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Après le coup d’État, le Mali entre la caserne et la mosquée
Publié le lundi 19 octobre 2020  |  lacroix
Funérailles
© aBamako.com par momo
Funérailles des personnes décédées au cours des manifestations à Bamako
Bamako, le 12 Juillet 2020, les funérailles des personnes décédées au cours des manifestations ont eu lieu à la Mosquée que Mahmoud Dicko dirige à Badalabougou.
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Le coup d’État militaire au Mali et la libération de 200 djihadistes ont changé la donne dans le pays. Les militaires français s’interrogent sur la poursuite de l’opération Barkhane et de leur présence sur ce territoire


Un coup d’État militaire débouchant sur des institutions provisoires rapidement adoubées par la communauté internationale ; au moins deux cents djihadistes libérés contre quatre otages dont une figure de l’opposition ; un imam à Bamako qui joue dans les deux cas un rôle de premier plan… La donne politique évolue rapidement au Mali depuis deux mois. Ces événements pourraient-ils conduire vers une république islamique ou bien vers une paix avec certains mouvements armés terroristes ?

L’identité des 200 djihadistes revenus dans leur repaire du nord du pays n’est que partiellement connue. Ils ont été libérés après des négociations entre le nouveau gouvernement malien et Iyad Ag Ghali, chef d’une alliance djihadiste affiliée à Al-Qaida.


« Il y a une ou deux personnalités importantes mais la majorité des prisonniers relâchés ne présente aucun risque pour la sécurité au Mali », assure Brema Ely Dicko, sociologue à l’Université des sciences humaines de Bamako. « Par ailleurs, il est important que Bamako rétablisse le dialogue avec Iyad Ag Ghali. C’est une figure connue et un ancien négociateur du Nord. »

« Explorer le dialogue avec les extrémistes »

Le chef Touareg est le seul parmi les groupes djihadistes à envisager des discussions avec les autorités maliennes. La Katiba Macina menée par le chef peul Amadou Koufa et la branche sahélienne de Daech (EIGS) n’en ont pas l’intention. Smaïl Chergui, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, a appelé, jeudi 15 octobre, à « explorer le dialogue avec les extrémistes. » Ce qui pourrait bien être une feuille de route pour le nouveau pouvoir malien.

→ TOUT COMPRENDRE. Notre dossier sur l’opération « Barkhane »

Il y a deux mois exactement, le colonel Assimi Goïta – âgé de 37 ans et ancien chef des Forces spéciales maliennes du centre du pays – se présentait comme le chef d’une junte qui réussissait en une nuit à obtenir la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, et de son gouvernement dont tout le monde à Bamako fustige maintenant la légèreté face à la menace djihadiste et à la corruption. Les putschistes sont acclamés par la foule.

« Depuis l’indépendance, l’alternance démocratique passe moins de la majorité à l’opposition politique, que des civils aux militaires, et ce à quatre reprises : 1968, 1991, 2012 et 2020, rappelle Gilles Holder, codirecteur du laboratoire MaCoTer de Bamako. « Cette fois, le coup d’État a la particularité de n’avoir pas fait couler de sang. »

« Le mythe du capitaine Thomas Sankara »

Les pays voisins et la France condamnent alors ce coup de force. Le nouveau pouvoir organise un gouvernement de transition jusqu’à des élections, promises dans un délai de dix-huit mois. Il obtient la libération des otages – dont Souleïma Cissé, homme politique malien de premier plan. Sans doute, est-elle le résultat de discussions entamées auparavant par l’ancien président.

→ À LIRE. Transition au Mali, les militaires gardent la main

Les pays voisins lèvent leurs sanctions, la France ses préventions et les Maliens applaudissent ces militaires qui ont repris en main les affaires de l’État. « Le rêve pour chaque Malien serait de retrouver le mythe du capitaine burkinabé Thomas Sankara dans le colonel Assimi Goïta », explique Gilles Holder.

