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Contribution : Pourquoi le CNSP en veut tant au M5-RFP et quel est le projet politique des militaires pendant et après la transition ?
Publié le lundi 19 octobre 2020  |  L’Inter de Bamako
Transition
© aBamako.com par AS
Transition malienne : Le Cnsp face à la presse
Bamako, le 16 septembre 2020. Le porte-parole du Cnsp, le colonel Wagué, était face à la presse au lendemain du mini-sommet de la Cedeao sur le Mali, à Accra.
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Le feuilleton des relations tumultueuses entre le Comité national de salut du peuple (CNSP) et le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) suscite incompréhension et interrogations de la part des observateurs de la situation politique au Mali.
Pourquoi deux (02) organisations que tout semblait condamner à travailler ensemble s’entredéchirent, depuis la prise du pouvoir par les militaires ? Pourquoi le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) semble foncer tête baissée à chaque fois dans les pièges tendus par le Comité national de salut du peuple (CNSP) malgré la grande expérience politique de ses principaux responsables ? Quel est le projet politique réel des militaires pour la transition et au-delà ?

Pourquoi le M5-RFP est l’adversaire principal pour le CNSP ?
Comme ils ne l’ont jamais caché, l’objectif de la junte est de mettre en place une transition militaire ou à défaut une transition civile pilotée par eux plus ou moins ouvertement. Pour cela ils ont vite compris (avec une grande capacité d’analyse politique) qu’il fallait neutraliser toutes les forces politiques qui pouvaient contester leur suprématie.

Les forces politiques pro-IBK ne leur posent aucun problème. Le souci principal de ces forces politiques est de passer la transition sans trop de dommages. Elles sont donc prêtes à tout accepter des militaires pourvu qu’on ne s’attaque pas à eux frontalement. Leur seul souci reste donc le M5-RFP qui est la seule force organisée, avec des responsables expérimentés et une aura gagnée lors des mouvements populaires. Le M5-RFP est donc et restera leur adversaire principal.

L’erreur fondamentale du M5-RFP
Qu’est ce qu’on fait d’un adversaire politique ? On essaie de le détruire ou à défaut on le neutralise. Il ne peut être question d’un partenariat sincère avec un adversaire politique au risque de le renforcer. De ce fait, toute offre n’a pour but que de l’affaiblir.

L’erreur fondamentale du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) a été de ne pas comprendre dès les premiers actes du Comité national de salut du peuple (CNSP) que celui-ci était dans une attitude d’adversité et non de partenariat vis-à-vis du M5 et que cette attitude n’allait pas changer parce que c’était la seule possible pour le CNSP compte tenu de sa stratégie de pouvoir exclusif. Une fois ce bon diagnostic posé, le M5-RFP devait analyser toutes les offres du CNSP comme des manœuvres de diversion pour gagner du temps et mettre en place une transition sans le M5-RFP.

Quelle a été la stratégie du CNSP pour affaiblir le M5-RFP ?
Cela s’est fait en deux (02) étapes. D’abord ils ont fait croire à quelques membres ou courant du Mouvement du 5 juin qu’ils avaient leur place au sein de la transition mais que l’obstacle était ces «vieux politiciens malhonnêtes» qui les empêcheraient toujours d’être au-devant de la scène. On a ainsi assisté à un déferlement de haine de ces naïfs vis-à-vis de la direction du M5-RFP. Avec de faux débats sur la place des jeunes ou la durée dans la vie politique (cela fait sourire aujourd’hui quand on voit l’âge du Président et du Premier ministre et le fait qu’ils sont dans la vie politique depuis Moussa Traoré).

Ensuite le CNSP a entrainé la direction du M5-RFP dans des rencontres interminables, remettant chaque fois en cause leurs promesses de la veille. Puis ils ont carrément roulé le M5-RFP dans la farine que ce soit pour les assises nationales, la désignation du Président ou du Premier ministre. À chaque fois, la main sur le cœur ils ont fait croire au Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) qu’ils avaient tiré les leçons du passé et que désormais ce sera un partenariat complet et sincère.

Pourquoi les responsables expérimentés du M5-RFP se sont laissés piégés si facilement par le CNSP ?
La première explication est liée à l’erreur fondamentale du début. Comme le M5-RFP n’a jamais compris qu’il était et resterai un adversaire pour le Comité national de salut du peuple (CNSP), ses dirigeants n’ont jamais eu l’esprit critique nécessaire pour analyser les propositions du CNSP. Ils se sont basés sur les paroles des militaires au lieu d’avoir une analyse politique de leurs motivations. Le cas de la désignation du Premier Ministre en est l’exemple emblématique. Comment le M5-RFP a pu croire que le CNSP laisserai un poste aussi stratégique à son adversaire principal ? Une fois qu’une grande partie du M5-RFP à cru à cette fausse promesse, l’envoie des quatorze (14) CV se comprend.

