Dans les jeunes démocraties africaines, la politique est perçue comme le moyen le plus rapide d’amasser des richesses. Convaincus de cet état de fait, les acteurs, quelle que soit leur appartenance ethnique ou sociale, se lancent dans des compétitions rudes et sans règles de jeu. Et cela est censé être de la démocratie.
La démocratie admet, en effet, la possibilité de confronter les offres politiques de gouvernance aux attentes des populations. La démocratie est donc une bonne chose. D’abord parce qu’elle peut inciter les gouvernants à améliorer la gouvernance afin de satisfaire le peuple souverain. Ce dernier, pouvant procéder à un vote sanction pour retirer la légitimité et la légalité au pouvoir en place, est donc le détenteur du pouvoir ultime. Ensuite, parce qu’elle permet une certaine alternance à la tête des institutions de la république, la démocratie semble correspondre aux aspirations d’un peuple épris d’égalité des chances.
La prolifération des partis politiques permet donc d’impulser une dynamique de changement, d’alternance et surtout d’assurer la représentativité de la diversité d’opinions politiques. Cela est une bonne chose puisqu’en cas de conflit d’opinions, c’est la majorité qui l’emporte. Ainsi, le jeu semble-t-il facile à arbitrer. C’est dans cette logique que naissent et se poursuivent les républiques démocratiques.
La troisième république du Mali, née dans le sang, s’appuie sur la loi fondamentale de 1992. Cette Constitution, calquée sur le modèle français 1958, organise les modes de désignation et de transmission des pouvoirs publics. Elles déterminent les droits fondamentaux, les libertés et les institutions chargées d’en garantir le respect. La troisième république a donc mis en place les garanties premières d’une bonne gouvernance. Le peuple, souverain, peut se consoler d’avoir fixé à l’avance les critères de la légitimité et la légalité des institutions qui doivent garantir ses libertés et son épanouissement.
Pour influencer le choix des chefs capables de préserver les droits acquis, des leaders, ceux des multiples partis politiques en présence, s’affrontent régulièrement. Ce conflit révèle, le plus souvent, une certaine déliquescence de la morale républicaine. En vérité, la morale républicaine n’est qu’un pâle reflet de la morale des acteurs de la scène démocratique, de celle du peuple souverain. Sinon comment pourrait-on expliquer les injures faites à la nation par deux anciens ministres de la justice qui s’accusent mutuellement de vol et de corruption?. Tout cela se passe sur la place publique. Sinon comment pourrait-on expliquer que les mêmes acteurs, qui ont participé aux différents gouvernements des différents régimes décriés, se présentent comme des acteurs du changement ?
L’incivisme généralisé, la corruption endémique, les injustices sociales, le vol institutionnalisé et l’impunité n’ont pu progresser que parce que nous les avons cultivés et entretenus. Le paradigme de l’insouciance collective peut, toutefois, s’expliquer. La décrépitude du lien moral entre gouvernants et gouvernés (la perte du sentiment de redevabilité) créé des frustrations et encourage l’incivisme collectif. Les gouvernants et gouvernés sont unis par des liens sacrés qui font l’assise de la morale républicaine. Les premiers tiennent leur pouvoir et légitimité des seconds qui acceptent volontiers de se soumettre. L’autorité des uns n’a de sens ou d’intérêt que ce que les autres lui confèrent. Donc si le peuple n’a pas confiance au système, il n’y participe pas. Mais le peuple doit prendre conscience qu’il doit être le changement qu’il veut dans ce pays. Le nouveau Mali ne sera construit que par un modèle plus vertueux de malien où nous demeurerons dans la spirale des coups d’État. Les évènements récents en sont les parfaites illustrations.