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Transition au Mali : Tout changer pour que rien ne change ?
Publié le lundi 19 octobre 2020  |  L’Inter de Bamako
Prestation
© aBamako.com par AS
Prestation de serment du président et du vice président de la  transition 
Bamako, le 25 septembre 2020  le président et du vice président de la  transition  ont prêté serment au centre internationale de la conférence de Bamako 
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Pour le quintet de colonels au pouvoir, auteurs du putsch du mardi 18 août dernier, l’état de grâce aura été de courte durée. L’euphorie des premiers jours a fait place à l’attente, puis à l’inquiétude. Censée être venue ramener l’ordre politique et institutionnel, la junte est-elle en passe de créer le désordre ?
La politique malienne est un véritable casse-tête, tous les revirements de dernière minute, les «combinazione», les alliances contre nature sont possibles. Personne ne peut être mis dans une case, rien n’est manichéen, ce qui apparaît clairement à l’instant T peut devenir confus quelques heures plus tard. Pour tenter de décrypter la situation extrêmement volatile actuelle et lever un coin du voile sur les réelles motivations de ce coup d’État, il faut donc s’en tenir aux faits.



État de grâce

Dès le premier jour, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à sa tête le colonel Assimi Goïta, a de l’or dans les mains : un soutien populaire massif, tant au Mali que dans la sous-région. Les militaires sont accueillis en héros pour avoir destitué un président décrié dans la rue et avoir ainsi mis fin à une crise politique et institutionnelle qui durait, depuis le mois de juin. Même les Maliens de l’intérieur du pays, qui vivent sans aucune présence de l’État et qui d’ordinaire ne se soucient guère des événements et des joutes politiciennes de Bamako, se prennent à espérer un retour des services publics- mairie, santé, éducation- dans leurs régions respectives.

Les jeunes colonels, soucieux de leur image au Mali et à l’international, n’ont pas bousculé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Après qu’il a annoncé sa démission puis la dissolution de l’Assemblée nationale, il a été mis aux arrêts, puis assigné en résidence surveillée et enfin autorisé à partir se soigner aux Émirats arabes unis. Sur toutes les personnalités arrêtées ce jour-là, ne restent prisonniers au camp militaire de Kati que l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné et une poignée de responsables de la sécurité.

Aucun autre dignitaire du clan IBK n’a été inquiété, malgré les rumeurs persistantes des 19 et 20 août qui faisaient état d’arrestations possibles dans leurs rangs. Le 21 août, la junte a communié sur la place de l’Indépendance avec la foule des partisans du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), une coalition qui manifestait, depuis le 5 juin dernier, pour obtenir le départ d’IBK. Puis, toujours dans un souci d’ouverture, elle a organisé une tournée des grands ducs: elle a rencontré les autorités religieuses, les familles fondatrices de Bamako, les syndicats, etc. Elle a également rendu visite à l’ancien président de la République, le tant honni, Moussa Traoré, déposé lui aussi par un coup d’État, en 1991. Personne n’a semblé s’en offusquer. À la fin de la première semaine, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a bénéficié d’une large reconnaissance de fait et la page Ibrahim Boubacar Keïta a été tournée.



L’agenda international

Dès les premiers jours, le CNSP a consulté à tout-va ses partenaires étrangers qui se sont pressés au camp militaire de Kati. Elle a tenté de desserrer l’étau, la communauté internationale ayant unanimement condamné le coup de force. Comme à son habitude, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a sorti l’artillerie lourde traditionnelle: embargo terrestre, aérien et maritime, pour un pays enclavé, ce dernier n’était peut-être pas nécessaire ! Mais la population n’a pas encore ressenti l’effet des sanctions, il reste des stocks et la junte est d’autant moins sous pression que la CEDEAO fait l’unanimité contre elle, au Mali comme dans la sous-région.
Le CNSP a donc reçu les grandes chancelleries présentes à Bamako. Le premier à s’y rendre a été l’ambassadeur russe, suivi par ceux de l’Algérie, de la France, de l’Union européenne, du Maroc, des États-Unis ainsi que du patron de la MIBUSMA. Un des cinq (05) membres de la junte, le colonel Malick Diaw, s’est rendu au Burkina et au Niger. Plus tard, les colonels ont accueilli également les ministres des Affaires Étrangères de l’Algérie et de la Mauritanie. La Turquie, qui poursuit son offensive diplomatique dans les pays d’Afrique francophone, a également envoyé Melvut Cavusoglu, qui a assuré les militaires de son désir de poursuivre sa coopération avec le Mali, notamment concernant la lutte antiterroriste…



Premiers nuages…

Alors qu’à ce stade, le CNSP n’a encore dévoilé ni son agenda ni ses intentions politiques, hormis les quelques nobles intentions classiques, bonne gouvernance, fin de la gabegie, sécurité, il a accordé une audience à Mamadou Goudienkilé, président de la Coordination du mouvement Dan Na Ambassagou, milice tenue pour responsable, bien qu’elle s’en défende, des deux (02) terribles massacres d’Ogossagou, en mars 2019; et février 2020 qui ont fait au total plus de cent cinquante (150) victimes.

