Ne tombons pas dans la manipulation politicienne qui consiste à nous faire croire que c’est un homme providentiel qui tirera le Mali du gouffre dans lequel il a été plongé ces 25 dernières par les forces maléfiques et rétrogrades déguisées sous le pseudonyme de « démocrates ». Le Colonel-Major Ba N’Daou, Président de la transition, est certes un patriote loyal, intègre et dévoué pour le Mali comme en témoigne son parcours. Mais il ne pourra rien changer dans ce pays, tant qu’il n’aura pas le soutien effectif aussi bien de l’Armée que de l’écrasante majorité des Maliennes et des Maliens qui désirent voir émerger un « nouveau Mali » sur les ruines de l’ancien.
Nous avons applaudi la désignation de ce sexagénaire pour diriger cette transition de 18 mois, uniquement sur la base de ses compétences et du capital confiance dont il jouit. Pour autant, nous devons avoir constamment à l’esprit que dans les conditions effectives du combat politique qui mène au changement véritable, ce qui détermine l’issue finale, n’est pas la pureté des intentions mais le rapport de forces. En effet, face à la pression de la bourgeoisie compradore locale et de leurs alliés français ou terroristes narcotrafiquants, les Forces acquises au changement (FAC) n’ont d’autres alternatives que de s’unir malgré leur diversité d’opinion dans un vaste mouvement de veille citoyenne autour du noyau dur du M5-RFP, puis de se réarmer physiquement, moralement et même spirituellement.
Le président Thomas Sankara était un vrai patriote dévoué pour la construction du Burkina Faso. Il avait l’armée avec lui pour mener sa révolution mais le Peuple Burkinabè, majoritairement, n’approuvait pas sa façon de faire et avait fini par le lâcher. Voilà pourquoi il a été renversé par la bourgeoisie locale inféodée aux puissances étrangères.
Mouhamar Khadafi a connu le même sort après plus de 40 d’exercice du Pouvoir. Salvador Allende croyait à la démocratie parlementaire au Chili, et on a eu Pinochet. Evo Morales croyait à la démocratie parlementaire en Bolivie, et un coup d’État l’a chassé du pouvoir. Illustrations parmi tant d’autres d’une loi de l’histoire : face à des loups, ne jamais faire l’agneau. La Bolivie est le pays d’Amérique latine qui a la plus faible proportion d’illettrés après le Cuba et le Venezuela. Or, ces avancées sociales, fondées sur la nationalisation des compagnies gazières, sont précisément ce qui a scellé le sort d’Evo Morales. Un président indigène qui travaille pour les humbles. Voilà le scandale auquel il fallait mettre un terme. Assoiffée de vengeance, la bourgeoisie bolivienne a réussi à interrompre une expérience progressiste soutenue par les couches populaires.
Ces quelques exemples de renversement de régime progressiste précédemment évoqués doivent nous conduire vers une réflexion sur les conditions de l’exercice du pouvoir lorsqu’on entend changer la société en donnant plus d’instruction, de pains et de justice à la grande majorité des populations. Le contraste du cas de la Bolivie, avec le Venezuela, est frappant. Tenté à Caracas, le même scénario a échoué lamentablement. Malgré la crise économique qui frappe le pays, l’armée vénézuélienne a résisté aux menaces et aux tentatives de corruption inouïes en provenance de Washington. Cette fidélité de l’appareil militaire à la République bolivarienne est le mur qu’elle dresse contre les menées impérialistes. Mais elle n’est pas le fruit du hasard : militaire chevronné, Chavez a tout fait pour rallier l’armée, et Maduro a retenu la leçon. Le patriotisme anti-impérialiste est le ciment idéologique de la révolution bolivarienne. Appuyée par une milice populaire d’un million de membres, cette force armée éduquée aux valeurs progressistes protège la République. C’est pourquoi la bourgeoisie inféodée aux puissances d’argent a tenté d’assassiner Maduro, après avoir voulu le renverser au terme d’une tentative de putsch.
À l’image de Castro, de Chavez et de Maduro, héritiers idéologiques de Simon Bolivar, le Colonel Ba N’Daw saura-t-il réunir autour de lui la partie saine de notre armée, des organisations de la société civile et de la classe politique en vue de pouvoir conduire le bateau Mali vers un nouveau cap malgré la tempête violente exercée par les groupes armés terroristes et leurs suppôts occidentaux ? Certainement ! De toutes les façons, nous n’avons plus droit à l’erreur si nous voulons continuer à siéger dans le concert des nations. Pour y parvenir, Ba N’Daw et son Gouvernement de transition doivent savoir qu’en politique, disait Machiavel, il faut être à la fois « lion et renard », faire usage de la force et de la ruse en fonction des circonstances. Mais pour faire usage de la force, encore faut-il en avoir. Aussi positive soit-elle pour la majorité de la population, une politique progressiste suscite toujours la haine recuite des possédants. Cette haine de classe, véritable passion triste des privilégiés cramponnés à leurs prébendes, ne tarira jamais. Il faut le savoir, et se donner les moyens de l’empêcher de nuire.
Sans réarmement physique, moral et spirituel le peuple sera toujours vaincu, et ce n’est pas un hasard si les seules expériences révolutionnaires ayant abouti à une transformation effective de la société ont doublé l’outil politique d’un outil militaire. Ce n’est pas le doyen Diatrou Diakité, un stratège hors pair, qui dira le contraire. On peut toujours discuter de la nature et des limites de cette transformation. Mais si la Révolution française a mobilisé les soldats de l’An II, Si Toussaint Louverture, qui a conduit la première insurrection victorieuse d’esclaves noirs aux colonies, était d’abord un général de la Révolution, si la Révolution russe a créé l’Armée rouge, qui a vaincu les Blancs soutenus par quatorze nations impérialistes, puis les hordes hitlériennes à l’issue d’un combat titanesque, si la Révolution chinoise doit son succès en 1949 aux victoires militaires de Zhu De autant qu’aux idées de Mao, si la République socialiste du Vietnam a fini par vaincre l’appareil militaire des Etats-Unis, si le socialisme cubain doit sa survie à la victoire inaugurale contre l’impérialisme remportée en 1961 à la Baie des Cochons, c’est qu’il y a une constante vérifiée par l’expérience historique : des armes, oui, ou la défaite.
Si seulement l’on pouvait s’en passer, bien sûr, on le ferait. Mais le camp adverse laisse-t-il le choix ? Ceux qui à Paris ou à Washington sabotent l’économie de pays en développement qui cherchent à s’émanciper de la tutelle occidentale, leur infligent des embargos meurtriers, financent des bandes factieuses, manipulent des opposants fantoches, importent le chaos et la terreur, ces bêtes féroces laissent-elles le choix à leurs victimes ? Si Cuba socialiste ne s’était pas muré dans la défense intransigeante des acquis de la révolution, si Castro n’avait pas tué dans l’œuf toute velléité d’opposition manipulée par la CIA, le peuple cubain aurait-il aujourd’hui le meilleur système de santé et le meilleur système éducatif d’Amérique latine ?