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Plus de 200 islamistes relâchés… : "comment poursuivre la lutte contre le terrorisme au Mali ?"
Publié le mercredi 21 octobre 2020  |  Le monde.fr
Serval
© AFP par Byline
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Le général Bruno Clément-Bollée s’interroge sur la pertinence de l’opération «Barkhane» après la libération de djihadistes.

«L’étranger ne connaît pas les chemins qui passent sous la calebasse», aime-t-on à dire sur les rives du Djoliba, mythique fleuve Niger des peuples riverains. Les partenaires du Mali mobilisés dans la lutte contre le terrorisme religieux au Sahel doivent aujourd’hui en mesurer toute la justesse, avec une certaine amertume.

En effet, après la longue période de concertation suivant le coup d’État du 18 août dernier, les décisions s’enchaînent à Bamako et prennent une direction pour le moins inquiétante, potentiellement dangereuses. Pour «Barkhane», il est urgent de les évaluer, de s’en expliquer avec les nouvelles autorités et d’en tirer avec ses alliés les conclusions qui s’imposent.

Pour diriger la transition, il faut d’abord évoquer la nomination d’un président «civil», comme exigé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), mais quand même ancien militaire. Ministre de la défense pendant une brève période, il est connu pour son intégrité, trait majeur justifiant ce choix. Il reste à espérer qu’il possède aussi les capacités lui permettant de diriger la transition.

Vient ensuite le Premier ministre, lui aussi «civil». Ancien ministre des affaires étrangères il y a déjà quinze ans, il s’est mis depuis en recul de la vie publique. Est-ce le critère de discrétion, souvent relevé en ce qui le concerne, qui a prévalu pour le retenir à ce poste ? On peut le penser quand on évoque le troisième personnage de l’équipe, le vice-président, poste imposé par la junte elle-même qui y place son chef, le colonel Assimi Goïta. Et sous sa houlette, la junte a une ambition, conserver l’effectivité du pouvoir pendant la transition, voire au-delà. La composition du nouveau gouvernement lui en donne les moyens, qui révèle comment s’organisera le pouvoir pendant cette période. Et il y a de quoi s’interroger !

Le M5-RFP, le grand perdant

En effet, d’abord la junte conserve les commandes avec quatre de ses représentants aux ministères de la défense, de la sécurité, de la réconciliation et de l’administration territoriale. Les deux derniers portefeuilles cités ne sont pas anodins. L’un garantit d’être au cœur des concertations entre Maliens pour l’unité du pays, quand l’autre a notamment la tâche d’organiser les élections qui clôtureront la période de transition.

La junte garde ainsi la possibilité de peser aussi sur l’avenir post-transition. Ensuite, l’Imam Dicko va pouvoir distiller ses convictions religieuses avec la bénédiction des autorités. Trois des siens entrent au gouvernement, dont son bras droit qui hérite de la formation professionnelle et de l’emploi, intéressant avant tout la jeunesse. De même, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme sont bien représentées, pour redonner une chance de relance à l’accord d’Alger.

Enfin, grand perdant, le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) n’obtient aucun ministère. Et sa réponse ne s’est pas fait attendre. Il se déclare déçu, trahi et appelle ses membres à la remobilisation pour un Mali nouveau. Il rompt également toute relation avec l’Imam Mahmoud Dicko. Mais, au final, tout cela va peut-être rassurer la population, car c’est bien l’ordre militaire qui prévaudra pendant la transition et, à défaut de nouveaux visages, elle pourrait se contenter de personnalités certes déjà vues dans le paysage politique malien mais qu’elle sait intègres, tandis que la junte conservera les commandes.

Reste à mesurer la capacité actuelle d’un M5 affaibli et divisé pour remobiliser une population lassée du grand désordre qu’elle vient de vivre. D’autant qu’il se passe des choses au Mali, car le M5-RFP mis à part, tout le monde ou presque trouve son compte dans ce gouvernement. Sous la vigilance des militaires, les protagonistes de l’accord d’Alger sont là, tout comme les religieux. Et si c’était une grande réconciliation nationale qui se préparait ?



Les otages libérés, mais à quel prix !

