Il a été révélé par un sketch sur la télé malienne. Dans celui-ci, il incarne l’homme égoïste par excellence. Par méchanceté, l’égoïste accepte que son œil soit crevé parce que son voisin devait perdre ses deux yeux, condition sine qua non posé par un tuteur. Depuis lors, cet acte, bien que comique et banal, fait sa notoriété. Vous l’avez compris, notre héros de la semaine est Nouhoum Cissé. Nous avons rencontré ce comédien à l’état pur à l’espace Blonba, à Baco-Djicoroni. Son parcours est parsemé de coups durs, de déceptions. Mais, grâce au soutien de son patron Alioune Ifra Ndiaye, il a pu résister et parvient aujourd’hui à joindre les deux bouts. Il est aussi reconnaissant vis-à-vis du colonel Cheick Oumar Diarra qui, à un moment donné, l’a sauvé d’un licenciement abusif. Que dire de ses émotions lorsqu’il évoque le nom de sa fille, Mme Haïdara Assétou Cissé, qui lui a acheté une voiture et promis d’achever sa maison en chantier ! Pourquoi il a accepté de jouer ce rôle ingrat de Bagningo ? Comment définit-il l’homme qu’il incarne dans le sketch ? Que pense-t-il de l’éducation des enfants dans notre société ? La responsabilité des parents dans la délinquance juvénile ? Quelles solutions ? De Nouhoum Cissé, véritable banque de données, nous en savons désormais plus.
Bagningo” est l’homme qui ne s’aime pas à plus forte raison autrui, proclame celui qui incarne ce personnage. “Bagningo” a la méchanceté et l’égoïsme chevillés au corps. Nouhoum Cissé enfonce le clou, ajoutant que c’est un sadique qui ne pense qu’à son seul profit. Pis, “Bagningo” ne sait pas qu’il se fait du mal. Malheureusement, selon Nouhoum Cissé, le Mali d’aujourd’hui souffre de cela. Autrement dit, l’intérêt personnel est placé au-dessus de l’intérêt général au mépris de ses conséquences pour le pays.
Pourquoi accepte-t-il alors de jouer le rôle d’un tel personnage qu’il définit comme un mal même dans la cité ? L’enfant de Kita estime qu’on le taquine dans la rue pour simplement lui rappeler son interprétation, sinon, dans la vie courante, précise-t-il, il n’y a aucune commune mesure entre lui et “Bagningo”. Son sourire dans la ville est une réponse à la marge de considération dont il bénéficie de la part de la population.
Nous ne cesserons de rappeler que la rubrique “Que sont-ils devenus ?” constitue une école, sinon qui pouvait imaginer que le comédien Nouhoum Cissé dit “Bagningo” est un intellectuel, un cadre supérieur de la fonction publique ? Bien sûr, l’homme est titulaire des deux parties du baccalauréat depuis 1979. Orienté à l’Ecole normale supérieure, dans la filière psycho-péda, il fait partie des victimes de l’année de la suspension, à la suite de la grève de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM), il ne terminera ses études supérieures qu’en 1985.
Après quelques mois de stage et de bénévolat dans divers établissements scolaires, il est recruté en 1986 par la police nationale comme agent de renseignement. Et de nous expliquer comment ce service secret de la police fonctionne et continue d’opérer. Selon lui, c’est d’ailleurs l’une des raisons fondamentales de la réussite de la corporation. Nos différentes questions pour en savoir plus sur son parcours ont fini par provoquer des sanglots chez l’homme. Ce fit l’effet d’une douche froide sur nous de voir un vieux de 64 ans pleurer à chaudes larmes.
Rancœurs
Au juste, que s’est-il passé ? “J’ai travaillé à la police pendant 32 ans (1986-2019). Nos missions consistaient à infiltrer la population, dénoncer ses mauvaises pratiques. Nous avons déjoué des tentatives de coup d’Etat, les officiers de police sous l’ordre de qui j’ai travaillé m’entendent. Ce qui m’a choqué, c’est la volonté manifeste de certains cadres de la police de s’opposer à mon recrutement. En un mot, j’ai été brimé 32 ans durant.
En 2019, j’étais à bout de souffle avec un indice de 480. J’ai démissionné avec la ferme intention de tout dévoiler et en assumer les conséquences. Ma femme, paix à son âme, Kadiatou Konaré, m’a supplié tout en demandant de m’en tenir au devoir de réserve. Cette dame mérite mon respect, et je ne devrais pas la décevoir. Pour avoir quitté la police et en attendant de régulariser ma situation pour la pension, elle a dit que tout son bien est à ma disposition”.
