Conformément aux Pouvoirs n°036/2019/BVG du 21 octobre 2019 et en vertu des dispositions de l’article 2 de la Loi n°2012-009 du 8 février 2012 abrogeant et remplaçant la Loi n°03-30 du 25 août 2003 l’instituant, le Vérificateur Général a initié la vérification financière des dépenses exécutées par l’Agence d’exécution des travaux d’entretien routier (Ageroute) sur le Fonds d’entretien routier au titre des exercices 2016, 2017, 2018 et 2019 (1er octobre). A l’issue de la vérification, la mission a constaté plusieurs irrégularités administratives et financières estimées à 895 512 029 Fcfa.
S’agissant de la pertinence de la vérification des défenses effectuées par l’Ageroute, le rapport rappelle que le Mali est un pays continental qui s’étend sur une superficie totale de 1 241 238 km2 et partage ses frontières avec sept pays, notamment avec un réseau routier classé de 89 024 km dont 44 routes nationales d’une longueur de 14 102 km. Et de poursuivre que n’ayant pas de débouché direct sur la mer, le désenclavement intérieur et extérieur du Mali est une préoccupation centrale des plus hautes autorités du pays. Ainsi, l’approvisionnement régulier et à moindre coût de la population en biens et services est fortement tributaire du niveau d’entretien de son réseau routier. A ce titre, le désenclavement extérieur du pays est fait spécifiquement à travers les principaux corridors afin de promouvoir le commerce transfrontalier.
Selon les structures techniques du département en charge de l’équipement et des transports, le diagnostic de la situation de l’entretien routier a fait ressortir, comme handicaps majeurs, la faiblesse des ressources destinées à l’entretien routier et l’inadaptation des procédures de mise en place desdites ressources. Ainsi, la création de l’Agence d’exécution des travaux d’entretien routier est le fruit des réformes institutionnelles intervenues dans le domaine de l’équipement et des transports pour mieux encadrer l’activité d’entretien routier et résorber le déficit de financement des besoins d’entretien routier qui demeure une préoccupation nationale. Aussi, l’importance de l’entretien routier dans le désenclavement et le développement économique du pays imposent aux plus hautes autorités un suivi régulier et constant des fonds mis à la disposition de l’Ageroute.
16 conventions exécutées sans quitus relatif à l’achèvement des travaux
Au chapitre des constatations et recommandations, la mission a révélé que celles-ci sont relatives aux irrégularités administratives et aux irrégularités financières. Ainsi, les irrégularités administratives relèvent des dysfonctionnements du système du contrôle interne, notamment la non mise à jour du manuel de procédures administratives, comptables et financières de l’Ageroute ; la signature des conventions de maitrise d’ouvrage non conformes ; l’ouverture des comptes bancaires sans l’autorisation du ministre chargé des finances où sont déposées les ressources pour son financement et les fonds d’origine extérieure, la non tenue des documents de la comptabilité-matières, la non-délivrance des quitus relatifs à la clôture des conventions de Maitrise d’Ouvrage déléguée. En effet, sur 16 conventions exécutées durant la période sous revue, l’Ageroute n’a pu fournir aucun quitus relatif à l’achèvement des travaux.
Selon le rapport, l’Ageroute n’informe pas les soumissionnaires non retenus et cette situation ne favorise pas la traçabilité de la mise en concurrence. Aussi, le directeur général de l’Ageroute a effectué des recrutements non conformes, alors que le Décret n°04-494/P-RM du 28 octobre 2004 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de l’Agence d’exécution des travaux d’entretien routier dispose, en son article 3, que le Conseil d’administration fixe l’organisation interne, l’organigramme et les règles particulières relatives à l’administration et au fonctionnement de l’Agence. L’article 18 du même décret note que le plan de recrutement de l’Ageroute est soumis à l’approbation expresse de la Tutelle.
De plus, la mission a constaté qu’il n’existe pas de plan de recrutement devant être soumis à l’autorisation expresse de la tutelle et que les postes pourvus n’étaient pas prévus par l’organigramme de l’Ageroute. “Les recrutements au titre de 2018 ont concerné trois agents dont deux chargés de projets et un communicateur puis un planificateur en 2019. Le recrutement du personnel sans autorisation préalable peut entraîner une indiscipline budgétaire”, a indiqué le rapport.
A en croire le rapport, le Dg de l’Ageroute a simulé une mise en concurrence lors de la passation d’un marché public. En effet, le manuel de procédures de l’Ageroute précise, en son point 7.5 relatif à la passation de marché des biens et fournitures par appel d’offres, qu’au-delà de 50 000 000 Fcfa, l’Agence devra appliquer les procédures d’appel d’offres telles que décrites dans le Code des marchés publics.
