Avec 920 cas de décès par an, soit 52 % au Mali, le cancer du sein est la 2e cause de mortalité par cancer chez la femme. A Bamako, plusieurs groupements dont le groupe de marche Bamako sport et Randonnées, multiplie des actions de sensibilisation en cet octobre, mois consacré à la cause.
A 50 ans, Kadiatou Kanté s’attendait loin de recevoir une nouvelle qui la marquera tout au long de sa vie, deux ans plus tard. “Ça n’a pas été facile, mais la seule solution en ce moment c’était l’ablation”, raconte-t-elle. Plongée dans les souvenirs de cette nouvelle inattendue, elle poursuit. C’est en 2015 que le cancer du sein de Mme Faye Kadiatou Kanté a été diagnostiqué. “J’ai constaté une boule dans mon sein gauche. Je ne suis pas partie tout de suite à l’hôpital parce que je ne savais pas que c’était le cancer. Au moment où je suis allée, c’était un peu trop tard. Il fallait couper mon sein”, se remémore-t-elle. Entre sa vie de femme au foyer, son commerce et son atelier de couture, Kadiatou Kanté se voit surmonter cette épreuve difficile, tombée sur elle à 52 ans, le combat contre le cancer du sein.
Au Mali, le cancer du sein est le 2e cancer chez la femme avec 1 755 cas par an, selon les données du service d’hématologie et d’oncologie médicale au CHU du Point G. Sur ce taux, 80 % des cas sont diagnostiqués en stade avancé. Une évolution inquiétante, estime Dr. Sidibé Fatoumata Matokoma, oncologue médicale au service d’hématologie et d’oncologie médicale au CHU du Point G. “Le fait de voir qu’en 2020, 80 % de nos cas sont des stages avancés, ça fait vraiment mal au cœur. C’est parce que les Maliens ne consultent pas assez tôt, ne font pas de dépistage et ne croient pas forcement à cette maladie. Beaucoup pensent plutôt que c’est une maladie du mauvais œil et de la sorcellerie. Ils commencent par des mauvais tradipraticiens. D’autres, parce qu’ils ont juste honte, c’est tabou et ils restent avec la maladie sans consulter alors que si on est diagnostiqué tôt on peut en guérir”.
Le combat contre le cancer du sein Kadiatou dit arrivée à le surmonter grâce au soutenu de sa famille et son mari surtout « Sans ça, quand qu’on te dit que tu as le cancer tu vois tout de suite la mort ».
C’est à l’hôpital Luxembourg que la patiente fait sa prise en charge. Après sa chimiothérapie, elle passe périodiquement faire sa suivie auprès de son médecin traitant depuis quatre ans. “Je peux dire que je suis guérie parce qu’il me reste un an encore de suivi. Toute blessure du cancer il faut 5 ans, il me reste une année”.
Dans sa lutte, Mme Faye Kadiatou Kanté avec leur association “les combattantes du cancer“ mènent aujourd’hui aussi une autre lutte, “faire comprendre aux femmes que le cancer du sein c’est une maladie comme les autres et qui ne se soigne qu’à l’hôpital”.
Moyen de prévention
Comme Mme Faye Kadiatou Kanté, ils étaient près de 140 personnes ce dimanche à Bamako à battre encore le pavé, après 2019, contre le cancer du sein sur la colline de Koulouba. La marche, organisée en marche de la campagne annuelle de sensibilisation sur le cancer du sein, (octobre rose), est initiée par le groupe de marche Bamako sport et randonnées. Une initiative selon Ernest Akpoue, initiateur du groupe, vise à aider à la sensibilisation des jeunes femmes et aussi les hommes pour une prise de conscience. “Le cancer du sein est une maladie très grave qu’on garde au secret encore, mais qu’on peut prévenir assez tôt si on connait les règles de prévention. On a des statistiques en Europe, mais contrairement à ce qu’on pense au Mali, il y a beaucoup de malades aussi, il y a eu des morts. On était près de 140 personnes à marcher dont 60 femmes qui est très intéressant parce qu’elles sont les premières cibles, mais, les hommes aussi et peuvent contribuer à sensibiliser à prévenir la maladie”.
