Bah N’Daw a prêté serment vendredi 25 septembre 2020 comme président de la transition (18 mois), est un militaire à la retraite. L’homme marque une certaine rupture avec l’ancien régime. Pour Boubacar Traoré, directeur Afriglob Conseil, spécialiste des questions de sécurité et de développement dans le Sahel, il était difficile de trouver meilleur choix que Bah N’Daw dans le contexte malien actuel.
L’orthographe exacte de son nom est BAH N’DAW, et nom M’Ba Daou, ou Ba Dao ou encore M’Bah N’Daw…Le nouveau Président de la transition malienne désigné par un collège de 17 membres, le 21 septembre 2020 est connu pour être un homme intransigeant sur ses convictions.
Originaire de San dans le centre du Mali, Bah N’Daw est né en 1950 et a choisi très vite le métier des armes. Il est issu de l’ethnie Miniaka, tout comme son vice-président le Colonel Assimi Goïta, les membres de cette ethnie sont connus pour leur grand sérieux. Bah N’Daw s’est fait connaître du grand public malien en démissionnant du poste d’aide de camp du président Moussa Traoré en décembre 1990. Quelques mois plus tard, en mars 1991, celui-ci fut renversé par un coup d’État. Par principe, l’ex aide de camp n’a pas voulu participer au putsch contre son ancien chef. De nombreux militaires maliens estiment que s’il était resté au service du Président Moussa Traoré celui-ci n’aurait pas pu être renversé.
Une formation militaire classique
Par sa grande taille (environ 1m95) et sa tenue toujours impeccable, il incarne l’exemplarité au sein de l’armée. Dans les années 80, les militaires du pays jouissaient d’une bonne image. Bah N’Daw fut formé à l’École Militaire Inter Armes (EMIA) de Koulikoro à 60 km de la capitale Bamako. Officier de l’armée de l’air, il poursuivit sa formation en Union Soviétique, notamment à Kirghizie et au Kazakhstan. Il est pilote d’hélicoptère. Ensuite, il passa par la France à l’école de guerre en 1994. Comme de nombreux officiers supérieurs de l’armée malienne ayant débuté leur carrière dans les années 70-80, Bah N’Daw garde un bon souvenir de l’URSS. Il accompagna pendant longtemps le Président Moussa Traoré dans ses déplacements en URSS et a donc suivi tous les accords de coopération militaire entre les deux États. Désormais Président de la transition malienne à un moment où les questions sécuritaires sont plus que jamais d’actualité, Bah N’Daw devra adopter pour une démarche pragmatique et réaliste en tenant compte de l’évolution constante du contexte géopolitique. La Russie n’est plus l’URSS et le Mali n’est pas la Syrie.
Un homme fidèle à ses principes
Au Mali, son comportement inflexible n’étonne pas, car cela est symptomatique des Miniakas. Ses promotionnaires disent de lui qu’il est courtois, humble et agréable à la discussion. Dans les différents services où il est passé, il a fait preuve de compétence et de sérieux. Sous le Président Moussa Traoré, il opéra un changement du plan de sécurité qui est resté dans la mémoire de nombreux militaires. Il a occupé de nombreux postes de responsabilité. Il fut entre autres, directeur du génie militaire, chef d’état-major de l’armée de l’air. Il démissionna de ces postes pour divergence de point de vue avec la hiérarchie. En 2012, il fut admis à la retraite, avec le grade de Colonel-major, dernier palier avant le grade de Général de brigade. En 2014, il fut appelé par le Président Ibrahim Boubacar Keïta pour occuper le poste de ministre de la défense, beaucoup de maliens ont alors scandé « pas de démission cette fois-ci ». Peine perdue, il ne resta que 7 mois en poste. Un responsable politique, m’a confié que lorsque Bah N’Daw était ministre de la défense, lors d’une audition devant la commission défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale, il pleura en évoquant la situation de l’armée malienne. Sa volonté a toujours été de rétablir la fierté de cette armée. Désormais décideur ultime, il s’attaquera en priorité à la réforme du secteur de la sécurité. Il sera confronté à de nombreux défis au sein des forces armées maliennes, dominées par une nouvelle génération d’officiers supérieurs. Réputé incorruptible, il aura à cœur de faire oublier les scandales de corruption au sein de l’armée.
Construire un équilibre agissant
Le Mali fait face à de nombreux défis internes et internationaux du fait de la présence de nombreux partenaires étrangers dans le pays. Sur le plan interne, Bah N’Daw hérite d’un pays au bord du gouffre, avec des tensions économiques, sociales, sécuritaires, politiques et institutionnelles. La dissolution de toutes les institutions par le président Ibrahim Boubacar Keïta avant sa démission a laissé un vide important. Il va falloir tout reconstruire et reformer le pays en vue d’organiser des élections crédibles dans 18 mois. L’État doit apporter des réponses concrètes et rapides aux différentes revendications comme celle des enseignants pour remettre l’école sur pied. Également, il faudra rapidement se pencher sur la situation des paysans afin de relancer ce secteur hautement stratégique qui occupe près de 70% de la population. Malgré la pression exercée par des associations proches de la Russie, les nouvelles autorités ont tenu à rappeler la nécessité de la poursuite de l’opération Barkhane. C’est Bah N’Daw qui a signé l’accord de coopération militaire avec la France en 2014. Il connait l’utilité de l’engagement français dans le pays. Il doit également rassurer l’Algérie qui s’est dite frustrée par l’attitude de la CEDEAO qui ne l’a jamais consulté pendant cette crise politique ayant conduit au coup d’État du 18 août 2020. Il faut rappeler que l’Algérie, assure la présidence du Comité de Suivi de l’Accord de paix de 2015. Les deux pays ont également en commun une frontière de plus de 1000 km et l’Algérie assure le ravitaillement en denrée alimentaires de tout le septentrion malien, principalement les régions de Kidal, Taoudeni, Ménaka, Gao et Tombouctou. Elle soutien de manière importante l’armée malienne en opération loin de ses bases. L’Algérie est un partenaire incontournable et le Président N’Daw doit s’en rapprocher très rapidement.
Rétablir la confiance entre l’Etat et les citoyens
Il était difficile de trouver meilleur choix que Bah N’Daw dans le contexte malien actuel. La classe politique est complètement décrédibilisée par des scandales de corruption à répétition et la CEDEAO avait mis le pays sous embargo jusqu’à la mise en place d’une transition civile. Bah N’Daw est un militaire à la retraite qui a regagné la vie civile, mais ce qui fut surtout salué par la population malienne, c’est le fait qu’il marque une certaine rupture avec l’ancien régime qui s’est caractérisé par des scandales de corruption à répétition. Bah N’Daw jouit d’une belle réputation d’homme intègre, sérieux et surtout incorruptible. Lorsqu’il était ministre de la Défense, il n’hésitait pas à faire retourner les cadeaux que les opérateurs économiques locaux lui faisaient parvenir. Autre point important, les militaires ne pourront pas exercer de pression sur lui, il est très respecté pour son sens élevé du devoir. C’est un homme à poigne qui aura pour volonté de défendre son honneur en réussissant cette transition. Pour y parvenir, il sera cependant obligé de faire des concessions sur sa posture d’homme inflexible. Il devra écouter, négocier et décider. Secondé par le Colonel Assimi Goïta, comme vice-président en charge des questions sécuritaires, ils devront trouver la bonne architecture pour relancer le pays et rassurer les partenaires présents pour le soutien à la stabilisation du pays.
Boubacar Traoré
(directeur Afriglob Conseil, spécialiste des questions de sécurité et de développement dans le Sahel)