Mais avant les militaires, c’est le Mouvement du 5 juin (M5) qui avait fédéré les oppositions au président IBK. « C’est ce mouvement qui a initié le changement qui a permis l’arrivée de la junte », constate André Bourgeot, directeur de recherche émérite au CNRS.

Une des figures centrales en fut l’imam Mahmoud Dicko. À 65 ans, cette figure de l’islam wahhabite fut président du Haut Conseil islamique de 2008 à 2019. Il était parvenu à faire suspendre la loi sur le code de la famille, jugée trop favorable à l’égalité femmes-hommes, mobilisant, déjà, des manifestants pour faire reculer le pouvoir.

Les ambiguïtés de l’Imam Dicko

Reste à savoir ce qu’il veut maintenant. L’imam Dicko assure avoir « regagné sa mosquée ». André Bourgeot, qui s’est entretenu à plusieurs reprises avec lui dans le passé, estime que son « autorité morale va pouvoir s’exercer au sein du gouvernement ». Il pense aussi qu’il a joué un rôle dans l’échange entre otages et djihadistes. « Il est ambigu sur son projet. Beaucoup le considèrent comme un grand manipulateur ».

André Bourgeot rapporte ce que lui avait dit l’imam : « Si je créais la république islamique du Mali, j’aurais toute la communauté internationale sur le dos. » Et aussi : « La population n’acceptera jamais un islam rigoriste. Certes, la tenue des femmes change un peu dans le nord du pays, mais le sud n’acceptera jamais un islam radical. »

Le tout est de savoir s’il se rêve en guide spirituel. Pour Gilles Holder, « la conviction de l’imam est que la mauvaise gouvernance est liée au manque d’éthique. Et il estime que l’éthique islamique et une certaine éthique de la tradition malienne sont compatibles pour qu’on les mobilise ensemble, dans les comportements et la gestion des affaires publiques ».

En 2012, l’imam Dicko avait soutenu l’intervention française au Mali, avant de critiquer sa présence. Sévère avec les djihadistes étrangers, il a toujours défendu le dialogue avec les groupes armés maliens, comme ceux proches d’Al-Qaida.

« Notre combat reste le même et il est tout aussi légitime qu’il était »

Ces tortueux arrangements entre Maliens laissent un goût amer aux militaires français qui participent, souvent au prix de leur vie, à l’endiguement des mouvements terroristes au Sahel depuis 2013. La libération des 200 djihadistes a été mal vécue. « Sur le terrain, ça doit être très difficile de remobiliser les troupes », estime la chercheuse Caroline Roussy, à l’Iris.

Le chef d’état-major français, le général François Lecointre a réaffirmé, mercredi 14 octobre, sa détermination à poursuivre les combats : « Il doit être très clair, pour l’ensemble des familles qui ont perdu des leurs dans le combat que nous menons au Mali depuis des années, que nous ne dévions pas de ligne, que notre combat reste le même et qu’il est tout aussi légitime qu’il l’était. »

« L’opération «Barkhane» va devoir se réinventer. Je pense qu’à l’avenir, il faudra mener une guerre plus légère et économique », analyse l’ancien colonel des troupes de marine Michel Goya. Actuellement, les efforts de Barkhane portent majoritairement sur l’État islamique du Grand Sahara (EIGS), affilié à Daech, dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso).

« La France connaît des succès sur le terrain mais l’opération «Barkhane» pourrait envisager de changer de posture », continue Michel Goya, évoquant l’idée d’un possible retrait du dispositif français du Mali et notamment de Gao : « Les Français pourraient rester au Tchad et éventuellement au Niger, et le but serait de maintenir une pression à distance. »

Dans l’immédiat, la France va composer avec Bamako. « Si le départ de l’ex-président IBK représente un désaveu pour Paris, l’actuel gouvernement reste un moindre mal. La junte malienne connaît bien les militaires français », estime-t-il. La France compte aussi s’appuyer sur l’Algérie où le ministre des affaires étrangères s’est rendu, jeudi 15 octobre, pour évoquer… la crise malienne.
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