L’ancien ministre malien des Affaires étrangères, emprisonné plusieurs fois comme leader estudiantin et syndicaliste sous Moussa Traoré, évoque la mort du premier militaire à avoir fait un coup d’État au Mali et celle, dramatique, de Modibo Keïta,président chassé du pouvoir en 1968. Un plaidoyer en faveur de la démocratie et de l’État de droit qui est aussi la première prise de parole publique de l’ancien ministre depuis le putsch du 18 août.
Réagissant au décès du président Moussa Traoré, mon ami, l’ancien leader estudiantin Djiguiba Keïta, exilé politique de 1983 à 1991, a confié à RFI : « Pour moi, la mort de Moussa Traoré est un non-événement. » Auteur du premier putsch de l’histoire du Mali contemporain, le président Moussa Traoré a gouverné pendant 22 ans, quatre mois et une semaine. Ayant fait basculer l’évolution politique, économique, sociale et culturelle du pays dans la matinée du 19 novembre 1968, il laissera des traces indélébiles dans l’histoire de la nation malienne. Pour ces raisons, et pour d’autres, sa disparition ne saurait être un non-événement.
Je me réjouis du fait que le président ait eu la chance et le bonheur de mourir dans sa résidence, entouré de son épouse, de ses enfants et petits-enfants. Grâce aux libertés démocratiques conquises dans le sang des martyrs de janvier et mars 1991. Grâce aux acquis de la révolution, grâce à l’esprit de mars et à l’État de droit instauré à la faveur du changement de régime, le président a été traité, après son arrestation dans la nuit du 25 au 26 mars 1991, avec le respect inhérent à la dignité humaine et la considération due à son rang passé.
Démocratie et humanisme
Dix années durant, le général Moussa Traoré a été détenu dans des conditions acceptables, respectueuses des règles. N, ni traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni injures, ni manque de respect de la part de ses geôliers.
Au cours de deux procédures judiciaires engagées contre lui, l’une sur les crimes de sang, l’autre sur les crimes économiques, Moussa Traoré a eu droit à des procès équitables au cours desquels le principe du contradictoire et les droits de la défense ont été largement respectés.
C’est au nom de l’idéal cher au Mouvement démocratique tant vilipendé en ces temps, que la peine capitale prononcée contre lui a été commuée en détention à perpétuité.
C’est au nom du même idéal de démocratie et de réconciliation nationale que le président Alpha Oumar Konaré a gracié, en 2001, le général Moussa Traoré et pris des dispositions pour l’installer dans des conditions respectueuses de son statut d’ancien président de la République.
C’est, donc, grâce aux convictions démocratiques et à l’humanisme des responsables de la troisième République que le président Moussa Traoré a pu vivre pendant 19 ans en liberté, au milieu des siens, et mourir tranquillement dans sa famille. Il a, ainsi, eu amplement le temps de raconter à ses petits-enfants ses hauts faits de stratège, de tacticien et d’officier habile.
Le calvaire de Modibo Keïta
Malheureusement, son prédécesseur, le premier président du Mali indépendant, père de l’Indépendance, n’a pas eu cette chance. Modibo Keïta est mort le 16 mai 1977 dans des circonstances qui n’ont toujours pas été élucidées. Il est mort dans une cellule exiguë du camp de parachutistes de Djikoroni, huit ans et six mois après son arrestation le 19 novembre 1968, après avoir connu les geôles des camps militaires de Kati, Sikasso et Kidal. Il est mort, ce jour-là, sans aucune considération pour son rang, sans aucun respect de la dignité humaine.
Comme lui, le président de l’Assemblée nationale, les membres du gouvernement, des parlementaires et de nombreux hauts cadres du pays ont été maintenus en détention des années durant, sans jugement et, très souvent, ont été soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
À TAOUDENIT, LA CRUAUTÉ DES GEÔLIERS ÉTAIT SANS LIMITE
Plusieurs dirigeants civils et militaires, y compris les propres compagnons d’armes et de putsch du général Moussa Traoré, ont péri dans des conditions infra-humaines, dans l’une des pires prisons du monde : le camp pénal de Taoudenit. Dans ce véritable enfer sur terre, situé à 750 kilomètres au nord de Tombouctou, dans le Tanezrouft malien, l’une des régions les plus inhospitalières de la planète, les prisonniers étaient soumis aux travaux forcés dans les mines de sel jusqu’à épuisement, sous une chaleur accablante.
Ils dormaient à même le sol, dans la poussière et le sable, sans aucune protection contre les morsures des froides nuits dans le désert. Sous alimentés, pour beaucoup atteints du béri-béri, les détenus s’y nourrissaient des rats, lézards ou margouillats qu’ils parvenaient à attraper parfois. Et pour boisson, ils n’avaient accès qu’à de l’eau saturée de sel.
Une trop longue liste
À Taoudenit, la cruauté des geôliers était sans limite. Les prisonniers étaient battus jusqu’au sang, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Déshumanisés, les morts étaient chargés sur des brouettes pour être enterrés sommairement, sans sépulture décente. Et Taoudenit n’était qu’une des nombreuses prisons du régime : Kidal, Tessalit, Aguel-hock, Bouressa, Ménaka, Inakounder… La liste est trop longue pour les citer toutes.
Trop longue, aussi, la liste des victimes. Citons Cheikh Oumar Tangara, leader étudiant à Dakar, expulsé par les autorités sénégalaises en 1971, et Abdoul Karim Camara, secrétaire général de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) morts sous la torture au camp des parachutistes de Djikoroni, cet autre haut lieu de détention pendant ces années sombres.
Tel était le Mali sous le président Moussa Traoré. Son décès, dans son lit, confirme la supériorité du projet humaniste porté par le Mouvement démocratique dont les combats ont conduit, en 1991, à l’instauration du multipartisme et de l’État de droit. Nous devons tous, ensemble, tout faire pour préserver le cadre démocratique et républicain, les valeurs de mars et l’État de droit.