La visite au Mali, du ministre français des Affaires étrangères, Jean Ives Le Drian, qui consacre la première d’une autorité civile française depuis le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, se situe également au lendemain de la libération de deux otages maliens et français échangés contre plus de deux centaines de djihadistes et le paiement présumés d’environ 20 millions d’euros de rançons. Ce qui n’est pas banal dans un contexte de prémisse de négociation avec les djihadistes, ou de polémique sur la question.
Cette première visite d’une autorité civile française depuis le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, apporte une caution de la France, s’il en est besoin, aux autorités de la transition, le Président Bah N’Daou, le vice président Colonel Assimi Goïta, le Premier ministre Moctar Ouane et son gouvernement, en place depuis près d’un mois et pour une durée de 18 mois.
Outre un soutien politique et militaire, la visite de Jean-Yves Le Drian donne un coup d’accélérateur au volet développement de la relation entre les deux pays avec la signature d’« importants accords de coopération », de conventions d’aide au développement à hauteur de 140 millions d’euros, dans le domaine des infrastructures et de l’eau, de la politique sociale et de l’autonomisation des femmes. Le volet développement qui a toujours été au cœur de la stratégie française à travers son agence de développement (AFD) avec environ 22 projets dans le pays, se trouve également au cœur du programme inédit pour toute la sous-région, l’Alliance Sahel.
Avec cette visite de deux jours, dimanche 25 et lundi 26 octobre 2020, la France emboîte le pas à la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui a levé les sanctions imposées au Mali après le putsch, conférant une reconnaissance internationale de fait à l’équipe en place et à l’Union africaine, qui a fait autant. Paris veut ainsi réaffirmer sa volonté d’accompagner la transition politique malienne. Mais comme les autres partenaires, la France veille de près au respect des engagements pris par la junte : rendre le pouvoir à des dirigeants civils élus au terme d’une période de transition d’une durée maximale de 18 mois.
Mais que de défis pour une transition que l’ensemble des forces vives peine à soutenir, se perdant en conjecture de positionnement pour la prise du pouvoir après la transition. Ne serait-ce pas trop demander à un fragile pouvoir de transition de gérer à la fois les sauts d’humeurs égocentriques et les défis existentiels de la Nation ?
Les nouvelles autorités affichent une volonté de s’attaquer aux problèmes du pays : les violences djihadistes et intercommunautaires, la corruption et l’impunité qui gangrènent la gouvernance, et qui est à la base du renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Mais ces pratiques érigées en système ont la vie dure. Les autorités de la transition veulent que tous à l’unisson, forces vives nationales et partenaires techniques et financiers leur apportent un soutien à hauteur d’engagement patriotique ; que les partenaires sociaux des corporations de revendication négocient leur trêve transitoire.
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, s’inscrit dans la logique de «travailler avec les autorités sur les paramètres de cette charte, qui intègre à la fois la mise en œuvre des accords d’Alger, la lutte contre la corruption, contre l’impunité et la poursuite des combats contre les jihadistes, en particulier dans le cadre de la force conjointe du G5 Sahel », a-t-il dit à l’AFP au seuil de sa visite au Mali.
Dialoguer avec les djihadistes ?
Les Maliens de la classe politique, de la société civile et autres ont maintes fois exprimé leur volonté de réviser l’accord pour la paix et la réconciliation issu des pourparlers inter-maliens d’Alger, même si tous s’accordent sur l’urgence de sa mise en œuvre. La conférence d’entente nationale (du 27 mars au 02 avril 2017) et le dialogue nationale inclusif (du 14 au 22 décembre 2019), étaient parvenues à la conclusion de cette « relecture de certaines dispositions de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale selon son article 65 » (DNI), ainsi que la négociation avec les djihadistes maliens, « Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali (dirigeants de groupes armés liés à Al-Qaïda) pour “ramener la paix au Mali” ».
Cependant les influences extérieures quand à la gestion de la crise du nord du Mali ne sont qu’un secret de polichinelle. De rébellion, cette crise a revêtu des questionnements géostratégiques, les régions du nord devenant le centre des affaires : criminalités transnationales organisées, trafic de drogue à grande échelle, terrorisme, industrie de la drogue, trafic d’armes, trafic humain, exploitation minière.
La récente visite en Algérie, dix jours avant celle du Mali, du chef de la diplomatie française, Jean Ives Le Drian, signifie que les deux Etats s’efforcent, dans le cadre de l’accord, de coordonner leurs actions, compte tenu de l’influence des deux pays sur les groupes armés du Nord. Comme indique lepoint.fr, « La France et l’Algérie, à qui l’on prête une influence sur les groupes armés du Nord et qui entend jouer un rôle majeur dans le règlement de la crise, s’efforcent dans ce cadre de coordonner leurs actions, comme on a pu l’observer lors de la récente visite du chef de la diplomatie française à Alger ».
Ainsi, pour lepoint.fr, cette visite prenant en compte les questions de « paix et de sécurité dans la région, toujours en proie aux attaques djihadistes », s’inscrit dans la droite ligne de « la dynamique engagée aux sommets de Pau et de Nouakchott, alors que de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’un dialogue avec certains groupes armés. Sans compter que vue de Paris, la remise en liberté de centaines de djihadistes en échange de la libération des deux otages Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé n’est toujours pas passée », selon lepoint.fr.
De l’à priori « ne jamais dialoguer avec les terroristes », la question, « faut-il dialoguer avec les djihadistes ? » est devenue une équation à géométrie variable. La variable « ne jamais dialoguer avec les terroristes » équivaut aussi à ne jamais payer de rançon et dans la même logique ne jamais libérer un terroriste fait prisonnier, en échange d’otages aux mains des djihadistes. A y voir de près, la réponse intègre aussi bien des variables sécuritaires, humanitaires que politiques, pour s’éloigner de la science.
