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Sophie Pétronin, les secrets de son retour : otage pendant quatre ans, Sophie Pétronin a été relâchée, la famille est en fête, mais le prix de sa liberté fait débat
Publié le mardi 10 novembre 2020  |  parimatch
L`ex-otage
© Autre presse par DR
L`ex-otage française Sophie Pétronin
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En début d’après-midi, Soumaïla Cissé croit enfin reconnaître les rochers de la région de Tessalit. Après vingt-quatre heures de route, le paysage se fait moins aride, plus verdoyant. La Jeep grimpe sur des collines puis s’arrête. Les gardes déballent le repas. « Il y avait beaucoup de viande », se souvient le député. Sophie Pétronin réussit à échanger trois mots en tamasheq, la langue touareg. Les gardes comprennent un peu. Quel changement ! Pendant six mois, Cissé a dû communiquer par gestes.




« Le plus dur, dit-il, c’était d’arriver à se faire comprendre. D’abord, ils n’étaient pas très causants ; ensuite, ils ne parlaient que l’arabe, et moi seulement le peul et le français. » Lorsque, ce mardi 6 octobre, il voit débarquer Sophie Pétronin, l’ancien ministre malien se réjouit : enfin quelqu’un avec qui communiquer ! Pendant six mois, il n’a fait qu’écouter la radio et contempler le paysage monotone depuis les fenêtres du pick-up qui le baladait d’un côté à l’autre du désert. « Un coup plein est, un autre plein ouest. » On n’est jamais trop prudent quand on tient un responsable politique de ce calibre, leader de l’opposition devenu favori de la prochaine élection présidentielle depuis la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août. Réélu député pendant sa captivité, Soumaïla Cissé avait toutes les raisons d’être activement recherché par les forces armées maliennes et les troupes de Barkhane. Ses ravisseurs ont préféré ne pas prendre de risques.

Pour lutter contre l’ennui, Sophie raconte sa vie à Gao, la ville où elle a, répète-t-elle, « trouvé [sa] place »

Après le repas, les deux otages se mettent à discuter. Le temps ne manque pas. Pendant quatre ans, Sophie a eu peu de compagnie : la Suissesse Béatrice Stockly, qui a été exécutée presque sous ses yeux, la Canadienne Edith Blais, libérée en mars, et la sœur colombienne Gloria Cecilia Narvaez Argoti, sa « colocataire », qu’elle a saluée la veille avant de quitter ses geôliers. Ces derniers lui avaient appris qu’elle était libre, mais, ce mardi, sur les ondes de RFI, il n’est plus question que de « libération probable ». La presse parle d’« espoir sans certitude ». « On ne sait rien parce que personne ne nous dit rien », peste Cissé.

Pour lutter contre l’ennui, Sophie raconte sa vie à Gao, la ville où elle a, répète-t-elle, « trouvé [sa] place ». Tout a commencé par un coup de foudre, en 1995, lors d’un voyage organisé par son ami Maurice Freund, le patron du tour-opérateur Point-Afrique passionné par le Sahara. Il lui fait découvrir le désert et lui présente des figures du milieu touareg. Elle rencontre Iyad Ag Ghali, un jeune combattant de l’Azawad, aujourd’hui chef du groupe terroriste qui l’a retenue en otage. Si elle avait su ! A l’époque du Paris-Dakar, son discours teinté de romantisme a bonne presse. Iyad Ag Ghali est un bon vivant, un buveur de whisky proche de Mano Dayak, le leader indépendantiste ami de Thierry Sabine et de Daniel Balavoine. « Elle était fascinée, comme beaucoup, mais elle n’a jamais été dans la politique, explique Cheick Amadou Diouara. Son truc, c’est l’humanitaire. » Ce journaliste, natif de Gao, a bien connu Sophie Pétronin lorsqu’elle s’est installée à deux pas de chez lui à Gao.

L’ambassade de France déconseille à ses ressortissants de vivre à Gao, mais « la mamie du coin » veut rester

Au début des années 2000, la petite infirmière, ancienne laborantine, choisit Boulgoundié, un des quartiers les plus pauvres de la ville. Elle s’occupe d’abord des enfants victimes de malnutrition puis, constatant l’absence totale de l’Etat, élargit le spectre de son action. « Elle disait que pour avoir des services sociaux de base il faut former les gens localement, parce qu’au moins on sait qu’ils resteront chez eux. » A bord de son 4 x 4 Land Rover, elle sillonne la région, s’aventure dans les provinces reculées pour recruter les jeunes qu’elle forme avant de les renvoyer chez eux avec une qualification. Elle apprend des rudiments de songhaï et de tamasheq, les deux langues parlées dans la ville, et se fond dans le décor. « Elle était très cool », ajoute le photographe Souleymane Ag Anara. C’est aussi une bonne vivante qui, loin de s’adonner au prosélytisme, fume des clopes et fait la fête. Rien à voir avec l’image pieuse qu’elle veut désormais donner.

