Les 25 et 26 octobre 2020 le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le DRIAN, a effectué une visite officielle au Mali, la première d’un Haut Responsable français depuis le coup d’Etat militaire qui a renversé le régime d’IBK le 18 août 2020. Au cours de ce séjour de 48 heures, le locataire du Quai d’Orsay a animé une conférence de presse au cours de laquelle il donné sa position, qui est aussi celle de la France, par rapport à la possibilité d’engager des négociations avec les groupes djihadistes, en vue de la résolution de crise sécuritaire qui n’en finit pas frapper le septentrion et le centre du Mali.
Dans cette prise de position, et sans grande surprise d’ailleurs, le chef de la diplomatie française a fait part de son opposition catégorique à toute action qui tendrait à ouvrir des canaux de négociation avec les djihadistes. « Disons les choses très clairement. Il y a les accords de paix d’Alger avec les groupes signataires et puis il y a les groupes terroristes qui n’ont pas signé lesdits accords de paix. Les choses sont simples. A cela nous voudrions ajouter que l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger donne la possibilité aux groupes dissidents de signer le cessez-le-feu et adhérer aux conditions de l’Accord. Cette disposition ne distingue nullement les groupes terroristes qui sont aussi des groupes armés dont les doléances sont portées par une doctrine religieuse extrémiste », a déclaré le locataire du Quai d’Orsay.
De par ses propos, le ministre français voudrait implicitement rejeter toute idée de négociation avec les groupes terroristes non signataires de l’Accord d’Alger, tant que ceux-ci ne se défassent pas de leur doléances qui en appellent à une doctrine religieuse extrémiste. Il faut dire que cette position de la France, exprimée par la voix de monsieur Le DRIAN est loin de rencontrer l’assentiment du peuple malien qui, dans sa majorité écrasante, s’accommode plutôt de l’ouverture de canaux de négociation avec les groupes djihadistes. Et le Premier ministre de la Transition, Moctar OUANE n’est pas passé par quatre chemins pour le signifier à son hôte. En effet, le chef de l’Exécutif de la Transition a jugé bon de rappeler que l’ouverture des négociations avec les groupes Djihadistes était une recommandation du Dialogue National Inclusif, tenue en décembre 2019. Cette Concertation nationale qui a réuni toutes les forces vives du pays avaient suggéré de dialoguer avec Amadou Kouffa et Iyad Ag Ghaly, les chefs djihadistes du Centre et du Nord du Mali. Et c’est donc à juste raison que les autorités de la Transition ont décidé de s’inscrire dans cette logique de pourparlers avec les groupes djihadistes. A cet effet, monsieur OUANE, le Premier ministre de la Transition, dira : «cette possibilité de dialoguer est une opportunité d’engager une vaste discussion avec les communautés afin de définir les contours d’une nouvelle gouvernance des espaces. Cela va nécessiter un séquençage et une coordination avec nos partenaires notamment ceux qui interviennent sur le plan militaire ».
On voit donc clairement qu’en ce qui concerne les négociations avec les djihadistes, le Mali et la France ne sont pas sur la même longueur d’onde et à l’opinion nationale malienne de se demander qu’est-ce qui motive tant l’ancienne puissance colonisatrice à rejeter avec véhémence toute idée de négociation avec les djihadistes ? En réponse à ce questionnement, nombreux sont les observateurs qui s’accordent à reconnaitre que l’ouverture de négociations avec les djihadistes signifierait, de façon implicite, l’échec de l’option militaire portée essentiellement par la force française Barkhane. Donc de l’analyse de ces observateurs, par son refus de négocier avec les djihadistes, la France voudrait plutôt occulter l’échec de Barkhane dans sa lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, notamment au Mali.
Mais ce qui ne fait l’ombre d’aucun doute est que la vox populi au Mali penche plutôt pour cette éventualité eu égard au fait que jusque-là, les différentes options de lutte contre le fléau du terrorisme semblent montrer leurs limites. En tout cas jusque-là, aucune de ces options ne semblent réussir à pacifier les localités sur lesquelles les groupes djihadistes étendent leurs hégémonies. Des zones entières où les symboles de l’Etat ne peuvent mettre le pied et cela contribue naturellement à accentuer la recrudescence de l’insécurité dans lesdites zones et aussi son extension à d’autres localités. Avec l’option militaire, qui au début avait été privilégiée par rapport aux autres options, la bande sahélo-saharienne est en passe de devenir le pire des bourbiers pour les différentes forces loyalistes, en présence sur le terrain et cela nonobstant la forte militarisation du Sahel.
D’autre part, des spécialistes de la lutte contre le terrorisme ont conseillé, en lieu et place de l’option militaire, plutôt la promotion d’une politique de développement socio-économique au profit des populations des zones où les djihadistes et autres terroristes étendent leurs hégémonies. De l’analyse de ces spécialistes, on se faisait à l’idée que l’option du développement socio-économique pourrait motiver les populations locales, notamment leurs composantes juvéniles, à ne pas céder à la tentation de recrutement par les groupes djihadistes qui profitent de la pauvreté et de l’oisiveté des jeunes ruraux pour les enrôler.
Si d’aucuns, parmi les observateurs, s’étaient convaincus que l’option du développement socio-économique était la meilleure arme contre le terrorisme dans le Sahel, d’autres par contre avaient estimé qu’elle devait aller de pair avec l’option militaire pour produire l’effet escompté. On s’est vite rendu compte qu’il a plutôt été illusoire de penser qu’une quelconque de ces deux options (militaire et développement socio-économique) pouvait porter des fruits à court ou à moyen terme. C’est fort de cette conviction que d’aucuns, et non des moindres, ont préconisé plutôt des négociations à entreprendre, purement et simplement, avec les djihadistes.
Evidemment que cette dernière option est loin de rencontrer l’assentiment des principaux décideurs au niveau de certains pays partenaires, à l’image de la France. Quoi qu’il en soit, les Maliens sont plutôt favorables à l’idée desdites négociations avec les groupes djihadistes. Même si la question fondamentale, ‘’qu’est-ce que l’on va négocier ?’’ se pose légitimement et avec acuité. Mais là c’est une autre paire de manches.