Les Maliens ont les nerfs à fleur de peau. Normal en raison de l’embargo de la Cedeao et les incertitudes qui planent sur la mise en place des organes de la Transition. Pour beaucoup de nos concitoyens, les trois journées de concertation des 10, 11 et 12 septembre 2020 n’auront servi qu’à exacerber les divergences entre les citoyens fortement échaudés par l’eau bouillante des ruses politiciennes. Les plus pessimistes redoutent même que le pays est cette fois-ci tombé irrémédiablement bien plus bas qu’on ne pouvait l’imaginer.
L’humour étant la politesse du désespoir, le doyen Magma Gabriel Konaté a même conçu une vidéo dans laquelle il s’est autoproclamé président de la République afin de fustiger les désespérantes manœuvres politiques en train d’alourdir le climat de suspicion enveloppant la vie nationale. Puisque, à son avis, comme le pensent aussi tous les Maliens, l’heure étant grave, il n’a pas fait dans la dentelle, dénonçant l’imbroglio avec des mots parfaitement choisis.
Lion du moment, le Cnsp se voit défini comme étant la Compagnie nationale des Sciences poudrières en raison de ses tergiversations et de son manque de pragmatisme. On est effectivement dans l’angoisse depuis le retour des colonels de la junte à Bamako, après leur rencontre à Accra les 14 et 15 septembre avec les chefs d’État de la Cedeao. Ces derniers n’ayant pas bougé d’un iota quant à leurs exigences d’un Président et d’un Premier ministre, tous civils, pour diriger la Transition malienne, la charte concoctée à cette fin par la junte devenait ipso facto caduque. On semblait bien revenu à la case de départ, comme si les concertations nationales n’avaient effectivement servi à rien. Mais ce sont surtout les militaires qui étaient désormais mis devant une seule alternative, douloureuse pour eux : se plier à la décision de la Cedeao et nommer un président et un Premier ministre civils, ou se rebeller carrément et appliquer leur charte de transition, avec le risque de prolongation des sanctions édictées par l’organisation sous-régionale. Nous étions donc en pleine impasse, soupiraient bien des Maliens.
Mais « à quelque chose malheur est bon », vieux dicton. Le médiateur attitré de la Cedeao dans la crise malienne, Goodluck Jonathan, devrait être illico à Bamako pour observer si les injonctions de son organisation seront respectées. Cette énième mission, sans avoir fait l’objet d’une annonce officielle, a été ajournée, signe que les lignes bougent dans le bon sens. En effet, le Cnsp semble bien être revenu au salutaire realpolitik en prenant vite langue avec le M5-RFP, mouvement qui a réussi à ébranler les fondements du régime d’IBK et qui garde ses bases intactes, organisation politique incontournable donc. La glace est ainsi brisée par la force des choses entre le Cnsp et le M5-RFP et les colonels sont même apparus comme engagés dans une volonté, non plus de confiscation du pouvoir, mais de manœuvre de rectification de la tendance qu’ils avaient imprimée au cours des événements dès le lendemain de l’arrestation du président Ibrahim Boubacar Kéita, en tentant de confiner le M5-RFP dans un isolement assassin. Est-ce parce qu’ils s’étaient laissés envahis par de vieux vautours de la politique malienne qui avaient su les manipuler ou est-ce parce qu’ils ont été tout simplement de vrais complices des fripouilles de politiciens qui ont cru qu’ils pouvaient prendre le pouvoir et se mettre à l’abri des conséquences de leurs nombreuses turpitudes ? Question difficile à répondre pour l’heure, mais bien de délinquants à col blanc ont été observés dans les allées de Kati, nuitamment surtout.
Tout compte fait, le vendredi et le samedi derniers, deux rencontres entre les deux tombeurs du régime d’IBK, le M5-RFP et le Cnsp, même si rien n’a filtré, ont suscité beaucoup d’espoir quant à un gentlemen’s agreement. Aucun clash n’ayant été entendu, encore moins d’étalage de divergences entre les deux parties, tout porte à croire que les échanges ont été civilisés et prometteurs. Du reste, le M5-RFP, s’il avait été contrarié, l’aurait fait savoir. On peut donc légitimement croire qu’un accord de taille est dans l’ordre des choses et qu’il faut bien aider le Cnsp à lever le pied sur ses velléités de conservation du pouvoir. Le comité stratégique du M5-RFP est suffisamment expérimenté pour conduire à une sortie de crise qui ne déshonore point les militaires. Condition idoine qui permettra au colonel Assimi Goïta d’honorer sa promesse faite sur sa page officielle Facebook : “Sur mon honneur, je ne trahirai jamais mon insigne, mon intégrité, mon caractère ou la confiance du public. J’aurai toujours le courage de me tenir responsable de nos actes et des autres.