En 5 ans de carrière, le jeune rappeur Dr Keb s’est forgé une solide réputation dans le microsome du hip-hop malien. Depuis 3 ans, le prince de Kadiolo connait une ascension fulgurante, qui fait de lui la nouvelle coqueluche de la scène musicale malienne. Aujourd’hui, il est difficile de parler du rap malien sans évoquer le nom de Dr Keb, qui s’affiche comme l’une des figures montantes de la scène musicale malienne. Depuis la sortie de son premier album intitulé Two Face (double face) “en 2017, le jeune rappeur ne cesse de prendre des galons dans le “game” au Mali. Son concert “live” au stade Omnisports Modibo Kéïta, le 28 septembre 2019, à guichet fermé, vient confirmer son statut du jeune artiste malien le plus adulé du moment. Révélation de la Nuit des Stars et nominé dans la catégorie rap de Mali Awards 2019, Dr Keb est indéniablement la nouvelle coqueluche du rap malien. Mais avant ces heures de gloire, il y a eu du chemin parcouru. Faisons une rétrospection dans la vie et les débuts de l’artiste dans la carrière hip-hop.
De son vrai nom Amadou Kébé, Dr Keb voit le jour au Ghana où ses parents étaient installés depuis des années. Mais très jeune il est envoyé au Mali, notamment chez une tante paternelle à Somadougou dans la région de Mopti. “C’est là où j’ai commencé mon école entre mes 6 et 7 ans”, nous confie l’artiste, d’un air nostalgique. Il y effectue ses études primaires avant de poursuivre le second cycle dans sa ville d’origine, Kadiolo, dans la région de Sikasso. Après son diplôme d’études fondamentale (DEF) le jeune Amadou est orienté à Zégoua vers la frontière Mali-Burkina pour le lycée. Il n’y passera qu’une année en obtenant un transfert pour son retour au lycée de Kadiolo, où il décroche le baccalauréat en 2012.
Un grand frère “providentiel”
Si de nombreux artistes sont épris de leur art depuis le jeune âge, l’attitude de Dr Keb (Keb comme Kébé, Dr parce qu’il estime que ses chansons soignent ses fans), ne le prédestinait pas une carrière de musicien. Il n’avait aucun intérêt pour la musique. “J’étais plutôt concentré sur mes études et je me disais que c’est la seule voie à suivre pour moi”, se souvient l’artiste avec un sourire qui semble le plonger dans un passé lointain. Mais c’était sans compter sur le destin. Toutefois, s’il y avait quelqu’un dans la famille Kébé sur qui l’on pouvait parier pour mener une carrière artistique, c’était le grand-frère de Keb, “Mister Lova”, qui s’était illustré comme le meilleur rappeur à Kadiolo. “Il était avec un ami et leur groupe s’appelait Wi Mix Clan. Mais quelques années après, il a arrêté la musique pour des raisons personnelles”, ajoute-t-il.
Et si Mister n’était qu’un guide providentiel pour Keb qui était destiné à une carrière artistique ? L’on peut répondre par l’affirmative depuis que Mister Lova a laissé la scène à son jeune frère. “Quand Mister a arrêté la musique, il nous amenait souvent des instrumentaux pour mes amis et moi. C’est en écoutant les anciens CD Mister Lova que nous avons été attirés dans la musique et au fil du temps nous avons décidé de créer un groupe qu’on appelait “Guetto Black Boys” (GBB). J’étais le plus timide du groupe et j’avais honte de chanter, surtout en présence de mon grand-frère”, nous explique Kébé.
Avec le soutien de l’ancien rappeur, GBB enregistre leur première chanson qui ne connaitra pas un grand succès. Mais le groupe ne baisse pas les bras.
Il sort deux autres singles GBB is back (GBB est de retour) et An Da Lama (on est déterminé) qui vont les révéler le groupe à la population de Kadiolo et environnants, où ils sont invités lors des cérémonies et des soirées dansantes. Mais ce succès ne durera pas : “Il fallait que je me concentre sur mes études. Le bac m’attendait et les autres n’ont pas voulu continuer sans moi.”
Après l’obtention de son baccalauréat en 2012, Dr Keb arrive à Bamako pour ses études universitaires. Il s’inscrit en lettres modernes à la Facultés des lettres et sciences du langage (FLSL). Son arrivée dans la capitale suscite l’envie de l’artiste à poursuive sa passion. Si Keb devait réussir dans sa carrière musicale, c’est bien ici à Bamako. Il en était certain. Il a continué à écrire des textes et “quand mon père m’envoyait de l’argent pour mes dépenses, je prenais 10. 000 ou 5000 Fcfa pour aller faire un single dans un studio amateur de mon quartier de Kalaban Coro”, se rappelle-t-il.
