Binta baissait la tête, sa voix aussi avait baissé qu’elle était inaudible, étouffée par l’énergie consentie à se donner des coups de vent au moyen d’un pagne pendant que ses jambes étaient maintenues bien écartées.
Binta avait quelques jours auparavant troué la porte. Via cet orifice, elle observait, écoutait. Les paroles se perdaient dans le bruit, dans les plaintes qu’elle assimilait à l’orgasme de femme à qui on faisait l’amour. Le piment mettait du feu à la bouche d’Abdou qui n’en était jamais amateur. Sous l’effet d’une méchante grippe, il s’était résolu de recommander à Hawa d’en mettre un peu dans le repas servi. Là, suffoqué, haletant, Abdou allumait le briquet qu’il promenait devant ses lèvres, histoire d’en atténuer les effets.
Binta de son poste d’observation croyait dur comme le fer que les deux venaient de faire l’amour, que sa coépouse pimentait son sexe, secret dont elle n’avait jamais pipé mot avant leur brouille. Puisqu’elle savait tout maintenant, sa présence à son poste d’observation n’était plus utile. Le dernier acte à accomplir était d’attendre ses deux nuits qui commençaient le lendemain.
Binta reculait avec tant de précaution qu’elle redoutait le craquement de ses pieds sur les feuilles sèches détachées des arbres, mais tout en reculant. Elle ouvrait doucement la porte de sa chambre et daignait se coucher. Une fois au lit, elle payait son tribut à la rêverie : la rêverie du bon piment capable de décupler l’envie de son homme et de faire chuchoter elle, de quoi donner la force de frappe du lion à Abdou qu’elle promettait de vider de toute sa semence au bout de ses deux nuits afin qu’il ne fût d’aucune utilité à ses coépouses.
Curieuse nuit en vérité qui les faisait retrouver autour des plats fins, arrosés de jus de gingembre avec en prime un paquet de cigarettes. Binta ne se privait pas, ayant l’impression malgré ses trente quatre ans – comme toutes les vraies amoureuses – qu’il était très loin d’elle dès qu’il n’était pas à ses côtés. Elle était très élégante ce soir, avec sa jupe noire fendue surmontée d’une chemisette blanche, un collier pendait à son cou. Parce qu’elle voulait plaire davantage à Abdou qui ne regardait que les femmes bien habillées. Son sentiment de pudeur s’effaçait devant un autre plus agréable : le contact charnel. Au moment de l’acte, elle introduisait dans son sexe une pincée de piment.
Aux sanglots succédaient les gémissements
Le cri était le premier bruit qu’elle émettait. Puis, elle était surprise par un excès de douleur. La douleur, l’effroyable douleur lui clouait au lit. Son regard quelque peu égaré se fixait sur son mari qui aussi donnait des signes de douleur dès les premières secondes de la pénétration. D’une force herculéenne, elle projetait son partenaire par terre.
Le sous-officier se relevait presque honteux, l’effet de surprise lui avait ôté toute résistance, mais pas les mots. Sa langue pouvait articuler des sons : « Qu’as-tu donc ? » Elle n’avait pas le temps de répondre. Binta franchissait la porte de la chambre grandement ouverte en deux magnifiques bonds. Moins d’une minute lui avait suffi pour repérer les bouilloires disposées sur le petit poulailler qui jouxtait sa chambre. Une après l’autre elle les vidait de tout leur contenu d’eau entre ses jambes. Sans grand résultat.
Un sanglot brisait le silence de la nuit. Le sous-officier, trop occupé à ventiler son zinzin, avait perdu toute attention qu’il était en droit d’accorder à sa douce moitié. Binta chancelait et s’adossait au mur. Aux sanglots succédaient les gémissements. L’on voyait les portes des coépouses s’ouvrir comme si au même moment elles s’étaient décidées à en avoir le cœur net. Hawa soutenait sa hanche par ses deux mains en voyant la première toute nue. Au lieu de trouver secours dans ses coépouses, Binta rencontraient en elles des regards dédaigneux et quelques propos déplacés. « Ha ! Tu es bien servie ce soir, figures-toi qu’hier seulement tu me traitais de voleuse de nuit. Ne reste pas là plantée comme un drapeau. Vite, rentres pour qu’il t’achève » fulminait Hawa avec un air de vengeance sourde et aveugle.
Sac vidé
Sara, la seconde épouse, semblait parapher ce dur jugement en se dirigeant vers sa chambre de pas lourds. Abandonnant Binta qui baissait la tête, sa voix aussi avait baissé qu’elle était inaudible, étouffée par l’énergie consentie à se donner des coups de vent au moyen d’un pagne pendant que ses jambes étaient maintenues bien écartées. Abdou se décidait à sortir enfin. Ses douleurs étaient dissipées, mais tous les sentiments de fureur se révélaient sur son visage. « Dis donc, tu voulais me rendre stérile, vieille sorcière ? » Elle voulait étendre le bras sur l’épaule de son mari en commandant de ne pas prendre les choses sous cet angle. Le sergent-chef Abdou marchait à reculons comme pour échapper au filet de la sorcière sensé capturer sa proie.
Binta tentait de se débattre dans le cercle où elle se sentait injustement accusée. Elle ne voulait guère que les paroles qu’elle s’apprêtait à livrer tombassent dans les oreilles de ses coépouses, donc elle invitait d’un signe de doigt son mari à s’approcher. En vain. L’entretien en tête-à-tête n’aurait pas lieu. D’une voix étranglée, elle daignait vider son sac : « N’as-tu pas ordonné à Hawa de mettre un peu de piment dans son sexe ? Moi aussi, j’ai fait de même. »
Tard dans la nuit, l’infirmerie du camp appelée en urgence transportait la malheureuse dans une ambulance, et contre toute attente Hawa n’avait posé aucune difficulté à l’accompagner. Le lendemain, aux environs de 8 h, le sous-officier flanqué de la seconde étaient venus voir comment la malade avait passé la nuit. Ils la trouvaient sur le rebord du lit et presque souriante.
Les médecins ont ces doigts de fée, ces liquides miraculeux et cachets qui savent vaincre les douleurs les plus atroces.