En revanche, il a raté son rendez-vous à Kidal avec les mouvements de l’Azawad (CMA). Annoncée le 2 septembre dernier, pour le lendemain, cette «réunion de haut niveau» inédite, qui devait jeter les bases de la collaboration entre la CMA et CNSP, avait créé l’espoir. Son report sine die, pour des raisons de météorologie qui n’ont convaincu personne, a jeté un froid à la hauteur des espérances qu’elle avait fait naître.

Toujours dans une volonté de démocratie et «d’inclusivité», la junte a annoncé des consultations pour le 5 septembre afin de travailler sur l’architecture de la transition, durée, civile ou militaire, etc. 3.000 personnes ont été conviées pour débattre autour d’un texte de trois pages extrêmement pauvre appelé «Termes de références». La journée a tourné à la cacophonie et n’a abordé aucun des sujets essentiels.
Finalement, trois jours de consultations ont été reprogrammés, les 10, 11 et 12 septembre dernier, pour écrire la Charte de la transition. Après l’annulation de la visite à Kidal, la CMA a décidé de ne pas y participer. Ces journées se sont déroulées dans une grande confusion. Pendant ces débats, un seul point a vraiment fait consensus: la durée de la transition de dix-huit (18) mois.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait demandé une année mais aucune élection ne peut se faire pendant la saison des pluies. Lors de la rencontre à Accra, le mardi 15 septembre 2020, entre le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et Akufo Ado, le nouveau président en exercice de la CEDEAO, afin de négocier l’arrêt des sanctions, la junte invoquera donc la météo.

La Charte publiée avant même la fin des débats est un document de cinq pages aussi indigent que les «Termes de référence». Elle entretient le flou et la confusion. La transition sera-t-elle civile ou militaire ? Qui composera le collège choisi par le CNSP pour désigner le futur président malien ? Pourtant, ce texte est considéré comme un accord politique qui servira de base légale à la transition et c’est sur la base de ce dit accord politique que le CNSP négocie à Accra. Ce document est pourtant très contesté par le M5-RFP, tête de proue de la contestation contre Ibrahim Boubacar Kéita. Au début timide, puis empreintes de méfiance, les relations entre la junte et cette coalition ont viré à une hostilité ouverte entre des alliés qui apparaissaient naturels.



Un coin du voile…

La junte a justifié son irruption sur la scène politique par la mauvaise gouvernance, l’insécurité et la corruption. Cependant, elle ne s’est pas inscrite dans une posture «révolutionnaire», elle s’est bien gardée de mettre en avant une volonté de changement, elle est restée sur les arguments habituels de communication, inclusivité, nécessité d’unir les Maliens, etc. Elle s’est légitimée grâce à la contestation populaire menée par le Mouvement du 5 Juin, dirigée par l’Imam Mahmoud Dicko. Pourtant, aujourd’hui, il apparaît que les plus forts soutiens du CNSP, ceux qui militent pour une transition dirigée par un militaire auto-désigné, sont proches de la galaxie de l’ancien régime. Des anciens ministres, des hauts cadres et des défenseurs d’IBK étaient aux premières loges lors des concertations nationales et sont devenus des conseillers honorables du CNSP.

Un mouvement proche d’Ousmani Haïdara, le président de l’actuel du Haut Conseil islamique (HCI), le Mouvement populaire du 4 Septambre 2020 (Mp4), vient de naître pour appuyer le CNSP. Le président Haïdara a été un soutien d’IBK jusqu’au dernier jour et se place en opposition avec l’Imam Dicko. Au passage, les deux sont souvent présentés de manière caricaturale, le premier serait le «bon soufi», le second le «méchant wahhabite», en réalité, comme toujours, les cases sont trop étroites et l’affaire plus complexe.

S’il est encore trop tôt pour affirmer que le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a réalisé le putsch pour sauver l’ancien système, il ne fait néanmoins aucun doute qu’il a été préempté par les figures de celui-ci. La violence des propos des responsables du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) au sortir des concertations nationales laisse présager la prolongation de la crise politique et sécuritaire au Mali puisque les milices ne seront pas dissoutes et que l’Accord de paix d’Alger continuera à végéter. Il est à craindre de probables épisodes plus violents que le coup d’État fort amical du 18 août dernier.

Leslie Varenne
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