Sur un parcours de 12 Km, les marcheurs et médecins ont saisi l’occasion d’échanger sur le cancer du sein, les facteurs attribuables à l’homme et ses moyens de prévention.
La pratique du sport, au moins 30 minutes d’activité physique régulière par jour, est conseillée pour prévenir le cancer, recommande Dr. Sidibé.
Un objectif que se veut promouvoir Bamako sport et randonnées depuis 4 ans. “Nous avons créé ce groupe-là, pour amener plus de personnes à faire du sport, ce qui leur permettra de prévenir plusieurs maladies dont le diabète, le cancer du sein, l’hypertension. Il y a une centaine de personnes qui viennent marcher avec nous chaque semaine. Nous profitons également pour découvrir le pays”.
Kadiatou Mouyi Doumbia
Dr. Sidibé Fatoumata Matokoma, Oncologue Médicale :
“Plus de 900 patients meurent par an du cancer du sein au Mali“
Le cancer, les facteurs qui favorisent la survenue du cancer du sein et quel traitement.
Dans cette interview, Dr. Sidibé Fatoumata Matokoma, oncologue médicale au service d’hématologie et d’oncologie médicale au CHU du Point G revient sur la question.
Mali tribune : Qu’est-ce qu’un cancer du sein ?
Dr. Sidibé Fatoumata Matokoma : Le cancer d’abord est une anomalie. Ce que nous appelons une multiplication anarchique, incontrôlée et excessive des cellules du corps devenues anormales. Pour expliquer en langage du grand public en fait, dans notre corps, on a des milliers et des milliers de cellules qui répondent à notre corps. Elles naissent et puis elles se multiplient de façon homogène. A un moment donné, elles meurent sans qu’on ne se rende compte.
Dans le cas du cancer, ces cellules du corps ne répondent plus à ce système, cet équilibre-là. Elles ne meurent plus et se multiplient de façon anarchique jusqu’à former une masse, ce que le grand public appelle une boule. Lorsque cette multiplication survient au niveau des glandes mammaires ça constitue le cancer du sein.
Mali tribune : Quels sont les facteurs qui favorisent le cancer du sein ?
Dr. S. F. M. : Il y a plusieurs facteurs qui favorisent cette maladie, mais malgré les progrès, les causes réelles du cancer du sein restent méconnues à ce jour-là. Ce n’est pas en réalité une nouvelle maladie, mais c’est une maladie qu’on n’arrive pas à tout cerner. Par contre, les facteurs qui favorisent la maladie si on les évite, on peut éviter le cancer du sein au moins dans 40 % des cas.
Le Tabac est un facteur très important dans la genèse du cancer, soit le cancer du sein, de la vessie, du poumon ou du sein. L’obésité, l’absence d’allaitement maternel, la consommation d’alcool sont aussi des facteurs qui favorisent la survenue du cancer. Il y a aussi le mauvais régime alimentaire : le régime pauvre en fruits et légumes, un régime très riche en matière grasse, trop salée, des aliments fumés, la viande rouge en accès…
Mais il y a aussi l’imprégnation hormonale prolongée des menstrues avant 12 ans, ménopauses après 55 ans. Ces facteurs font que la femme reste longtemps exposée aux hormones et les hormones agissent sur le sein et peuvent favoriser ce cancer du sein.
L’autre côté c’est la mutation génétique. Dans des familles, ils ont des anomalies qui se transmettent d’une génération à une génération. Dans le cadre du cancer du sein, la mutation la plus connue c’est la mutation BRCA 1 et 2. S’il y a cette mutation dans la famille, les hommes aussi peuvent être concernés. Sur 100 cas de cancer, un cas peut concerner les hommes, mais c’est plus fréquent chez la femme.
Mali tribune : Avec plus 1 700 cas diagnostiqués par an, est-ce que le traitement du cancer du sein est abordable à citoyen moyen ?
