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Migration irrégulière au Mali: Diéma se vide de ses bras valides
Publié le lundi 7 septembre 2020  |  L’Essor
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Ils sont de plus en plus nombreux les jeunes qui n’attendent plus la fin des travaux champêtres pour prendre le chemin de l’extérieur. Leur absence pèse lourdement sur les familles




Le phénomène est nouveau à Diéma ! De jeunes candidats à la migration clandestine et irrégulière n’attendent plus la fin des récoltes. Ils déposent délibérément leurs outils agricoles, avant même de finir les différentes phases de désherbage des champs. Ils partent, en catimini, à l’insu de leurs parents.

Ces départs vers l’inconnu ne font qu’accentuer l’insuffisance de bras valides dans cette bande sahélienne où l’agriculture et l’élevage demeurent les moteurs de l’économie locale. Selon des constats, le Cercle de Diéma enregistre, chaque année, un plus grand nombre de départs sur les chemins de la migration irrégulière. Près de 90% des jeunes, âgés de 18 à 25 ans, empruntent la route de l’incertitude ou « route de la mort », pour tenter de franchir, à leurs risques et périls, la Méditerranée.

Un vieil homme n’en finit pas de pleurer son fils disparu en mer. «Durant le temps qu’il a passé en Libye, explique l’homme du troisième âge, sur un ton nasillard, mon fils m’envoyait régulièrement de l’argent ». Son oncle lui avait trouvé une fille à marier. «Le jour où j’ai appris la mort de ce fils béni, je suis resté deux jours sans pouvoir avaler la moindre nourriture. La mort s’est trompée de cible. C’est moi qu’elle devait emporter à la place de mon fils», se lamente le père inconsolable.

La vieille Minétou, raconte que sa dernière communication avec son fils remonte au moment où il a posé le pied sur le bateau. « Je ne suis plus parvenue à le joindre au téléphone. Dès lors, le doute a commencé à m’habiter. Quelques jours après, mon frère qui réside en France, m’a informée de son décès», dit la maman endeuillée.

Dans une maison, à Nafadji, le chef de famille cache toujours la mort de son fils. «Si la nouvelle est sue, la mère et la femme du garçon seront anéanties», déclare-t-il.

La traversée de la Méditerranée ne fait plus peur à Wandé, ancien migrant, originaire de Torodo. D’ailleurs, il s’apprête à repartir en Libye. Il explique que son jeune frère a péri lorsque le bateau qui le transportait a chaviré. «De nombreux jeunes de Torodo ont succombé», déclare l’homme, venu renouveler sa carte d’identité à la préfecture de Diéma.

Cette fois-ci, il compte passer par Gao, dans le Nord du Mali, pour atteindre l’Algérie, D’après lui, les migrants ont moins de problèmes, sur cette piste, à part, quelques fois, les bandits qui les rançonnent. Par contre, l’itinéraire par la Mauritanie ne prospère plus, avec les mesures imposées par ce pays.

PHÉNOMÈNE CULTUREL- Dans la plupart des cas, les enfants soninkés s’en sortent. Dès leur bas âge, leurs parents leur apprennent à travailler, à adopter de «bons comportements», pour affronter les dures épreuves qui les attendent dans «les pays des Blancs». C’est pourquoi, certains soutiennent, qu’il est difficile de voir un migrant soninké fainéant.

Pour le départ, ils s’organisent en petits groupes de 3 à 5 pour effectuer le déplacement périlleux. Ils vont en Libye, pour atteindre ensuite l’Italie, la France, les états-Unis, etc, en passant par l’Algérie ou la Mauritanie, dans l’espoir de gagner de l’argent et aider leurs parents. Là-bas, ils créent des chaînes de solidarité et entreprennent, souvent, des actions de développement dans leur localité, à travers, notamment la construction d’écoles, de mosquées, la réalisation de forages, l’aménagement de barrages, le paiement des impôts et taxes, etc.

Malgré les efforts de sensibilisation contre la migration irrégulière par le ministère des Maliens de l’extérieur et ses partenaires, notamment l’Union européenne (UE) et l’Agence espagnole pour la coopération internationale et le développement (AECID), le nombre de départ vers les côtes, s’accroît, chaque jour, un peu plus.

Dans le Cercle de Diéma, les Communes de Diéma, Diangounté Camara, Lambidou, Fatao, Béma, Madiga Sacko et Diéoura, zones à majorité Soninkés reconnus pour leur grande mobilité, la migration est ancrée dans les habitudes et les coutumes. Elle fait partie de leur quotidien, de leur culture. Les enfants qui restent ont moins de considération dans la société. Rares sont les parents qui acceptent de leur donner leur fille.

Par contre, ceux qui parviennent à rentrer en Europe, ont droit à tous les honneurs. Aussi, le rêve de chaque parent, est-il d’avoir un fils à l’extérieur du pays, afin d’acquérir des moyens matériels suffisants et construire des maisons en dur.

Dans les localités à prédominance bambara, la migration s’opère de façon tempérée. Généralement, cette communauté privilégie le travail de la terre dont elle tire la majeure partie de ses revenus. à côté, elle pratique d’autres activités lucratives.

DRAME HUMAIN- En 2015, le bilan d’un naufrage survenu en Méditerranée a été macabre, avec 184 victimes dans la Région de Kayes. Parmi ces naufragés, 34 provenaient du Cercle de Diéma, endeuillant plusieurs familles.