« Je ne l’ai pas reconnue », souffle Diouara, qui s’amuse à la surnommer « l’abbé Pierre de Gao ». Un jour, un ami réalisateur, hébergé chez lui, tombe malade en pleine nuit. « Plutôt que d’aller à l’hôpital, je l’ai emmené chez Sophie, raconte-t-il. Il était 2 heures du matin et elle nous a ouvert. Il faisait une crise de palu, elle l’a soigné. » Les années ont passé. Désormais, l’ambassade de France déconseille à ses ressortissants de vivre à Gao, mais « la mamie du coin » veut rester. Jusqu’au bout. En 2012, quand les drapeaux noirs commencent à flotter sur les places où les djihadistes mènent des exécutions publiques, elle réussit à s’enfuir avec l’aide des indépendantistes touareg. Ces amis de vingt ans ont alors noué une alliance hasardeuse avec les islamistes d’Ansar Dine et d’Al-Qaïda. Ils espèrent ainsi échapper à la tutelle de Bamako.

L’échec est total. Non seulement l’Azawad reste malien, mais les islamistes d’Al-Qaïda, et bientôt de Daech, s’y installent tout comme l’armée française. Dernière à partir, Sophie sera la première à revenir. Elle fait la navette depuis Bamako, où elle s’installe dans une maison qui, toujours ouverte, accueille en permanence les enfants de son cuisinier, de son chauffeur et de ses employés. A Gao, elle se consacre à plein temps à l’orphelinat qu’elle a créé. Les militaires de l’opération Barkhane viennent régulièrement lui rendre visite. « Tout va bien », affirme-t-elle inlassablement en souriant. Jusqu’au 24 décembre 2016, où une escouade bien informée et bien préparée l’enlève devant son orphelinat. « Des jeunes, raconte Diouara, ont alors essayé de s’interposer, ce qui n’arrive jamais. » Certes, elle était une des leurs, mais aussi une citoyenne française dans un pays en guerre. Amie des Touareg ou pas, elle devient un levier pour récolter des fonds et récupérer des prisonniers.

Pour les dirigeants d’Aqmi, cette victoire sera célébrée autour d’un gigantesque méchoui dont les photos seront relayées sur les réseaux sociaux

Assis devant son assiette de viande et de riz, l’ancien ministre Soumaïla Cissé est bluffé par le récit de l’humanitaire. « Une femme bien, dit-il. Et puis elle a vécu l’ancien temps au Mali, ce qui demande des capacités de résilience extraordinaires. C’est pas évident. » Les temps nouveaux ne sont pas évidents non plus. Et les bonnes nouvelles sont toujours à prendre avec des pincettes. Lundi 5 octobre, à 8 heures du matin, quand les gardes de Soumaïla lui ont annoncé qu’il était libre, il n’a pas voulu y croire. Il a d’abord constaté qu’avant d’être libre, il était loin. Après quatre heures de route dans un paysage « sans une seule brindille », précise-t-il, la Jeep s’est arrêtée au milieu de nulle part, en plein désert. L’ex-ministre a réussi à faire comprendre à ses jeunes gardes qu’il n’avait pas l’intention de rester planté des heures sous le soleil de midi. Ils lui ont improvisé une tente avec une bâche en plastique. Une heure plus tard arrivait la voiture des gardes de Sophie Pétronin. Les deux otages savaient l’un de l’autre ce qu’ils avaient entendu à la radio.

En milieu d’après-midi, ils reprennent la route chacun dans sa voiture. Pendant ce temps, au-dessus de leur tête, le fruit des négociations pour leur libération transite dans le ciel. Des avions affrétés par l’Etat malien transportent quelque 200 prisonniers de Bamako vers Niono, dans le centre, puis vers Kidal, dans le Nord. Parmi eux, une poignée de chefs impliqués dans les attentats au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Pour les dirigeants d’Aqmi, cette victoire sera célébrée autour d’un gigantesque méchoui dont les photos seront relayées sur les réseaux sociaux. Des anciens prisonniers y apparaissent autour d’un drapeau noir, pour signifier que la guerre recommence. Pour la France, cette opération difficile à assumer est présentée comme une affaire 100 % malienne. Ce n’est pas tout à fait vrai.

Lorsque le Premier ministre, Jean Castex, expliquera que la France n’a pas participé aux négociations entre le gouvernement malien et les djihadistes, il n’a pas tort, mais il ne dit pas tout.

