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Après le coup d’État au Mali, les doutes de l’opération « Barkhane »
Publié le mercredi 16 septembre 2020  |  Le Figaro
Serval
© Autre presse par DR
Serval
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Dans l’attente d’un pouvoir acceptable à Bamako, l’engagement français risque d’être remis en question.

SAHEL Les honneurs funèbres mi-
litaires ont été rendus dans la plus

stricte intimité. Mardi en fin de
journée, le chef d’état-major de
l’armée de terre, le général Thierry
Burkhard, a présidé aux Invalides
la cérémonie en hommage aux
deux hussards tombés samedi près
de Tessalit au nord du Mali, très

loin du marigot politique de Ba-
mako. Ils ont été victimes d’un en-
gin explosif improvisé (IED). L’ar-
mée demeure toutefois vague sur

les circonstances exactes de l’atta-
que. Al-Qaida, qui contrôle la

zone, « a toujours une capacité de
nuisance résiduelle », dit-on. À

moins que « ce ne soit un IED dor-
mant posé avant la saison des

pluies », ajoute-t-on. Quoi qu’il en

soit, la menace terroriste est per-
sistante. « C’est une tragédie et en

même temps il faut poursuivre ce

combat », a déclaré lundi la minis-
tre des Armées, Florence Parly.

Depuis 2013, 45 soldats de l’opéra-
tion « Barkhane » sont morts au

Sahel.

La crise politique au Mali, consé-
cutive au putsch qui a renversé le

président Ibrahim Boubacar Keïta
le 18 août, n’a pas provoqué de
pause chez les terroristes, au
contraire. La semaine dernière, dix
soldats maliens sont tombés dans
une embuscade près de Guiré. Côté
français, 5 100 hommes sont toujours engagés pour contenir les
groupes djihadistes et les « mettre à

portée » des forces militaires ma-
liennes. Mais sans légitimité et sans

cadre politique clair, comment

continuer ? En attendant la répon-
se, les opérations se poursuivent en

séparant strictement l’antiterro-
risme des problématiques politi-
ques. « Donc, on continue », disait-
on au ministère des Armées il y a

quelques jours, après une réunion

des principaux partenaires inter-
nationaux engagés au Sahel. « Le

coup d’État avait rendu une discus-
sion nécessaire », ajoute-t-on.

Au sein du gouvernement, on

reste approximatif sur le délai ac-
cordé aux militaires maliens pour

transférer le pouvoir à un civil :
« Le plus tôt sera le mieux », dit-on

en déplorant « l’état d’imprépara-
tion » des colonels « dont le coup a

trop bien réussi ! ». « Ils n’ont pas

réfléchi aux personnalités auxquel-
les ils pourraient confier cette tran-
sition ! Or il y a un risque majeur de

remise en cause de tout le processus

qui a été mis en place », prévient-
on à Paris.

Lundi soir, la Communauté éco-
nomique des États d’Afrique de

l’Ouest a exigé de la junte militaire
la désignation d’un président de
transition avant le 15 septembre
pour une période de douze mois. Le

délai ne sera-t-il pas paradoxale-
ment trop court ? « Le Mali est ron-
gé jusqu’à la cale. Ce pays s’est effondré en raison de son

inconsistance politique. C’est une

révolution populaire qui s’est pro-
duite à Bamako », observe un an-
cien général. « Il ne faut pas trans-
poser nos modèles démocratiques »,

prévient-il en rappelant qu’après
le coup d’État de 2012, aucun problème structurel n’avait été réglé.
L’instabilité politique à Bamako
fait peser des doutes en cascade sur
« Barkhane ». Certes, la junte qui

s’est installée a juré vouloir respec-
ter les accords militaires interna-
tionaux en cours, y compris avec la

France. Mais Paris, comme toute la
communauté internationale, a

condamné le coup de force. Pru-
demment, le gouvernement n’a

toutefois pas demandé le retour
d’IBK. Son temps était passé. Le
processus politique au Mali avait
été « trop long à amorcer, c’était la
dimension la moins engagée depuis
le sommet de Pau », regrette-t-on
au sein du gouvernement. Or c’est
là que réside la résolution de la crise malienne, répète-t-on à tous les
étages de l’institution miliaire.
Trop faible, le pouvoir malien
n’était pas parvenu à restaurer

l’autorité de l’État. Le futur pou-
voir réussira-t-il mieux ?