On peut s’interroger sur la question avec la libération des otages, affaire révélatrice des réalités locales du moment. D’abord, nous n’avons pas vu le coup venir. Certes, notre diplomatie n’était pas inactive sur le sujet, mais nos canaux n’étaient apparemment pas les bons. Côté malien aussi, l’ancien pouvoir œuvrait sur le sujet. Mais la résolution de cette question s’est brutalement accélérée dès le pouvoir réorganisé à Bamako.

L’introduction de la mouvance Dicko au sein du gouvernement aura sans doute permis un rapprochement avec Iyad Ag-Ghali, l’émir du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), qui détenait les otages. Ils sont libres et c’est tant mieux. On ne s’étendra pas ici sur l’attitude et les déclarations irresponsables de l’otage française, par respect pour nos soldats dont les quarante-cinq (45) tués et nombreux blessés au combat en affrontant les terroristes, ses nouveaux amis, qu’elle se refuse à appeler «islamistes».

Les otages libérés donc, mais à quel prix ! Outre une rançon conséquente semble-t-il bien versée, plus de deux cents islamistes relâchés. Cette affaire interroge à double titre. D’une part, pour obtenir ce résultat, les négociateurs auraient eu recours à toutes les factions, obédiences, mouvances et autres sensibilités présentes au Mali. Les nouvelles autorités ont donc le contact avec tous les acteurs locaux pour s’attaquer aux grandes questions qui divisent le pays, unité nationale et terrorisme religieux compris. Alors pourquoi pas une grande réconciliation nationale ! Au passage, l’idée que seuls les Sahéliens possèdent la solution de la crise sahélienne se renforce une fois encore.

D’autre part, plus de deux cents (200) islamistes, dont certains capturés par «Barkhane», ont été relâchés dans la nature. La nouvelle a dû laisser pantois notre force et ses alliés. Comment poursuivre dans ces conditions la lutte contre le terrorisme religieux au Mali ? Il faut s’expliquer. Avec les Maliens, il convient de savoir ce qu’ils veulent et redéfinir les règles du jeu. Avec nos alliés, il faut redéfinir les buts de cette guerre, l’effet final recherché. Que faire désormais au Sahel ? Contre qui nous battons-nous ?



L’engagement et le dévouement de nos soldats

Peut-être faudra-t-il revoir notre posture, accompagnement d’une solution locale plutôt qu’imposition de la nôtre, avant d’imaginer la suite. Et en poussant un peu la réflexion, avec l’idée qu’une grande réconciliation est possible, ne se dessine-t-il pas en creux les prémices d’une possible stratégie de sortie de crise pour «Barkhane». Bien sûr, la question ne concerne pas que le Mali et «Barkhane». La lutte contre le terrorisme au Sahel repose sur un système d’alliances complexes impliquant les uns vis-à-vis des autres de nombreux acteurs intérieurs et extérieurs. Mais il ne faut pas exclure d’emblée que l’exemple malien s’impose et fasse tache d’huile localement.

Pour autant, le cocktail qui entoure le nouveau pouvoir malien a un goût étrange, mélange d’espoir, de renouveau, de réconciliation… mais aussi de fragilité sur fond de potentielle frustration. Espérons qu’il ne lui soit pas fatal car tout reste à faire. Le retour à l’ordre ne pourra se faire en s’appuyant sur la seule perspective de réconciliation. Des avancées sociales, un redémarrage économique et des assurances sécuritaires sont attendus, domaines non abordés pendant la concertation.

Aussi, face au scénario très optimiste de Mali nouveau, force est d’en imaginer deux autres plus crédibles à ce stade: restauration de l’ordre ancien, teintée d’actions chocs contre la corruption, la prévarication ou l’injustice, pour mieux faire passer le retour des «anciens», ou nouveau coup de force pour reprendre la main. Et, au Mali, on sait faire !

Pour conclure, dans ce contexte troublé, une pensée particulière s’impose pour nos soldats de «Barkhane». L’engagement et le dévouement, dont ils font preuve depuis toutes ces années pour remplir leur mission complexe et exigeante dans l’environnement difficile que l’on sait, tiennent du sacerdoce. On sait aussi le souci d’efficacité qui les anime, du soldat au général, et l’ampleur du travail accompli, au prix du sang versé. Au-delà de la déception de voir leur travail en partie anéanti, j’imagine leur questionnement aujourd’hui. Dans les conditions actuelles, mourir pour le Mali a-t-il encore un sens ?

Source: Le Monde.fr
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