Une enquête du Comité international de la Croix rouge (CICR), en partenariat avec le Comité régional de la Croix Rouge malienne de Kayes, dans plusieurs villages de la première Région, a révélé que des dizaines de migrants sont morts en Méditerranée.
Cette mission avait pour objectif de procéder au rétablissement des liens familiaux (RLF) afin de renforcer le mécanisme de mise en relation des parents avec leurs enfants, dont ils sont restés sans nouvelles.

La disparition de nombreux migrants a fait, aujourd’hui de nombreuses veuves. Les croyances locales qualifient ces pauvres femmes de porte-malheur. Elles sont stigmatisées, rejetées, souvent, par leurs beaux-parents. Aucun homme ne veut d’elles.
«Dans notre société, quand une jeune femme perd son mari, les hommes se méfient d’elle», laisse entendre Sédifo. «Cette femme qui porte la poisse est capable de tuer jusqu’à trois maris. C’est son quatrième époux qui la conduira dans sa tombe», poursuit l’homme, en ôtant de sa bouche, un morceau de cola.

En milieu soninké, avant de partir à l’aventure, on oblige le jeune garçon à prendre femme, pour lui faire subir le poids d’une certaine responsabilité vis-à-vis de sa famille et de la société. C’est pour faire en sorte qu’il n’oublie pas son village d’origine, qu’il se souvienne toujours de ses parents et qu’il évite de dépenser son argent dans les femmes.

Sékou, père de famille, témoigne que son fils n’a pas voulu partir, malgré la pression de ses camarades. «Il a décidé de rester pour m’aider à cultiver mes champs et à entretenir mes bêtes. Je ne peux que lui faire des bénédictions», dit-il.

REVENANT- Un colporteur explique que dans son village, on a annoncé la mort d’un jeune parti en Libye, le jour de sa sortie de la chambre nuptiale. Lorsque la nouvelle de son décès est parvenue au village, son épouse a été soumise au veuvage. Elle est restée un an après sans contracter de mariage, conformément aux coutumes. Plus tard, la pauvre femme a convolé en secondes noces avec un autre homme du village.

Un jour, à la surprise générale, le mari, dont le décès avait été annoncé, a fait irruption dans le village. Stupeur et stupéfaction dans la petite bourgade. Ce fut la débandade totale. Hommes, femmes et enfants, tous cherchaient à se réfugier pour échapper au revenant du Royaume des morts, qu’on qualifiait de démon. Les femmes agglutinées autour du puits, à l’entrée du village, n’ont pas perdu de temps pour disparaître dans la nature.

Depuis que le monde est monde, a-t-on jamais vu un homme mort ressusciter ? s’interrogèrent certains compères. Les langues se délièrent, la nouvelle, comme une traînée de poudre, gagna le village.

Lorsque notre homme a appris le mariage de son épouse avec un autre, il a décidé d’aller, lui-même, reprendre celle avec qui il a passé la lune de miel, bercé par la musique d’Alou Sam, artiste connu dans la contrée. L’aventurier est allé trouver son épouse, en cuisine pour le repas du soir. Il lui a ordonné de le suivre. Le refus de cette dernière a provoqué une dispute véhémente. Le «nouveau mari», rentré précipitamment, a trimballé son adversaire dehors, le rudoyant et l’abreuvant de coups comme un fou furieux. Pagne retroussé, la dame l’invectivait, en claquant des mains.

SENSIBILISATION- Joint par téléphone, Baraka Fofana, le coordinateur régional basé à Kayes pour le Projet d’information et de sensibilisation sur les risques et dangers de la migration irrégulière et de promotion de la libre circulation dans l’espace de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a indiqué que le projet contribue à l’orientation des jeunes vers les opportunités d’emplois, organise des campagnes de sensibilisation sur la migration irrégulière.

Le projet, financé par le ministère des Maliens de l’extérieur, en partenariat avec l’AECID et l’UE, appuie, également, des organisations de la société civile pour conduire des activités d’information et de sensibilisation sur la migration irrégulière.

Enfin, le projet compte renforcer l’espace migration et développement dans les différents cercles de la Région de Kayes.
Quant à l’équipe du chef du Service local du développement social et de l’économie solidaire, Kalifa Diarra, elle développe des stratégies pour fixer des jeunes migrants rentrés au bercail. Elle les organise en coopératives, leur dispense des sessions de formation sur la vie associative et les aide à monter des micro-projets.

Le 3ème adjoint au maire de la Commune rurale de Madiga Sacko, Adama Sambacke, affirme que dans sa localité, le nombre de jeunes volontaires pour la migration irrégulière a considérablement diminué. La mairie organise en associations les migrants de retour afin de leur permettre de bénéficier de financements, pour une meilleure réinsertion sociale.

La mairie poursuit ses activités de sensibilisation pour maintenir des jeunes dans les villages. L’élu regrette la mort de dizaines de jeunes ressortissants de la commune ces cinq dernières années.

La migration irrégulière, dans le Cercle de Diéma, a encore de beaux jours devant elle, à en juger par le nombre croissant de jeunes qui se ruent vers les côtes de la Méditerranée. Il est temps d’arrêter cette hémorragie qui déstabilise et paralyse des milliers de foyers.
L’état et ses partenaires doivent renforcer la sensibilisation pour freiner, ou du moins, diminuer le flux migratoire qui, si rien n’est fait, dans quelques années, videra tous les villages et hameaux du Cercle de Diéma de leurs bras valides. Ce qui constituera un véritable handicap pour le développement de ces zones rurales.

L’état et ses partenaires doivent, aussi, réorienter leurs financements pour permettre aux jeunes et aux femmes de créer des activités génératrices de revenus et améliorer davantage leurs conditions de vie.

Ouka BA
Amap-Diéma

Source : L’ESSOR
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L’Essor N° 17187 du 17/5/2012

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