Mali. C’est pourquoi, même s’il est peu probable que la CEDEAO obtienne le rétablissement au pouvoir du Président IBK, dans le temps et dans la durée, la communauté internationale continuera à exercer des pressions pour que le CNSP mette en place une Transition politique avec une feuille de route crédible et un agenda pour l’organisation, dans des délais raisonnables, d’élections libres, démocratiques et transparentes.

Pour le moment, le rapport de force s’établit progressivement. Si la CEDEAO mise sur les sanctions (politiques, économiques et individuelles), le CNSP travaille sa stratégie. Les militaires ont jusqu’à présent affiché des intentions louables qui ne suffisent pas à rassurer sur leurs réelles intentions. Face à la pression croissante de la CEDEAO, ce 21 août, les militaires ont choisi la carte de la proximité avec le «peuple M5-RFP» en participant au meeting de «remerciement» qui se tenait sur la place de l’indépendance. Une carte utile temporairement mais qui pourrait avoir comme effet de revers d’en faire les obligés de ce mouvement, brisant ainsi l’équidistance dont ils doivent faire preuve en pareille circonstance entre tous les acteurs nationaux.

De la même manière, le même facteur «temps» ramènera inévitablement sur la table la question du sort réservé au Président de la République, au Premier ministre et à l’ensemble des personnalités détenues (dont nous ne connaissons d’ailleurs toujours pas le nombre exact). Le CNSP fait volontairement l’impasse sur le sujet mais il devra, tôt ou tard, gérer les implications de l’arrestation de ces personnalités. Il ne peut pas les garder indéfiniment sans se retrouver dans une position extrêmement inconfortable mêlant les pressions internationales aux très fortes attentes de l’opinion nationale. L’enjeu est de taille.

D’une part, ils pourraient avoir besoin de garanties internationales qu’ils ne subiront rien. Garanties qui pourraient dépendre d’une libération de ces personnalités sans engager d’éventuelles poursuites judiciaires contre eux. D’autre part, ils font face à la pression d’une partie de l’opinion qui exige «des procès» et presqu’ouvertement «une chasse aux sorcières». Rien n’est simple dans ce dossier.

Enfin, le facteur «temps» nous amènera à voir comment les militaires du CNSP feront face à l’épreuve de la gestion du pays si la mise en place de la Transition prend plus de temps que prévu. Pour l’heure, ils ont réussi à relancer rapidement la machine administrative, ce qui a pour effet d’apporter un semblant de normalité mais la crise sécuritaire, politique, institutionnelle et économique les mettra vite à l’épreuve. Les évènements tragiques en cours à Gao en sont l’illustration parfaite. Pour répondre à ces enjeux de la gestion du pouvoir et faire face au facteur «temps», le CNSP sera appelé à s’organiser en instaurant une véritable hiérarchie en son sein.

Le CNSP responsabilisera certains d’entre eux, fera, éventuellement, appel aux compétences d’autres, créant ainsi un cercle de pouvoir qui, s’il ne respecte pas l’équilibre qui leur a permis de mener l’action du 18 août, risque d’alimenter une véritable tension interne. D’où l’analyse selon laquelle l’autre enjeu de maîtrise pour le CNSP sera le CNSP lui-même.

En tirant les leçons de 2012, nous savons que l’exercice du pouvoir, s’il n’est pas bien encadré, entraîne des rivalités et des luttes d’influence. Par ailleurs, l’institutionnalisation «de fait» du CNSP posera vite un autre problème : celui de son ancrage institutionnel. Il n’existe nulle part dans la Constitution (qui n’est d’ailleurs pas suspendue) mais il dirige le pays. Mais le CNSP, en s’organisant, en fixant une hiérarchie et en assumant de plus en plus d’autorité, risque de tomber dans le piège qui a poussé certaines juntes militaires à vouloir progressivement retarder la mise en place d’une Transition, même civilo-militaire, ou, plus grave, la tenue même d’élections dans des «délais raisonnables». C’est ce que craint le plus la Communauté internationale.