D’après Cheick Amadou Diouara, coauteur d’« Otages d’Etat », une enquête d’« Envoyé spécial », les chefs d’Al-Qaïda ont d’abord tenté de récupérer leurs lieutenants en échange de Sophie Pétronin. Le journaliste évoque un gros bonnet d’Al-Qaïda capturé par les forces spéciales françaises en Libye. Pendant ces discussions épineuses, Sébastien Chadaud-Pétronin, le fils de l’otage, soutenu et parfois financé par le ministère des Affaires étrangères, part récolter des infos auprès de chefs touareg amis de sa mère et d’intermédiaires de haut vol. « On jouait la transparence avec lui, explique un ancien du Quai d’Orsay. Il n’avait pas accès aux négociateurs [la DGSE], mais nous remontions ses informations. » La collaboration tourne court lorsque Sébastien se rend compte que les tractations sont dans une impasse. Sans connaître le fond de l’affaire, il comprend qu’il y a un blocage et soupçonne l’Etat français d’être de mauvaise volonté. Sa colère grandit quand les ravisseurs diffusent une vidéo de propagande dans laquelle sa mère apparaît mourante (Sophie Petronin, citée par Mediapart, confiera au président Macron que la perfusion n’était « même pas branchée »), il tombe dans le panneau. Plus tard, en Mauritanie, un responsable islamiste lui fait miroiter une libération immédiate pour une somme symbolique. Il sera révolté par le haussement d’épaules de ses interlocuteurs des Affaires étrangères. « Selon l’appréciation de nos services, c’était un leurre », confie un ancien responsable. Sûr de son fait, Chadaud-Pétronin publie un livre, un polar qui dit tout sauf le fond de l’affaire. Au Quai d’Orsay on répète que « le président Macron a bien été impeccable ». On dit aussi qu’« il a demandé aux services de faire le maximum ». On peut donc penser que le maximum a été fait. Ce qui ne signifie pas l’impossible. Et libérer les chefs djihadistes capturés par les soldats de Barkhane, cela relevait de l’impossible.

Le 25 mars 2020, les djihadistes attrapent enfin un gros poisson : dans la région de Tombouctou, Soumaïla Cissé et son équipe de campagne tombent dans une embuscade. La réaction du gouvernement malien est immédiate. Deux émissaires foncent à Kidal pour ouvrir les discussions. Un chef d’Aqmi leur remet une feuille quadrillée, sans en-tête ni tampon. Publiée par Serge Daniel, le correspondant de RFI à Bamako, la missive évoque « la libération de membres du Jnim [le groupe terroriste d’Iyad Ag Ghali affilié à Al-Qaïda] » dont « la liste a été transmise par un autre canal ». L’autre canal serait-il la France ? Difficile de le savoir. Toujours est-il que les services de la sécurité de l’Etat du Mali sont saisis et peuvent travailler main dans la main avec leurs homologues français.

« Les prisonniers qui ont été réclamés par le Jnim sont retenus à Bamako mais ne sont pas tous sous l’autorité du Mali, précise Cheick Amadou Diouara. Certains, capturés par l’armée française, sont sous celle de Barkhane. » D’où la nécessité d’une action concertée. Lorsque le Premier ministre, Jean Castex, expliquera que la France n’a pas participé aux négociations entre le gouvernement malien et les djihadistes, il n’a pas tort, mais il ne dit pas tout. Car la France a bien négocié… avec l’Etat malien.

Elle déclarera que ses ravisseurs n’étaient pas des djihadistes, mais des « combattants ». Les a-t-elle vraiment vus ?

Tout cela échappe aux deux malheureux qui attendent au milieu du désert, les oreilles collées à leur poste de radio branché sur RFI. Ils croient entendre de leurs ravisseurs qu’il n’y a plus que 20 kilomètres à parcourir. Ils vont encore rouler pendant vingt-quatre heures. Jeudi matin, 10 heures, lorsque les charters des prisonniers libérés seront tous arrivés, les deux otages seront conduits à un premier point de rencontre. « Il y avait plein de voitures, raconte Cissé. Ils ont amené les Italiens, des habits neufs, du savon et du parfum. » Encore plus de trois heures de route et les voilà entre les mains des deux intermédiaires, Ahmada Ag Bibi et le colonel Ibrahima Sanogo. Alors, les véhicules des sous-traitants d’Aqmi disparaissent tandis que ceux du HCUA, un groupe armé touareg du Nord, prennent la relève. Puis, à l’approche de l’aéroport, ce sont les forces de l’Onu qui les escortent. A chaque zone son autorité dédiée, qui n’est jamais l’Etat du Mali, absent de ce territoire.

De retour à Paris, Sophie Pétronin, visiblement troublée par ses années de captivité manifeste vite son envie de revoir les enfants du Mali et sa fille adoptive. Elle déclarera que ses ravisseurs n’étaient pas des djihadistes, mais des « combattants ». Les a-t-elle vraiment vus ? « Moi, nous apprendra Cissé, je n’ai vu que des petits, des sous-traitants. » Une chose est sûre, si elle envisage de retourner à Gao, les services de l’Etat ne seront pas les seuls à vouloir l’en dissuader. « Si Sophie nous lit quelque part, nous dit Cheick Amadou Diouara, il faut qu’elle sache qu’elle a toute l’admiration, l’estime et la reconnaissance des populations de Gao. Mais il faut qu’elle sache aussi qu’aujourd’hui la ville est un no man’s land où il n’y a plus de Blancs et où personne ne peut assurer sa sécurité. ».

Source : parimatch
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