Le refus de la junte de Kati de s’engager avec le M5-RFP dans une cogestion étroite de la transition peut s’expliquer, si l’on en fait une lecture positive, par le choix délibéré d’écarter toutes les forces politiques du gouvernement-à commencer par la primature-. Cela pour éviter que certaines ne soient favorisées par rapport à d’autres dans la perspective des élections générales devant marquer le retour à un ordre constitutionnel républicain et démocratique.
Cette posture aura pour effet de créer la zizanie au sein d’un mouvement très hétéroclite, dont l’unique facteur d’unité était la mise en commun des ressources de toutes natures pour obtenir » la démission du président IBK et de son régime « . Pour accentuer les divergences, les militaires recourront à la vieille et imparable recette du » diviser pour régner » en offrant deux postes ministériels à deux proches de l’imam Mahmoud Dicko, actifs au sein de la CMAS qu’il a créée et entretient à grand frais pour faire sa promotion. Un poste est symboliquement attribué au « M5 » qui déclare ne pas s’y reconnaitre ni l’avoir demandé. » Le M5-RFP n’est pas au gouvernement » a proclamé, un tantinet solennel, Dr Choguel Kokalla Maïga, coordinateur du mouvement. Avant de lancer cet avertissement : » Ceux qui pensent que nous avons été roulés dans la farine se sont trompés. On verra bien qui a été roulé dans la farine. Le peuple malien ne sera jamais roulé dans la farine « . Et d’appeler à » une consolidation des rangs du M5- RFP pour aller à l’assaut final « .
Ces propos, tenus jeudi dernier en conférence de presse au siège de la CMAS, ont été jugés inacceptables par Issa Kaou NDjim, à la fois son coordinateur et gendre du » vénéré Imam » de Badalabougou, qui a annoncé que plus jamais le M5-RFP ne remettra les pieds sur les lieux. » Nous sommes au gouvernement et nous n’ouvrirons pas nos portes à l’opposition pour qu’elle vienne insulter ce gouvernement « .
Le lendemain, il recevait la visite inopinée de jeunes du M5-RFP qui l’ont » physiquement agressé » selon ses propres mots confirmés par une vidéo circulant sur les réseaux sociaux.
Cet épisode, peu flatteur pour des acteurs publics qui se sont illustrés, il y a peu, dans un combat épique salué dans toute l’Afrique voire dans le monde pour sa maturité organisationnelle et sa ténacité, marque la fin du M5-RFP tel qu’on l’a connu jusque-là. Peut-être sa fin pour toujours. Privé de son leader moral dont l’évocation du seul nom suffit pour jeter dans la rue des milliers de désespérés qui ont placé en lui leur ultime espoir, il voit sa capacité de mobilisation considérablement réduite. Le contexte aussi a évolué depuis le 18 août. Après une baisse d’activité de plusieurs mois, donc une diminution drastique des gains liée d’abord à la Covid-19, puis aux troubles socio-politiques, les Maliens commencent à retrouver une situation normale avec la levée des sanctions de la CEDEAO ouvrant la voie à la reprise des échanges sous-régionaux et celle des précieux financements venant de l’extérieur. Le contexte est donc mal choisi pour les appeler à reprendre les rassemblements. Ils aspirent à un répit légitime. Et refondateur si l’on ose écrire.
Le retour de Soumaïla Cissé, dans ces circonstances, est perçu par certains comme pouvant donner le change au retrait de l’imam Dicko. C’est oublier que le fondateur de l’URD et opposant historique (en 2013 il a décliné l’offre qui lui était faite de participer au gouvernement et opté pour l’ancrage dans une opposition républicaine et responsable) était, avant son enlèvement, le leader du FSD, devenu l’une des trois composantes du M5-RFP. Il reste à établir la preuve que son éventuel leadership sera unanimement accepté par ce qu’il reste du mouvement de contestation anti-IBK.
Il s’y ajoute qu’on voit mal ce politique averti endosser l’habit du radicalisme qu’arborent certains de ses alliés notamment Choguel Maïga. Immédiatement reçu au palais de Koulouba à son retour à Bamako, dans la nuit de jeudi, il a remercié le président Bah N’daw pour » l’efficacité » dont il a su faire montre dans sa libération. Soumaïla Cissé sait, par ailleurs, qu’il a été l’éternel second dans toutes les présidentielles auxquelles il a pris part depuis 2002. Cette fois-ci il a toutes les chances d’arriver premier dans les suffrages. Il ne les compromettra pas en s’aventurant dans une croisade qui pourrait être désastreuse pour lui aux plans national et international. Pour autant le M5-RFP ne disparaitra pas après le repli de l’imam Dicko » dans sa mosquée « . Pour paraphraser l’ancien premier ministre Modibo Sidibé, il est » l’esprit du renouveau citoyen et du renouveau démocratique qui n’est plus seulement malien, mais ouest africain voire africain « . Et cet esprit-là n’est pas près de mourir.