L’espace Cédéao reste tumultueux. Dans un tohu-bohu sociopolitique, les Guinéens et les Ivoiriens se rendent aux urnes pour le premier tour de leur présidentielle, respectivement le dimanche prochain et le 31 octobre. Au Mali, le pouvoir de transition libère les personnalités civiles et militaires arrêtées lors du putsch du 18 août dernier. Un évènement passé presque inaperçu face à la libération, le 8 octobre dernier de quatre otages par le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, (GSIM).
Ces libérations de Soumaïla Cissé (6 mois de captivité), de l’humanitaire franco-suisse Sophie Pétronin (4 ans de captivité), du prêtre italien Pier Luigi Maccali (2 ans de captivité) et de son compatriote Nicola Chiacchio (1 an de captivité) ont été organisées par les autorités maliennes en échange de la relâche de deux cent six narcoterroristes. Seule la religieuse colombienne, Gloria Cecilia Argoti, reste encore entre les mains de ses ravisseurs.
Les échanges de prisonniers et d’otages au Mali ainsi que l’organisation d’élections présidentielles sous tensions sociopolitiques en Guinée et en Côte d’Ivoire, donnent à voir la complexité des trajectoires démocratiques dans la Cédéao. Les risques peuvent être de deux ordres.
Le premier risque est celui d’un jeu démocratique plus que fragile, qui est sur le fil du rasoir. Au Mali, la libération des narcoterroristes, grâce aux négociations, n’est pas sans effet sur la dynamique sécuritaire. Chaque acteur essaye de tirer profit des opportunités de ses relations régionales ou nationales. Les stratégies de négociation pour libérer Soumaïla Cissé et les autres otages, sous le régime déchu d’IBK et sous l’actuel régime de la transition, montrent bien que le GSIM et les différents négociateurs se fondent dans la précarité sécuritaire du Sahel. Par exemple, Hamada Ag Bibi, ancien député du Rassemblement Pour le Mali (RPM), Ifoghas et acteur local de Kidal, a beaucoup contribué à leur libération, en plus du travail des services de renseignement malien. La proximité régionale et communautaire d’Ag Bibi avec Iyad Ag Ghaly (GSIM) a permis de créer un espace de discussion et de confiance entre les autorités maliennes et le GSIM.
Le deuxième risque tient à la fossilisation des “héritiers”. Il s’agit de ces présidents de l’espace Cédéao comme le Professeur Alpha Condé, qui ont derrière eux des années de lutte politique avant d’accéder à la magistrature suprême, et qui sous couvert de principes républicains finissent par s’éterniser au pouvoir. Les règles démocratiques, comme l’alternance, disparaissent des logiciels de gouvernance. En Guinée comme en Côte d’Ivoire, il y a une stratégie de mise à l’écart de l’opposition par ces héritiers par le bais des révisions constitutionnelles. Dommage ! La fermeture des frontières guinéennes avec la Guinée-Bissau ou la Sierra Léone est caractéristique des rapports tendus entre les chefs d’Etat de la Cédéao. La raison de cette fermeture des frontières, c’est d’anticiper sur d’éventuelles menaces de déstabilisation de la Guinée. Sur le même plan, il y a quelques jours, le président Nigérien, Mahamadou Issoufou, disait qu’il ne “va pas briguer un troisième mandat”, à propos de la présidentielle nigérienne de décembre 2020. Le Nigérien pointe l’importance de l’alternance démocratique. Certes, son message s’adresse prioritairement à ses compatriotes nigériens, mais surtout à ses ainés, Alpha Condé et Alassane Ouattara. C’est l’occasion pour Mahamadou Issoufou de rappeler les règles et les principes démocratiques qu’ils sont tous censés protéger et promouvoir. Venant d’un cadet, un tel message peut être considéré comme une déclaration de guerre à l’égard des ainés, et peut être source de rivalités entre eux. Mais la vérité reste un “piment qui rougit les yeux, mais ne les crève pas”.
Ces deux risques illustrent le tournant géopolitique de cet espace Cédéao.
Bah N’Daw et Moctar Ouane doivent garder le cap
Au Mali, le président de la transition, Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, doivent garder le cap. La timidité politique pour stabiliser le Mali doit faire place à la culture de résultats concrets contre le terrorisme. Les Forces Armées Maliennes (Fama) ne doivent plus vivre sous la pression des narcoterroristes, comme c’était le cas le 13 octobre dernier où l’attaque d’un poste des FAMa à Sokoura (Bankass) a fait plusieurs victimes civiles et militaires. Inutile de dire qu’une montée en force des FAMa doit être une réalité.
Soumaïla Cissé a intérêt à s’inscrire dans une opération de reconquête des Maliens
Fraîchement libéré, Soumaïla Cissé a tout intérêt à s’inscrire dans une opération de reconquête des Maliens. Un tour du Mali (intérieur et extérieur) pour remercier les Maliens et ses amis qui se sont battus pour obtenir sa libération est nécessaire. Ce sera aussi une stratégie politique et pédagogique pour laver l’affront de ses parlementaires qui ont quasiment tous voté pour l’élection du président (Moussa Timbiné) de l’ancienne Assemblée nationale contre l’esprit de son parti, l’Union pour la République et la Démocratie, URD. Alors même que leur chef, Soumaïla Cissé, était enlevé et sans nouvelle. Certains Maliens ont eu le sentiment que les élus de l’URD assommaient la bête déjà à terre. Inutile de dire que ce sont les mêmes qui se bousculent pour voir l’homme libéré, Soumaïla Cissé, pour s’excuser et écouter ce qu’il raconte de ses six mois de captivité.
Une indispensable rupture n’est-elle pas nécessaire pour redorer le blason des politiques ?