C’est pendant sa traversée du désert que le jeune Alioune Ifra Ndiaye le récupère pour en faire son acteur-fétiche avec des tournées en Europe. Quelles sont ses qualités exceptionnelles de comédien ? “Bagningo” estime qu’il est né avec des prédispositions pour être un homme de l’art. Tout jeune au village à Kita, ses amis d’enfance lui demandaient fréquemment de “comiquer”, pour faire rire l’assistance.
Sa réplique pour savoir s’il était irrémédiablement le boute-en-train attitré du groupe contribuait déjà à dérider l’assistance.
Inscrit à l’école en 1965, il impressionne par ses gesticulations lors des leçons de récitation et de chant. Son véritable coup d’éclat est le rôle d’ivrogne qu’il interprète dans une pièce de théâtre de fin d’année. Il a fallu l’intervention du directeur d’école pour qu’il ne soit pas chicoté par son maître, qui était persuadé que le jeunot Nouhoum était un véritable soûlard tant il interprétait le rôle à la perfection.
Sélectionné pour la Semaine régionale à Kayes, il ravit le prix de meilleur comédien à la formation coachée par un certain… Kardjigué Laïco Traoré. Voilà qu’il devient un vrai acteur dans sa contrée, jusqu’à à son admission au DEF en 1974. Au lycée de Badalabougou son nouveau point de chute, il redonne vie à la troupe théâtrale en léthargie. Au cours des trois années passées sur la “Colline du savoir”, il crée la sensation et offre moult prix à l’établissement pendant les compétitions culturelles interscolaires.
Bref, il met en valeur son talent de comédien partout où il passe. Mais c’est surtout Alioune Ifra Ndiaye qui le fit découvrir par le grand public en 2013, dans sa mise en scène de Bagningo.
Ce qui lui donne une célébrité incontestable, avec des sollicitations pour jouer dans différents films : “Toile d’araignée”, “Les Rois de Ségou”, “Yèrèdon-bougou”, “Le Contrat social”, “Douaouden” ; des pièces de théâtre “Bagningo”, “Sud Nord”, “Inch Allah”, “Tagninibougou“, “Tête d’or”, etc.
Discipline de fer
Véritable conservateur, Nouhoum Cissé définit la délinquance juvénile comme une défaillance des parents et de la société parce qu’autrefois l’éducation se faisait à trois niveaux : la maison, la rue, l’école. Et c’était le même langage, les mêmes pratiques pour encadrer les enfants. Ce qui réduisait leur marge de manœuvre pour une quelconque plainte.
Selon lui, l’éducation d’un enfant se construit 20 ans avant son naissance. “Chaque enfant est une vitrine de sa famille, c’est-à-dire que son comportement dans la rue permet de se faire une idée sur la personnalité de ses parents. Il est très facile d’expliquer que l’éducation d’un enfant se construit 20 ans avant sa naissance.
Une femme bien éduquée depuis son adolescence, par des parents responsables ne saurait donner naissance à des enfants délinquants. Raison pour laquelle il est corollaire qu’un jeune doit penser à ses origines pour opérer dans la société”.
Pour trouver une solution à ce fléau, il est plus que nécessaire que les familles se ressaisissent pour donner des orientations aux enfants à l’image de leurs parents. Est-ce que Nouhoum Cissé se comporte en conservateur dans sa famille ? Cette question l’irrite parce qu’il pensait que nous doutions de son autorité sur ses enfants. Il soutient que la ville de Bamako n’aura aucune influence sur sa vie.
Il demeurera un conservateur pour inculquer à ses enfants les notions du village, la famille traditionnelle. Cela veut dire qu’il ne vivra pas au-dessus de ses moyens, pour nourrir sa famille. Mieux, il ne forcera rien. La preuve, il est en location. Cette philosophie, que la nouvelle génération qualifierait d’archaïque, n’entrave pas cette reconnaissance vis-à-vis d’Alioune Ifra Ndiaye pour son soutien sans faille. Nouhoum devra en effet sa survie à ce jeune réalisateur.
Marié et père de cinq enfants, dont trois filles, Nouhoum Cissé retient comme mauvais souvenir son passage à la police nationale comme agent de renseignements. Parce qu’il n’a pas été récompensé pour ses efforts et le risque qu’il prenait pour assurer ses fonctions.