Avantages indus accordés au délégué du Contrôle financier
En ce qui concerne les irrégularités financières, la mission estime que le montant total des irrégularités financières s’élève à 895 512 029 Fcfa. Ainsi, il ressort que le Dg de l’Ageroute a attribué des marchés d’entretien routier en violation des procédures. Il s’agit du marché N°T1-ER4I-0118-7701/2018/Ageroute/MTD relatif aux travaux d’entretien courant de la RN17 (Gao-Ansongo- Labbezanga-Fleuve-Niger) d’un montant de 185 320 000 Fcfa dont le mandataire du groupement ne figure pas sur la liste des entreprises pré qualifiées de 2018 ; le marché N°T1-ER4I-0119-0701/2019/Ageroute/MTD relatif aux travaux d’entretien de la RN 16 (Wami-Gao) d’un montant de 682 788 970 Fcfa et le titulaire dudit marché n’a pas candidaté pour ‘appel d’offres ouvert n°01-DAO/Ageroute/2019 du 27 novembre 2018 relatif à la pré-qualification des entreprises pour les travaux d’entretien routier au titre du programme de l’exercice 2019. Ainsi, le montant total des marchés irrégulièrement passés s’élève à 868 108 970 Fcfa.
Toujours dans le chapitre des irrégularités financières, la mission de vérification a révélé que le Conseil d’administration a accordé des avantages indus au délégué du Contrôle financier alors que les délégués du Contrôle financier sont indépendants vis-à-vis des structures et organismes qu’ils contrôlent et relèvent de l’autorité du directeur national du Contrôle financier ou du directeur régional en ce qui concerne les délégués locaux. En effet, le délégué du Contrôle financier auprès de l’Ageroute perçoit une indemnité mensuelle de 300 000 Fcfa. Et le montant total des avantages indûment accordés, suite à cette pratique, s’élève à 14 700 000 Fcfa pour la période sous revue.
De plus, il a bénéficié de jetons de présence de 1 600 000 Fcfa pour la période sous revue alors qu’il n’est pas membre du CA de l’Ageroute et le montant total des jetons de présence irrégulièrement accordés et des avantages indûment accordés au Contrôleur financier se chiffre à 16 300 000 Fcfa pendant la période sous revue.
Et d’ajouter que le chef de la Division Recettes de la Direction des Grandes entreprises a minoré les droits d’enregistrement et le Dg de l’Ageroute a ordonné le paiement d’un contrat de marché irrégulièrement enregistré. La mission a constaté que le contrat de marché n°017/DAB-Ageroute 2016, d’un montant de 65 000 000 Fcfa, relatif à l’achat de véhicule a été enregistré par le chef de la division recettes de la Direction des Grandes entreprises pour un montant de 1 250 Fcfa contrairement aux dispositions légales qui exigent un taux de 3% du montant hors taxe, soit 1 950 000 Fcfa au lieu de 1 250 Fcfa. Le montant compromis s’élève à 1 948 750 Fcfa.
Marchés irrégulièrement enregistrés
S’agissant de la transmission et dénonciation de faits par le Vérificateur général au Président de la Section des comptes de la Cour suprême et au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la commune III chargé du Pôle économique et financier, elles sont relatives à la passation irrégulière de marchés pour un montant de 868 108 970 Fcfa ; au paiement d’avantages indus au Délégué du Contrôle financier pour un montant de 16 300 000 Fcfa ; à un contrat de marché irrégulièrement enregistré de 1 948 750 Fcfa ; au non reversement au profit de l’Armds de la redevance de régulation pour un montant de 325 000 Fcfa ; à la non-retenue de l’impôt sur le revenu foncier, de la Taxe foncière et de l’impôt sur les Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) pour un montant de 8 829 309 Fcfa.
En conclusion, le rapport indique que dans un contexte où le besoin d’entretien augmente de manière exponentielle et les ressources deviennent rares, les gestionnaires de l’Ageroute se doivent d’observer rigoureusement les règles et principes de gestion. Afin de rendre performante l’activité d’entretien routier et rendre plus efficace l’Agence, les plus hautes autorités ont accordé à l’Ageroute une dérogation au Code des marchés publics, suivant l’article 3 du Décret n°04-494/P-RM du 28 octobre 2004 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de l’Ageroute.
Toutefois, le rapport précise que l’État devrait envisager la programmation pluriannuelle qui est effectuée annuellement en même temps que la programmation annuelle dont elle constitue une étape. Cette programmation pluriannuelle pourrait viser à disposer d’une vue à long terme des besoins financiers et d’une stratégie d’entretien routier constamment mise à jour ; à prendre en compte l’évolution prévisible de l’état des chaussées ; à anticiper sur les besoins de remise en état du réseau.
L’État devrait également, dans la mesure du possible, élaborer un Système de gestion de l’entretien routier dont les objectifs pourraient, entre autres, rationaliser la programmation des travaux d’entretien routier ; optimiser l’utilisation des crédits alloués à l’entretien routier ; fournir aux gestionnaires les éléments de base permettant la communication avec les décideurs ; contribuer à l’amélioration pérenne de l’état du réseau routier ; assurer une coordination satisfaisante entre la construction ou la réhabilitation et l’entretien. Les travaux de vérification ont permis de mettre en exergue des faiblesses et dysfonctionnements relevant du contrôle interne, ainsi que des irrégularités à caractère financier.