Toutefois, ce n’est pas la première fois qu’il y ait eu des contreparties à la libération des prisonniers. En décembre 2014, quatre djihadistes ont été relâchés en contrepartie de la libération du dernier otage français de l’époque, à savoir Serge Lazarevic. Parmi les quatre djihadistes, prisonniers dans les prisons maliennes, échangés contre l’otage français, figuraient Mohamed Ag Wadoussène, l’un des instigateurs présumés de l’enlèvement de Serge Lazarevic, et son complice Haiba Ag Acherif. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs autres otages européens ont eu la vie sauve grâce à ce marchandage humain (ou inhumain) qui, malheureusement, ne fait que fructifier l’industrie de prise d’otages, octroyant des moyens énormes aux terroristes de se doter d’armements sophistiqués.
Des otages fortunes diverses
Deux otages européens ont été exécutés entre 2009 et 2010 par Aqmi, faute de mécanisme de dialogue et de paiement de présumés rançons ayant permis de libérer plusieurs autres. Moins chanceux que Serge Lazarevic et Sophie Pétronin, les otages français Michel Germaneau et britannique Edwin Dyer ont été exécutés respectivement en 2010 et 2009, par leurs ravisseurs terroristes dans le désert malien. Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) annonçant l’exécution de Michel Germaneau, dans un enregistrement sonore diffusé par la chaîne Al-Jazira, déclarait avoir voulu « venger », par cette exécution, « nos six frères tués dans la lâche opération de la France », faisant ainsi référence au raid militaire français et mauritanien, pour libérer Michel Germaneau.
Dans le cas de l’otage britannique, Edwin Dyer, exécuté en 2009 par Aqmi, après six mois de détention, Londres avait refusé de céder aux exigences d’Aqmi, qui réclamait des Britanniques qu’ils œuvrent pour la libération de plusieurs membres de l’organisation, prisonniers dans des pays du Sahel. Ces mêmes exigences auraient été formulées auprès de la France, même si à l’époque, Paris a soutenu qu’aucune information n’a été fournie par les ravisseurs sur l’identité ou le lieu de détention des prisonniers qu’ils voulaient voir libérés.
Logique de combat
La France qui compte plus de 5 000 soldats au Sahel, et malgré une opinion nationale française assez polémique sur la question, a réitéré après le coup d’État, sa détermination à poursuivre le combat antidjihadiste au Mali. A cette opinion nationale peu encline à donner sa totale caution à l’engagement des hautes autorités françaises à poursuivre la guerre totale contre les djihadistes dans le sahel, ne s’oppose pas celle malienne. En effet des appels pressants sa légion au Mali, à engager des négociations avec les groupes djihadistes, affiliés soient-ils à Aqmi, comme ceux de Iyad Ag Ghaly au nord du Mali, et de Amadou Koufa au centre, même s’ils ne sont plus les seuls acteurs qui écument 2/3 du territoire malien, malgré la présence de Barkhane avec 5 100 hommes, de la Minusma avec 15 209 hommes et du G5 Sahel avec 5000 hommes.
En plus des appels d’acteurs politiques et de la société civile (Imam Mahmoud Dicko, Tiebilé Dramé, Oumar Mariko), la conférence d’entente nationale a apporté une caution nationale à explorer cette voie du dialogue inclusif prenant en compte les djihadistes maliens. Quelques heures après la clôture de la Conférence d’entente nationale (avril 2017), l’ancien président malien IBK se projetait dans une interview aux antipodes des conclusions de ce forum national, en soutenant le contraire, pas de négociation avec les djihadistes. Les ficelles étaient trop grosses pour laisser un doute sur l’étiquette française au détriment du made in Mali sorti de la conférence d’entente nationale.
Puis deux ans plus tard, le président IBK a fini par emboucher la trompète du dialogue avec les djihadistes, accueillant et s’appropriant les résolutions du Dialogue nationale inclusif favorables à cette ouverture. Et IBK citant en exemple les modèles algérien et afghan, reconnut sur France 24, la nécessité d’explorer les voies d’une sortie de crise après huit années de guerre sans issue rapide en vue. Après la chute du président IBK, les nouvelles autorités de la transition, par la voix du Premier ministre Moctar Ouane, embouchent la même trompète pour dire oui au dialogue avec les djihadistes. La France va-t-elle tordre la main à Bah NDaou et Moctar Ouane ? Ce qui est sûr, pour Jean Ives Le Drian, chef de la diplomatie française, cette voie (dialoguer avec les djihadistes) est maléfique. A comprendre que les djihadistes doivent être combattus et non dialoguer avec eux.
Au delà de la vibration de la fibre patriotique, la sympathie pour les FAMa, la présence de nos forces à Farabougou, coiffées par le vice président de la transition, le colonel Assimi Goïta, alors qu’un dialogue était en cours, répond -elle à cette logique de rupture avec le dialogue ? Peut-on soupçonner un lien présumé ou potentiel entre les assaillants de Farabougou et les djihadistes ? L’armée a foulé le sol de Farabougou la veille de la visite de Le Drian au Mali. Wait and see ! Pour Le Drian, « Il importe qu’on aille au bout du processus dit d’Alger». La rencontre avec les groupes signataires de l’accord s’inscrivait dans cette dynamique de mise en œuvre urgente de l’accord. Mais ce chemin est parsemé d’embuches, à l’instar des obstacles rencontrés dans le processus de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR).