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130 Maliens expulsés en Mauritanie par Frontex et l’Espagne malgré leur droit à l’asile
Publié le samedi 31 octobre 2020  |  RFI
Migrants
© aBamako.com par A.S
Migrants rapatriés d’Algérie
Bamako le 10 aout 2016 424 jeunes rapatriés d’Algérie sont arrivés à l’école de Sogoniko
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n début d'année, l'Agence européenne de contrôle des frontières, Frontex, et le ministère de l'Intérieur espagnol ont expulsé 130 Maliens détenus dans les centres de rétention de l'archipel espagnol des Canaries vers la Mauritanie, pays avec lequel l'Espagne a depuis 2003 un accord bilatéral de rapatriement des citoyens de pays tierces entrés illégalement sur son territoire. Nouakchott les a ensuite conduits au Mali, malgré la protection internationale dont ils auraient pu bénéficier.

Mody Cissoko et Sadio Diara disent avoir été prévenus à 2h du matin le 20 janvier 2020 qu'ils allaient être expulsés vers la Mauritanie neuf heures plus tard. Ils étaient détenus depuis 53 jours dans le centre de rétention situé au nord de l'île de Grande Canarie. Ils ont été escortés au petit matin par les forces de l'ordre vers l'aéroport de l'île et sont montés à bord d'un avion de Frontex, l'Agence européenne de contrôle des frontières.

Violation du droit international

L'ordre de leur expulsion aurait été donné par le ministère de l'Intérieur espagnol en vertu d'un accord bilatéral signé avec la Mauritanie en 2003, accord qui permet à Madrid de renvoyer vers la République islamique non seulement les ressortissants mauritaniens entrés illégalement sur le territoire espagnol, mais également toute personne provenant d'un pays tiers et qui aurait pu transiter par la Mauritanie, avant de toucher le sol espagnol.

Ce sont en tout 130 Maliens qui entre le 20 janvier et le 2 mars 2020 ont été expulsés à bord de quatre avions affrétés par Frontex. « Il est interdit d'expulser une personne arrivant d'un pays en guerre, même indirectement, souligne l'avocate Vanessa Hernandez Delgado, qui fournit un accompagnement juridique à de nombreux migrants sur l'île de Tenerife. L'État espagnol s'abrite un peu derrière cet accord bilatéral, il triche. Ce qui est sûr et qui a pu être corroboré, c'est que de façon indirecte, il y avait des expulsions au Mali. Cela me paraît être un contournement du droit en vigueur. »

Selon la convention de Genève et le règlement de Dublin, dont est signataire l'Espagne, tout migrant fuyant un État en guerre doit être informé de ses droits et de la possibilité d'entamer une procédure de demandeur d'asile. Mody Cissoko et Sadio Diarra assurent en avoir été privés, malgré avoir clairement manifesté leur volonté de bénéficier d'une protection internationale.« Après cinq jour de traversée en mer sur une pirogue, nous sommes arrivés aux Canaries et avons été conduits au commissariat et interrogés, raconte Mody Cissoko. Nous avons été détenus trois jours puis nous sommes passés devant un juge. J'ai dit que j'étais Malien, que je venais pour être protégé, car il y avait la guerre dans mon pays. »Son compagnon d'infortune, Sadio Diarra, confirme : « Nous avons demandé l'asile, mais on nous a répondu que l'on ne pouvait pas y avoir droit. Cela m'a beaucoup étonné, ça m'a choqué. Je ne m'attendais pas à ce qu'un pays européen refuse l'asile aux immigrants. »

Deux agents du Défenseur du peuple, instance en charge de vérifier le respect des droits de l'Homme en Espagne, étaient à bord de l'avion de Frontex qui a transporté Mody, Sadio et 44 autres migrants vers la Mauritanie. Leur rapport signale que « plusieurs personnes rapatriées ont déclaré ne pas avoir été informées de la possibilité de solliciter l'asile ». La recommandation du Défenseur du peuple de mieux informer les migrants a beau avoir été officiellement acceptée, trois autres vols ont eu lieu dans les cinq semaines suivantes, vraisemblablement dans des conditions identiques.

► À lire aussi : Les îles Canaries, nouvelle «prison» pour migrants de l'Europe

Une fois arrivés à l'aéroport de Nouadhibou, en Mauritanie, les jeunes hommes auraient été conduits par les forces de l'ordre mauritaniennes dans la capitale, Nouakchott, et mis en cellule pendant deux jours, avant d'être transférés en voiture à la frontière malienne.« Nous avons été maltraités. Nous n'avions pas de nourriture et c'était très difficile d'avoir de l'eau », détaille Sadio Diarra.

Plusieurs interlocuteurs spécialisés dans la prise en charge des migrants assurent que certains, même originaires du Mali, refusent parfois de demander l'asile dans le pays d'arrivée, leur projet étant de poursuivre leur route ailleurs, vers la France ou l'Allemagne par exemple, et de demander l'asile une fois là-bas. Car une fois la procédure entamée dans le pays d'arrivée, les migrants ne peuvent plus en quitter les frontières jusqu'à l'obtention de leur statut de réfugié. Ce que peu d'entre eux semblent savoir, c'est qu'en vertu du règlement de Dublin, leur demande d'asile ne peut être déposée que dans le pays d'entrée sur le continent européen, au plus tard un mois après leur arrivée.

La plupart des migrants maliens rencontrés dans l'archipel ont déjà dépassé ce délai légal d'un mois.« Vu la situation d'urgence, les arrivées massives et la crise sanitaire, nous espérons que ce délai sera exceptionnellement étendu », confie Raul Baez, avocat de la Croix-Rouge espagnole basé à Las Palmas, sur l'île de Grande Canarie.

Une distinction selon les régions maliennes d'origine

Interrogé, le juge en charge du centre de rétention de Grande Canarie, Arcadio Diaz Tejera, assure que les personnels du centre offrent les informations adéquates sur le droit d'asile aux migrants qui y sont détenus. Il dénonce néanmoins l'attitude du Bureau de l'asile et des réfugiés dépendant du ministère de l'Intérieur espagnol. Pendant cette période, plusieurs de ses employés, souvent des policiers, auraient interrogé les migrants internés au centre de rétention sollicitant l'asile. « Au début, ils pensaient que seuls les Maliens venant du nord du pays avaient le droit à une protection internationale, pas ceux qui venaient du centre ou du sud du pays. Mais aujourd'hui, il faut présumer que ceux qui viennent du Mali, surtout depuis le coup d'État, viennent tous d'un pays en guerre et ont droit à une protection internationale. » En l'occurrence, Mody venait de Mopti, au centre du Mali, et Sadio, de Bamako, la capitale, au sud.

Le juge milite aujourd'hui pour qu'une information claire soit donnée à tous les migrants débarquant sur le sol espagnol de la part des différents professionnels les prenant en charge, depuis leur arrivée dans les ports de l'île, jusqu'aux commissariats, tribunaux, centres de rétention, centres d'accueil et hôtels, où près de 4 500 d'entre eux sont actuellement logés dans l'archipel. Récemment, plus de 20 Maliens détenus dans le centre de rétention de Grande Canarie en ont été sortis pour entamer la procédure de demandeur d'asile. En effet, seuls les migrants susceptibles d'être expulsés sont censés y être détenus, mais la procédure de demande d'asile est suspensive.

Rouvrir les frontières avec le Maroc et la Mauritanie pour relancer les expulsions

Face à l'afflux massif de 11 000 migrants vers l'archipel cette année, dont plus de 4 000 juste au mois d'octobre, le président du gouvernement des Canaries, Angel Victor Torres, s'est réuni à plusieurs reprises avec des représentants de Rabat. L'édile souhaite que les frontières rouvrent, malgré la crise sanitaire due au Covid, et que le royaume chérifien rapatrie tous ses ressortissants entrés illégalement sur le sol espagnol. Ces dernières semaines, la Croix-Rouge estime qu'entre 80 et 90% des passagers des embarcations de fortune arrivant aux Canaries sont Marocains. Les rumeurs courent également quant à la réouverture des lignes aériennes vers la Mauritanie qui permettrait à nouveau à l'Espagne d'expulser des migrants arrivés sur son sol. Aucune déclaration officielle n'a confirmé ces rumeurs.

En attendant, qu'ils aient été illégalement renvoyés ou non au Mali, Mody et Sadio rêvent toujours d'Europe et se disent prêts à retenter la traversée.
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