La banlieue de Conakry a de nouveau été le théâtre jeudi de tirs et de heurts entre partisans du candidat Cellou Dalein Diallo et forces guinéennes, quatre jours après une présidentielle dont les résultats officiels se font attendre, ont rapporté des journalistes de l'AFP et des témoins.
Différentes villes de Guinée, à commencer par la capitale, sont en proie depuis lundi à des violences qui ont fait une dizaine de morts selon les autorités, au moins 19 selon M. Diallo.
Les tensions qui ont précédé le scrutin pendant des mois ont été avivées après le vote par la proclamation unilatérale de victoire par M. Diallo, les soupçons de fraude et la publication par les autorités de résultats partiels très favorables au président sortant, Alpha Condé.
L'éventualité d'un troisième mandat consécutif de M. Condé, 82 ans, a provoqué pendant un an une contestation dans laquelle des dizaines de civils ont été tués, faisant craindre une éruption autour du vote, dans un pays coutumier des confrontations politiques sanglantes.
Les affrontements se sont poursuivis jeudi à Conakry, dans les quartiers de Cosa, Nongo, Sonfonia ou encore Wanindara, mais aussi en province.
"Nous n’avons pas fermé l'œil de la nuit à cause des détonations, des tirs nourris. On a l'impression que nous sommes dans un pays de guerre", a dit à l'AFP un habitant de Sonfonia, Mamadou Moussa Bah.
"Les enfants en bas âge sont traumatisés pendant que leurs aînés sont dans la rue, affrontant violemment les forces de l’ordre", a-t-il dit.
- Sous scellés -
Des journalistes de l'AFP qui se sont approchés de ces zones dangereuses ont décrit des rues habituellement très animées et à présent désertées, des détonations au loin confirmant les affrontements en cours.
Les jeunes dressent des barricades, renversent des poubelles, allument des feux et harcèlent à coups de pierres policiers et gendarmes qui ripostent à l'aide de moyens anti-émeute, voire de frondes, et très souvent à balles réelles selon de nombreux témoignages.
Le camp de M. Diallo accuse celui de M. Condé de se livrer à une "fraude à grande échelle" pour conserver le pouvoir à tout prix.
M. Diallo, battu par M. Condé en 2010 et 2015, a proclamé sa victoire lundi en invoquant le travail mené par son parti pour faire remonter les données du terrain et ne pas s'en remettre aux organes officiels, inféodés selon lui.
L'animosité et la méfiance ont été accrues par le dispositif policier déployé depuis mardi autour de chez M. Diallo qui se dit maintenant "séquestré", par une opération de police menée mercredi contre les bureaux de son parti et des résultats partiels publiés par la commission électorale.
Le ministre de la Sécurité Albert Damantang Camara a confirmé que les locaux du parti avaient été placés "sous scellés" en vertu d'une procédure judiciaire ouverte parce que "des messages contraires à l'ordre public et à l'unité nationale ont été diffusés".
Quant au dispositif mis en place autour de chez M. Diallo, il a invoqué des "raisons de sécurité", sans plus de détails.
- Exode -
La commission électorale, quant à elle, a rendu publics depuis mardi soir les résultats dans 20 des 38 circonscriptions que compte le pays, représentant 2,28 millions d'électeurs potentiels sur un total de 5,41 millions d'inscrits.
Ces résultats ne permettent pas de se prononcer sur l'issue du vote. Mais, avec plus de 59% des scrutins exprimés, ils accordent une très large avance à M. Condé sur M. Diallo, qui ne recueille qu'un peu plus de 31%, selon un calcul provisoire de l'AFP.
M. Diallo revendique 53% des voix. Il a dénoncé dans un communiqué des "falsifications massives", des disparitions "inexplicables de procès-verbaux", ou encore des manipulations de taux de participation.
Le doute subsiste quant au moment où la commission publiera un résultat final.
En province, les villes de Pita, Labé et Mali ont également connu des heurts.
"Beaucoup de nos parents sont allés dans les villages, ils ont préféré aller se réfugier là-bas", a dit à l'AFP Marwana Soumanoh, chaudronnier à Pita (centre), accusant les forces de l'ordre d'exactions.
Le maire de Mali (nord), Abdoulaye Fily Diallo, a pour sa part dénoncé les agissements des soldats du bataillon d'infanterie local, "qui rentrent en ville et tirent n'importe comment, effraient tout le monde" et ont fait plusieurs blessés selon lui.