À Paris, on jure avoir été « surpris » par la chute d’IBK. Ce qui fait hausser les sourcils de certains experts qui pointent dès lors une faille dans le renseignement... La plupart des officiers impliqués avaient été croisés par les responsables français. Le général Goïta, qui assume le nouveau leadership, avait effectué un stage de formation à Saumur. L’état-major français minimise ces liens. La France craint l’éclosion de rumeurs qui verraient la main de Paris dans les
troubles de Bamako.

Au nord et à l’est du pays, là où sévissent les groupes djihadistes les opérations militaires n’ont pas
été interrompues. « Il n’y a pas eu
de baisse de tempo, il n’y a pas eu

non plus de mouvement dans les casernes maliennes », explique le por-
te-parole de l’état-major, le colo-
nel Barbry. Les militaires maliens

n’ont pas suspendu leurs activités.

La tête de commandement a toutefois été renouvelée, avec notam-
ment la désignation d’un nouveau

chef d’état-major général. « L’objectif est qu’il n’y ait pas de vide sécuritaire qui aurait été préjudiciable », explique-t-on au ministère

des Armées. Les interlocuteurs de

« Barkhane » ont changé. Un pre-
mier contact a été établi durant le

mois d’août lors d’une rencontre

informelle entre la junte et l’ambassadeur de France au Mali, ac-
compagné du commandant de la

force « Barkhane », le général Marc
Conruyt, qui a pris ses fonctions cet
été.
Pour l’état-major français, la
crise malienne est une catastrophe
risquant d’anéantir la dynamique

positive qui s’était enclenchée de-
puis le début de l’année. L’opéra-
tion coup de poing menée par

« Barkhane » dans la région des
« trois frontières » avait permis
d’affaiblir l’État islamique au grand
Sahara, désigné en janvier comme
l’adversaire principal. En moins
d’un an, « Barkhane » a neutralisé
presque autant de djihadistes que
durant les années précédentes. Les
partenaires européens de la France
commençaient aussi à s’investir

sur le terrain. La task force « Taku-
ba », composée de forces spéciales

européennes, avait fait ses pre-
miers pas avec l’arrivée d’un

contingent estonien à Gao. Des forces tchèques, cet automne à Mena-
ka, puis suédoises l’année prochai-
ne devaient suivre. Et d’autres

encore, espérait-on à Paris.
« Mais la situation donne de la

matière à tous les pays européens

qui ne veulent pas s’engager au Sa-
hel », souligne un député européen

qui suit le dossier de près. Le gou-
vernement français a donc fait

œuvre de pédagogie en soulignant
les risques à créer un vide qui profiterait soit aux groupes terroristes,
soit à d’autres puissances, comme
la Russie, moins scrupuleuses mais
prêtes à épauler l’État malien. En
attendant, des activités ont déjà été

mises en pause. La mission de for-
mation des forces maliennes

EUTM, pilotée par l’Union euro-
péenne, était suspendue depuis

l’irruption du Covid-19. Elle le res-
tera « jusqu’à ce que les conditions

permettent de la reprendre », dit-on
à Bruxelles.

Dans l’attente d’un pouvoir ac-
ceptable à Bamako, l’engagement

français va de nouveau être mis en

question. Sept ans après l’opéra-
tion Serval, les opérations militai-
res ont contenu les groupes terro-
ristes sans tarir leur vivier,

suscitant un éternel débat sur l’en-
lisement de l’opération. Au minis-
tère des Armées, la possibilité d’un

retrait à moyen terme est balayée.
Mais avant l’été, le chef de l’État
Emmanuel Macron évoquait déjà
des « décisions à prendre » durant
les prochains mois. Le coup d’État

au Mali les rend encore plus néces-
saires, quelles qu’elles soient. ■
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