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Soumaïla Cissé : « Je vais prendre le temps de voir si j’ai encore un rôle politique à jouer »
Publié le samedi 10 octobre 2020  |  Le monde.fr
Arrivée
© aBamako.com par A S
Arrivée des ex otages Soumaila Cissé et la Française Sophie Pétronin
Bamako, le 9 octobre 2020 le président Bah Daw a reçu les ex otages Soumaila Cissé et la Française Sophie Pétronin à Koulouba
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Le leader de l’opposition malienne, libéré jeudi 8 octobre après six mois aux mains de groupes djihadistes, s’est confié au « Monde Afrique » sur sa captivité.


Ses soutiens attendaient de le voir pour le croire. Coiffé d’un turban blanc le rendant presque méconnaissable, c’est pourtant bien lui, Soumaïla Cissé, figure de la politique malienne et otage de groupes djihadistes depuis plus de six mois, que les Maliens ont pu acclamer à l’aéroport de Bamako, jeudi 8 octobre.
Le principal opposant au président déchu Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »), avait été enlevé le 25 mars entre les communes de Saraféré et Koumaïra alors qu’il battait campagne dans la région de Tombouctou, son fief électoral, dans le nord-ouest du Mali.
Libéré aux côtés de l’humanitaire française Sophie Pétronin, et des Italiens Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccali, il a accepté de s’entretenir avec Le Monde Afrique au deuxième jour de sa liberté recouvrée. De ses dîners avec ses ravisseurs aux leçons qu’il tire de sa captivité, Soumaïla Cissé revient sur ces six derniers mois.
Vous avez été enlevé le 25 mars alors que vous faisiez campagne à proximité de votre fief électoral. Que s’est-il passé ?
Je me disais qu’il était impossible de faire campagne en restant chez moi. Ce jour-là, on a pris la route pour Koumaïra après le déjeuner. C’est à un kilomètre de l’arrivée que nous avons entendu un gros boum, un coup de feu, qui a touché ma voiture. Mon garde du corps était derrière. Il a été touché au cou, à l’artère. Dès qu’ils ont arrêté le convoi, ils ont pris mes lunettes, m’ont bandé les yeux, m’ont fait monter sur une moto et je suis parti tandis que les autres sont restés sur place. J’ai passé la nuit avec mes ravisseurs, un boulet au pied, bien que je ne sois pas du genre à fuir.
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Que se dit-on à partir de ce moment-là ?
On se dit que ce n’est pas grave. Que cela ne durera pas. Qu’ici, c’est chez moi. Et puis j’ai senti qu’on allait me transférer, à la demande de certains des ravisseurs, vers Kidal, au nord du pays. Je me suis alors rendu compte que la situation n’était pas encourageante.
J’ai dû me déplacer dans vingt sites différents au cours de ma captivité. J’ai voyagé en moto, en pirogue, à dos de chameau… Au fil du temps, je traversais des zones boisées, d’autres désertiques puis herbacées. Je commençais alors à me dire qu’il y a des otages qui le restent plus de trois ans.
Je vivais aux trois quarts du temps sous les arbres. Il y a les insectes qui se faufilent dans vos vêtements, les averses qui vous surprennent à deux heures du matin… L’alimentation est quasiment la même du premier au dernier jours. Des spaghettis, des macaronis, du riz, et du pain qu’ils font. Des plats que l’on partage tous ensemble. Ce n’est clairement pas le grand confort, encore moins le paradis. Il n’y a pas d’abris, pas de contacts sociaux, pas de médicaments...
Aucune revendication n’a été formulée à la suite de votre rapt. Avez-vous pu identifier vos ravisseurs ?
Ils ne se sont pas cachés. C’était le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM). Leurs chefs sont connus, Iyad Ag-Ghali et Amadou Koufa. Je ne les ais pas rencontrés pour autant.
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Je discutais avec mes ravisseurs lorsque j’étais dans le centre du pays, alors que je suis resté bien plus isolé lorsque j’ai été transféré au Nord. Lors de ces discussions, je remarquais la pauvreté, l’échec social. Certains m’ont confié avoir vécu à Bamako, d’autres en Côte d’Ivoire ou au Ghana. Ils avaient tous entre 20 et 30 ans et avaient une connaissance fine du Coran. On leur avait mis dans leur tête que s’ils connaissent le livre sacré, ils seraient au dessus de tout.
Les conditions de votre libération demeurent floues. On parle de près de 200 djihadistes relâchés. Avez-vous des informations ?
Ce qu’ils ont négocié, comment, pourquoi : je l’ignore. Inutile de me demander si les gens doivent s’inquiéter de cette relaxe. Un jour, un djihadiste m’a lui-même demandé s’il était judicieux de me relâcher. Car dans l’éventualité où je devienne président, je me mettrais à mon tour à collaborer avec les Français pour aller les bombarder.
Ce n’est qu’hier [jeudi 8 octobre] à 14 heures que l’on m’a dit que les médiateurs maliens viendraient me chercher. J’ai vu M. Ahmada Ag-Bibi [un proche d’Iyad Ag-Ghali], que je connaissais en qualité de député, mais dont j’ignorais le rôle dans le dossier. Les ravisseurs m’ont amené des habits neufs, je me suis lavé. C’est à ce moment que j’ai senti que cette liberté pouvait se concrétiser.
Avez-vous côtoyé Sophie Pétronin, Nicola Chiacchio ou encore Pier Luigi Maccali lors de votre détention ?
Absolument pas. J’ai rencontré Sophie lors d’un transfert, lundi dernier, à 14 heures. Nos deux voitures se sont retrouvées à un point de rencontre et nous sommes chacun resté dans la nôtre, à rouler pendant quatre jours. Ce n’est qu’hier que nous avons mutualisé le véhicule et que les Italiens ont rejoint notre position.
Le Mali se trouve en transition, après le renversement en août du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »). Vous qui avez été candidat à plusieurs reprises à l’élection présidentielle, comment voyez-vous votre avenir politique ?
Il faut aujourd’hui du discernement. Je vais d’abord me mettre à niveau. Après six mois d’absence dans une classe, on risque le redoublement. Je vais donc prendre du temps pour m’informer sur les agissements de chacun, pour évaluer, me repositionner, savoir si j’ai encore un rôle à jouer, et pour voir si je ne me mens pas à moi-même.
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Tirez-vous des leçons de votre expérience en captivité ?

Ce que je retiens de cela, c’est qu’en face il y a des hommes. Aujourd’hui, le terrorisme, tout le monde dit qu’il faut lui casser la gueule, alors qu’on doit sortir du dogmatisme. Rester dans le désert m’a donné du temps pour réfléchir. Je m’amusais à faire des schémas dans le sable pour trouver une sortie de crise pour « IBK », avant même que le coup d’Etat ne survienne.
Il ne faut pas être buté. Je n’ai par exemple jamais refusé d’établir un dialogue avec Iyad Ag-Ghali et Amadou Koufa. Dialoguer n’est pas synonyme d’approuver. Et dans la situation du Mali aujourd’hui, il faut trouver des alternatives à la pensée dominante.
Paul Lorgerie(Bamako, correspondance)
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