Le 17 septembre dernier, le général de l’armée américaine Stephen Townsend, chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom), a rencontré le général François Lecointre, chef d’état-major de l’armée française, et d’autres hauts responsables français pour discuter de la «poursuite de la coopération franco-américaine en Afrique», selon une déclaration publiée par Africom.
L’information est capitale en ce sens qu’elle permet de dégager une vision de l’avenir sécuritaire du Sahel africain et de savoir si le président Donald Trump maintiendra les niveaux de troupes américaines en Afrique ou les réduira comme cela avait été annoncé précédemment.
Les déclarations, les objectifs et les stratégies mises en place, de part et d’autre, permettent déjà de situer les enjeux et connaitre les acteurs sécuritaires de demain. Aussi, penser une seule seconde que les Etats Unis quitteront l’Afrique relève de l’ignorance totale des enjeux que constitue le continent africain.
Les bases de drones américains au Sahel, notamment à Agadez, au Niger, la guerre économique que se livrent sur tout le continent, les Etats Unis et la France, d’un côté, la Russie et la Chine , de l’autre, les contingents de militaires déjà opérationnels, les équipements déployés et les objectifs tracés, poussent à penser que la présence du duopole franco-américain, liée à plusieurs motifs, va s’inscrire dans la durée.
Si Trump n’est pas un champion de la guerre directe, il est par contre un partisan de la guerre de sous-traitance. La France agissant dans ses anciennes colonies, dans une aire de jeu francophone, avec des présidents qui lui sont souvent proches (l’agitation actuelle de Macron est aussi à inscrire sur le compte de la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, un président proche de l’Elysée), fait bien l’affaire, et peut de ce fait, bénéficier de tout l’appui logistique, politique, diplomatique et de renseignement des Américains.
Le général Townsend a été clair : «La France est le plus ancien allié des États-Unis et un chef de file dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. Nous partageons des menaces communes, des préoccupations mutuelles et un engagement à lutter contre les organisations extrémistes violentes.»
Les comptes rendus détaillés livrés par la presse américaine spécialisée confirment que les États-Unis ont fourni le ravitaillement en vol, le renseignement, la logistique, la formation et le soutien par drone à la campagne antiterroriste de la France en Afrique de l’Ouest. L’Africom a noté que la collecte de renseignements américains avait «contribué à faciliter» les efforts français au Sahel, saluant l’opération française qui a abouti à la mort du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, Abdelmalek Droukdel, en juin 2020.
Le soutien américain aux Français a été particulièrement important dans l’ancienne colonie française du Mali. L’administration Trump a ordonné au Pentagone de se concentrer sur des rivaux proches de ses pairs tels que la Russie et la Chine. Dans un tel contexte, l’Afrique est considérée comme une menace moins directe et Washington estime que l’Afrique devrait être laissée à la France et à l’Union européenne. Cependant, alors que la Chine et la Russie se disputent une présence africaine plus importante, les Français espèrent que les États-Unis changeront de politique et s’impliqueront plus dans la contre-offensive pour déloger Russes et Chinois du continent. Aussi, et bien que certains responsables américains aient indiqué plus tôt cette année qu’un retrait des troupes était envisagé, aucune mesure concrète n’a été annoncée et l’Africom a déclaré que les États-Unis n’abandonneraient pas l’Afrique.
« Ce qui se passe en Afrique de l’Ouest affecte l’Afrique, l’Europe et l’Amérique», a déclaré Townsend à propos de la situation au Sahel. « Le maintien du leadership français et le soutien accru de leurs voisins européens sont essentiels pour aider les Africains à changer de trajectoire et à prévenir la propagation de la violence en Afrique de l’Ouest ».
Il y aura certainement changement de tactique de la part des Américains au Sahel ; la décision de déloger Africom d’Allemagne, le recentrage sur la guerre économique sur le sol américain d’abord, la sous-traitance avec la France, les récentes visites du commandement d’Africom en Tunisie, les casernes militaires construites dans plusieurs pays africains, les bases de drones opérationnels depuis plusieurs années déjà, plaident en faveur d’un changement de stratégie certes, mais non d’un départ réel.
Les visées américaines du moment sont le secret de l’armée seule ; même Trump lui-même en est soigneusement éloigné, en attendant les résultats de la prochaine présidentielle. La France va renforcer sa présence au Sahel et travaillera « pour deux », les intérêts américains seront fortement protégés et défendus par les contingents français, qui bénéficient, outre 5 100 soldats au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane, son opération anti-jihadiste dans la région, d’un groupe de travail d’opérations spéciales Takuba, soutenu par l’UE, qui travaille par, avec et à travers les forces militaires du G5 Sahel.
Ainsi, les contingents militaires étrangers attireront les groupes djihadistes de tout bord comme l’aimant attirerait le fer, les crises persisteront et aboutiront encore et encore à des guerres locales, guerres miniatures contrôlables par le seul jeu des stratégies des puissances.