Ouf ! Le Mali retrouve enfin le chemin de la normalité. Le soulagement de nombre de nos compatriotes n’était pas feint lorsque le président de la transition a prêté serment, vendredi dernier. Un sentiment de satisfaction, mêlé au doute raisonnable, s’est fait jour, à l’écoute du discours d’investiture de celui qui présidera aux destinées de notre pays durant les 18 prochains mois.
La première intervention officielle du président Bah N’Daw fut le reflet de l’image de rigueur et de droiture qu’il renvoie dans l’opinion. Gestion vertueuse, lutte contre l’impunité, renforcement des capacités de l’armée, affirmation de l’autorité de l’État, élections transparentes… difficile d’en dire plus sur les préoccupations de l’heure dans notre pays. Et le ton, un brin martial, préfigure un leadership affirmé.
À présent, place aux actes car il y a loin entre le projet et sa réalisation, entre le désir et sa satisfaction. Comme on reconnait le maçon au pied du mur, le souhait des Maliens est de voir un véritable leader aux commandes. La gestion vertueuse que le colonel-major à la retraite a annoncée exige des dirigeants de se poser constamment en exemples. Notre sagesse populaire exprime joliment cette exigence de droiture des leaders avec un adage fort imagé : «les pintades fixent la nuque de celle qui ouvre la voie».
Quant à la lutte contre l’impunité, le nouveau président l’a évoquée avec un sens de la formule qui laisse penser qu’il en a bien appréhendé la complexité. Le président Bah N’Daw semble avoir intégré que la croisade contre la corruption n’est pas une entreprise gagnée d’avance. Voilà pourquoi il s’est engagé pour «zéro impunité», tout en se gardant de promettre «zéro corruption».
En revanche, concernant la gestion des deniers de l’Armée, il s’est libéré de toute forme de réserve, s’engageant résolument sur un terrain qui ne lui est pas étranger. Le militaire à la retraite veut enfiler l’uniforme pour conduire la troupe, sabre au clair, à l’assaut de la citadelle de la gabegie au sein de la Grande muette.
En déclarant la guerre contre l’incurie, il a dénoncé, tout haut un phénomène jusque-là évoqué sous forme de murmures dans les rangs de l’Armée et dont les civils n’osent parler qu’après s’être assurés qu’un haut gradé ne traine pas dans les parages. Tout le monde en convient : une armée minée par des suspicions entre la troupe et le commandement et émasculée par la livraison de la camelote comme matériel de guerre, ne saurait «gagner totalement et durablement» une guerre.
Le président Bah N’Daw s’est affiché aussi en homme profondément pénétré des vertus de la démocratie. Plutôt rassurant son engagement à renforcer les fondements de notre démocratie, en veillant scrupuleusement à un jeu électoral débarrassé des scories des «coûts astronomiques, de la fraude, de l’achat de voix, de l’incursion de l’administration dans le processus électoral, de la perversion des résultats par les cours d’arbitrage».
Le nouveau président est bien conscient qu’il a fort à faire pour remettre le Mali sur les rails de l’ordre constitutionnel normal et l’orienter vers l’horizon d’une démocratie apaisée. Il sait la tâche herculéenne, tant et si bien qu’il est prêt au sacrifice suprême pour la réaliser. Réflexe militaire !
Les qualités martiales, il en aura certainement besoin pour la réussite de sa mission. Le président Bah N’Daw devra faire preuve, non seulement d’autorité, mais aussi de tact pour asseoir une gouvernance éthique, un équilibre des pouvoirs, un pacte social assis sur la volonté commune des acteurs sociopolitiques. La gouvernance éthique renvoie au rôle d’exemple de probité des dirigeants et aussi à l’exigence d’impartialité entre les compétiteurs électoraux.
L’équilibre des pouvoirs fait obligation à l’exécutif d’accepter de faire de la place aux contre-pouvoirs. Quant au pacte social, il exige de trouver un modus vivendi contre le corporatisme exacerbé, à l’origine des grèves incessantes. Le dénouement de la grève des enseignants ne manquera pas d’ouvrir un cycle de surenchères dans les revendications catégorielles. Une perspective grosse de remous sociaux.
Les écueils ne manqueront pas sur le chemin du pouvoir intérimaire. Le premier porte sur la situation inédite de la désignation d’un vice-président. Les deux personnalités auront très peu de bonnes pratiques à tirer de l’expérience institutionnelle malienne. Il leur faudra en inventer et aussi en importer d’ailleurs tout en les acclimatant. Une parfaite entente, une complicité, une estime mutuelle et des champs de compétence bien balisés, permettent d’éviter de faire naitre un soupçon de bicéphalisme pouvant nuire à la réalisation des gros chantiers.
Aussi, les dirigeants de la transition auront dans les oreilles les chants fort tentants des sirènes du populisme et du chauvinisme à la petite semaine. Les déclarations du président Bah N’Daw donnent l’assurance qu’il sera sourd à ces tentations. En témoignent l’annonce de la judiciarisation des dossiers de la lutte contre la corruption et le respect des engagements internationaux du Mali. De quoi mettre dans l’inconfort les tenants de la vaine querelle contre la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao).
Le président Bah N’Daw tente de conforter aussi une partie de nos compatriotes, en chassant de leur esprit le sentiment de marginalisation instrumentalisé par les milieux séparatistes. Son invite à chaque citoyen d’apporter sa pierre à l’édifice national sonne comme une exhortation à sortir des postures de singularisation.