Avoir un mental d’acier
Au fil des mois, Keb se fait connaitre dans son quartier à travers quelques chansons. Il décide ensuite d’aller vers son rêve. Mais il devra faire face à une montagne de difficultés. “Tout d’abord, j’ai eu beaucoup de faux rendez-vous quand j’ai décidé d’aller voir des studios professionnels. Il y a des studios où on m’a vraiment fait tourner et d’autres dans lesquels des arrangeurs ont voyagé avec mes sons pendant deux, trois mois, sans nouvelles. Il y en a aussi qui m’ont chassé de leur studio parce que je n’étais pas l’un des artistes dont ils avaient besoin. C’est-à-dire un artiste déjà reconnu”, dit-il avec amertume.
Le monde du showbiz malien n’est pas un fleuve tranquille, notamment pour les novices et de surcroit ceux qui n’ont pas les moyens. Le talent seul ne suffit. Il faut avoir un mental d’acier doublé d’un courage de guerrier pour s’y maintenir. “J’ai été à des concerts où j’arrive depuis le petit soir avant tous les artistes. Je reste là jusqu’à 1h, 2h du matin, je n’avais pas l’occasion de monter sur scène pendant que les autres viennent chanter et retournent à la maison à la fin de leur prestation”, se souvient aujourd’hui le jeune rappeur qui a eu à traverser de nombreuses difficultés dans sa vie. Ayant longtemps vécu loin de ses parents et dans des milieux différents du sien, Kébé savait encaisser les coups de la vie et avancer, même quand c’était difficile. Ces difficultés ne l’ont pas empêché de poursuivre son rêve de musicien et ses études parce que, malgré les difficultés, il a continué ses études et obtenu son diplôme de maitrise en lettres.
L’une des forces de l’artiste réside dans sa diversité musicale. Dr Keb n’est pas scotché sur un seul genre. Il brille, entre autres, dans le rap, le reggae, l’afrobeat le danse hall et aussi les sonorités mandingues. “Je fais de la musique comme je le sens. Quand l’idée d’une chanson me vient à l’esprit, je chante dans le style voulu. Mon style musical est tout simplement du docteur Keb (Dr. Keb), tant que ma musique peut guérir mes fans“, explique l’artiste dont l’attachement à la langue anglaise dans ses chansons s’explique par son lieu de naissance : le Ghana, où il été bercé par la langue de Shakespeare avant son retour au bercail.
“Une évolution comme la Chine”
Les années de galère finiront par payer. Après avoir fait parler de son talent dans son quartier, Dr Keb se fait connaitre dans la capitale malienne, à travers des singles comme “Peace and Love”. D’autres chansons comme Mariama, qui fait un tabac dans les discothèques bamakoises et J’ai pas le choix de son premier opus intitulé Two Face, sorti en 2017, lui ouvrent les portes de la notoriété. S’en suivront ensuite ses EP (mixtapes) Let me celebrate my victory (Laissez- moi célébrer ma victoire) et mixtape Cèsiri “Serrer la ceinture” sorti en 2019 qui viendront consolider les acquis.
Dans cet album comme dans la plupart de ses chansons, Dr Keb s’inspire de son vécu parsemé de difficultés. “Ce dernier album est une manière pour moi de dire aux jeunes qu’on ne doit pas baisser les bras quoi qu’il arrive. Il faut continuer à se battre car chaque grand homme passe par les difficultés”, conseille le rappeur qui connait une ascension dans le milieu du rap malien à travers son titre remarqué, Dad Energy, de l’album Cèsiri : “N’ka évolution iko la Chine” qui peut se traduire littéralement par “j’évolue comme la Chine”. Et ce ne sont pas les mélomanes maliens qui diront le contraire. En témoignent ses nombreuses collaborations avec des artistes de renom comme Sidiki Diakaté, Habib Koita, Wei Soldat (Mali) Azaya (Guinée Conakry) et les All Black de Côte d’Ivoire.
Si la pandémie liée à la Covid-19 avait presque freiné le secteur culturel durant des mois, Dr Keb a mis ce temps oisif à profit pour concocter un nouvel album qui va s’intituler Reality (Réalité). Mais de quelle réalité s’agit-il ? La réponse le 20 novembre prochain, date de sortie du nouvel opus du docteur.