L’autorité et le pouvoir sont des leviers souvent difficiles à lâcher surtout dans un pays où beaucoup rêvent de voir «un militaire remettre de l’ordre». Plus l’intervalle entre le coup d’Etat et l’installation de la transition s’allongera, moins il y aura d’assurance que le pouvoir sera effectivement transféré aux civils. Nous notons tous la bonne foi affichée des dirigeants du CNSP et leurs assurances quant à la mise en place d’une transition politique mais pour plus de gages, ils devront multiplier les actes dans ce sens. Sur la même note, les militaires doivent éviter au pays un piège : l’institutionnalisation durable d’un CNSP purement militaire. Épargnons les Maliens du souvenir de la République de 2012 et son impossible équilibre du pouvoir entre «Transition» et CNRDRE.

C’est pourquoi, à la lumière de ces éléments, certaines questions méritent d’être murement appréciées par chacun : Faut-il, oui ou non, accélérer la mise en place de la Transition ? S’agit-il concrètement d’une Transition civile, militaire ou civilo-militaire ? Tout le CNSP est-il réellement prêt à envisager une transition strictement civile ? La Présidence de la Transition pourra-t-elle réellement être dirigée par un civil alors que le CNSP est déjà l’organe de «Présidence de fait» ? Avec un CNSP qui s’institutionnalise, lorsque la Transition sera mise en place, le CNSP sera-t-il un organe de la Transition ou va-t-il se dissoudre ? La mise en place de cette Transition se fera-t-elle par le CNSP ou avec l’accompagnement de la CEDEAO ? Autant de questions dont les réponses nécessitent de la part des dirigeants du CNSP beaucoup d’écoute et, au bout d’un moment, une capacité à trancher pour éviter au Mali de tomber dans un tâtonnement qui aurait des conséquences très lourdes sur l’avenir du pays.

De fait, l’obligation pour les dirigeants du CNSP d’être à l’écoute des autres (militaires et civils) ouvrira les portes aux derniers de nos facteurs de risque : toute cette horde de politiciens dont l’écrasante majorité est le symbole même et la cause de notre échec en tant que démocratie. Des politiques qui devront nécessairement tous être écoutés mais certainement pas tous entendus car le constat est connu : près de 90% des acteurs politiques n’ont absolument aucune vision, très peu de convictions et encore moins de morale. Ils iront souffler toutes sortes d’idées farfelues aux oreilles des militaires du matin au soir. Chacun se prévalant des «meilleures compétences» pour sortir le pays du gouffre.

Pourtant, les Maliens semblent cette fois déterminés. Qu’ils aient soutenu, cautionné ou condamné le coup d’Etat du 18 août, ils réclament tous un VERITABLE CHANGEMENT. C’est le plus grand des espoirs qu’ils fondent. Et, de grâce, pour le moment, passons sur le fait que ce changement doit effectivement commencer par les comportements des Maliens. Nous reviendrons sur ce sujet dans d’autres débats. Le changement dit «véritable» dont il est question est d’ouvrir la voie à une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques pour qu’une impulsion tout aussi nouvelle permette aux Maliens de reprendre confiance en leur classe politique et en l’avenir.

Si le CNSP fait les mauvais choix, il ratera magistralement le coche du changement attendu. Sur la scène malienne (politique et sociale), même dans les partis qui ont «participé à la gestion des 30 dernières années», il existe de véritables talents qui méritent d’émerger. Ce sera le véritable signal de l’espoir et du changement tant attendu par TOUS les Maliens. Le système politique, électoral et patriarcal auquel nous avons été soumis pendant trop longtemps a étouffé le changement. C’est en tout cas le sentiment des Maliens et l’erreur à ne pas commettre est de nous ramener en arrière, une fois de plus.

Quand ce signal sera donné, et seulement à ce moment, nous pourrons obtenir le changement de comportement des populations. Voilà quelques-uns des éléments d’analyse et des pistes de réflexion que j’ai souhaité verser au débat sur l’avenir de notre cher Mali. Des éléments qui doivent nous permettre de ne nous laisser emporter ni par l’euphorie, ni par un excès de zèle et encore moins par la colère.

Prenons le temps de nous poser les vraies questions et d’y apporter les bonnes réponses afin d’éviter le cycle infernal du sous-développement qui a sapé tous les fondements de notre pays !

Cheick Oumar DIALLO/COD

Source : Nouvelle Libération
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