Dr. S. F. M. : On a la chance maintenant au Mali. Depuis 2012, le ministère de la Santé met par an une enveloppe pour acheter les produits de chimio pour tous types de cancers. Ils ont construit aussi à l’hôpital du Mali un centre de radiothérapie, qui fait partie de l’arsenal thérapeutique du cancer du sein. Le traitement reste quand même incomplet dans le sens où cet appareil n’est pas fonctionnel. Il est en panne depuis mars avril. C’est un seul appareil pour 20 millions d’habitants alors que les études nous montrent qu’il faut un appareil pour 1 million d’habitants. Actuellement, ceux qui ont le cancer du sein peuvent juste faire la chirurgie et la chimiothérapie.
L’autre volet qui a commencé depuis 2020, c’est l’arrivée de médecins sans frontières qui a décidé de prendre en charge à 100 % tous les Maliens et Maliennes qui ont un cancer du sein et du col soit dans un projet curatif et le volet palliatif.
Donc, on plus d’excuses de venir à des stades avancés, avec des métastases.
Le ministère et Médecins sans frontières ne peuvent pas faire tout seuls parce que la prise en charge du cancer coûte très cher. J’espère qu’il aura d’autres partenaires et ONG qui vont s’intéresser à la chose parce que les cancers du col et du sein sont les plus fréquents au Mali et font encore plus de ravages.
Sur les 1 700 cas qu’on diagnostique par an, environ 900 à 950 patients meurent dans l’année. On est à plus de 50 % de décès encore et dans la même année, alors que si on est diagnostiqué tôt vous pouvez en guérir.
Dans d’autres pays, au moins 90 % des femmes sont vivantes à 5 ans après la maladie et retrouvent une vie normale et professionnelle et sociale.
Mali tribune : Les coûts du dépistage et du traitement s’élèvent à combien approximativement ?
Dr. S. F. M. : Avec Médecins sans frontières et l’aide du ministère de la Santé, on peut dire que si la maladie est localisée, c’est gratuit à 100% sauf la partie radiothérapie qui est en panne. Pour aller le faire, il faut aller à l’étranger. Ça coûte très cher.
Ce traitement de radiothérapie pour le cancer du sein coute 1 500 000 F CFA à 2 000 000 en Côte d’Ivoire, Dakar et dans le public c’est 700 000 F CFA. Dans ce frais, il n’y a ni le coût du billet d’avion, du transport, du logement, la nourriture dans ces pays.
Au Mali aussi, alors qu’en stade avancé, ça devient cher parce qu’à chaque fois, on demande des bilans biologiques et scanners qui peuvent coûter 100 000 et là on les demande régulièrement pour voir l’évolution de la maladie.
Les nouveaux traitements aussi qui ne sont pas disponibles au Mali. L’injection, par exemple, peut coûter 500 000 F CFA une injection alors que c’est des injections à faire toutes les trois semaines pour une durée minimale d’un an. Ça aussi ni Médecins sans frontières ni l’Etat ne peut pas prendre entièrement en charge pour tous les patients. Si on doit comptabiliser tous ces coûts, c’est très cher.
Pour le dépistage du cancer du sein, la mammographie se fait dans le public au point G à 16 000 F CFA. C’est actuellement en panne et dans certains privés à environ 30 000 F CFA. C’est quand même pris en charge par l’Amo.
J’espère que dans les années à venir, on aura des programmes de dépistage organisés au Mali où on va inviter les femmes de 40 ans et plus à se faire dépister gratuitement à la mammographie, inciter les jeunes filles qui ont moins de 40 ans à consulter une fois par an.
Nous invitons tout le monde à se faire dépister, à faire l’autopalpation régulièrement en dehors des menstrues, des examens cliniques chez les gynécologues et médecins au moins une fois par an, pour s’assurer que tout va bien au niveau du sein et surtout de consulter dès qu’une femme voit un changement, une petite anomalie. C’est la clé de la guérison