En bon analystes politiques beaucoup avaient compris que si le CNSP voulait vraiment donner le poste de Premier ministre au Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), le choix ne se ferait pas sur le critère de la compétence mais sur celui qui serait le plus loyal au CNSP tout en laissant l’illusion d’associer le Mouvement du 5 juin à la transition. À ce petit jeu de nombreux candidats ont pensé qu’ils avaient leur chance. En fait les militaires avaient déjà fait leur choix. Quelqu’un comme Moctar Ouane qui connait bien les rouages de l’état et des relations internationales, qui a servi loyalement tous les régimes depuis celui de Moussa Traoré et qui servira loyalement celui des militaires sans faire de vague avait de loin leur préférence.

Un Premier ministre M5-RFP quel qu’il soit était le pire scénario pour le Comité national de salut du peuple (CNSP), c’est une faute politique que de ne pas l’avoir compris. Si le M5-RFP avait été uni et avait défendu collectivement la candidature de quelqu’un de consensuel et de haute valeur morale comme Cheick Oumar Sissoko, ils avaient une petite chance de l’imposer à l’issue d’un bras de fer avec le CNSP. Mais chacun a voulu jouer sa carte sans comprendre qu’aucun d’eux n’avait de chance en y allant isoler.

Quel est le projet politique du CNSP pendant et au-delà de la transition
Le Comité national de salut du peuple (CNSP) essaie de faire croire qu’il est là en arbitre impartial, à équidistance de tous les courants politiques et qui va venir faire le nettoyage et refonder l’état pour laisser le pouvoir aux civils à l’issue d’élections transparentes. La réalité est très loin de cette image d’Epinal que le CNSP essaye de faire croire.

Les militaires sont là pour s’installer durablement dans le paysage politique malien. Pour cela ils ont besoin de contrôler totalement la transition pour affaiblir toute la classe politique existante, de quelque bord qu’elle soit et faire émerger une nouvelle classe politique qui leur devra tout et qui sera leur instrument de contrôle du pouvoir. Pour cela ils ont deux (02) modèles: celui d’Amadou Toumani Touré (ATT) avec un retour au pouvoir par les élections dans dix (10) ans (ou peut-être même cinq ans) et celui de l’Algérie ou l’armée contrôle tout derrière un régime civil de façade. Ils sont jeunes et ils ont le temps devant eux pour mettre en place patiemment leur contrôle du pouvoir. Et la façon dont ils ont manœuvré le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) montre qu’ils sont intelligents et fins tacticiens. On a donc pas fini d’entendre parler d’Assimi Goïta. Il sera président ou il sera le Général Gaïd Salah malien, président de fait dans l’ombre.

Comment le M5-RFP peut se ressaisir ?
La situation est difficile pour le Mouvement du 5 juin mais il peut encore tirer les leçons de ses échecs récents pour redevenir un contre-pouvoir puissant et peser sur la transition à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci.

Pour cela, tirant les leçons de l’épisode des quatorze (14) CV, ses membres doivent comprendre qu’il n y a pas de perspectives dans le chacun pour soi et que la force du M5-RFP vient de son unité qu’il a su sauvegarder face à Ibrahim Boubacar Kéita.

Ensuite il doit avoir un discours de clarté et de fermeté vis-à-vis du CNSP quitte à rester à l’écart de la transition (le M5-RFP n’a jamais été aussi puissant que quand il a su rester à l’écart du régime IBK). Ainsi il doit:

– Exiger d’être associé à la relecture de la Charte de la Transition. La fiction d’une charte adoptée par le peuple a déjà volé en éclats puisque les militaires vont être obligés de l’amender en dehors de tout processus consultatif pour satisfaire aux exigences de la CEDAO.

– Ne pas aller en ordre dispersé pour la composition du nouveau Gouvernement et exiger au préalable la nature des postes (y compris régaliens) qui vont revenir au Mouvement du 5 Juin. Si jamais le M5-RFP accepte d’aller occuper des postes subalternes au Gouvernement il ne servira que de faire valoir et n’aura aucune emprise sur la transition.

– Réactiver et développer ses structures partout au Mali pour être prêt à conquérir par la lutte la place légitime qui lui revient dans cette transition.



Ce qui est arrivé au M5-RFP arrivera aux autres forces politiques
Comme certains membres du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), beaucoup de forces politiques au Mali essaie de jouer leur carte individuelle auprès du Comité national de salut du peuple (CNSP), en espérant avoir le dividende de leur soutien à l’issue de la Transition. D’autres essaient de ne pas faire de vague en espérant se refaire aux prochaines élections Ils font l’erreur de ne pas comprendre les objectifs à long terme des militaires qui est d’éliminer toute la classe politique actuelle pour faire émerger une autre qui leur est entièrement dévouée.

Comme ils l’ont fait avec le M5-RFP ils feront tout pour affaiblir toutes les forces politiques qui ne s’inscriront pas dans leur projet à long terme de mainmise sur la vie politique du pays. Comme le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) beaucoup auront un réveil douloureux s’ils ne saisissent pas ces enjeux dès maintenant.

Boubakar Diawara, Enseignant -chercheur, Université PSL (Paris Science et Lettre)-France
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