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Les charmes du diable (9) : Fièvre étrange
Publié le mercredi 11 novembre 2020  |  L’Informateur
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Abdou n’arrivait plus à chasser sa nouvelle conquête Matou de ses pensées jour et nuit. Comment la vieille trieuse et son bouledogue de mari avaient-ils pu fabriquer une pareille créature… Un front magnifique, pas trop grand, pas trop petit, une bouche ravissante, pleine d’esprit. Des yeux gris scrutateurs, à qui rien ne devaient échapper. Sa robe rouge bordeaux venait certainement de France. Dior ? Balenciaga plutôt…
Dans le taxi qui le ramenait de service, le sous-officier contemplait rêveusement le paysage verdoyant étalé sous ses yeux, avait le loisir de se livrer à ses réflexions. Pour l’instant, il ne changerait rien à sa vie tant qu’il gagnait de l’argent. La poule aux œufs d’or, que représentait le trafic de marchandises, tuée suite à la disparition inexpliquée de son comparse, il fallait secouer d’autres cocotiers, trouver un substitut.

En sortant de son petit bureau de cuisinier en chef, Abdou s’était empressé d’envoyer 30.000 F CFA à un fort jolie demoiselle qu’il a remarquée l’avant-veille dans un rôle de trieuse de riz en remplacement à sa vieille maman alitée. En vertu d’une théorie chère au sous –officier, plus les femmes sont belles, plus elles ont d’admirateurs, et plus elles reçoivent d’argent. Il rétablissait donc une juste balance, et donnait trois gros billets. Ce qui lui attirait l’admiration pleine de reconnaissance de la demoiselle et la curiosité intéressée – et souvent un peu vexée – des autres trieuses moins dotée naturellement.

Entre deux bouchées de riz à la sauce pâte d’arachide, le soldat passait en revue les atouts de l’élue de son cœur. D’abord, elle savait tout faire comme tout le monde. A son âge – 21 ans – elle aimait les bijoux, ce qui était normal. Elle affectionnait le pendentif en or plaqué à la mode. Ce qui était superbe, elle avait cette bonne attitude de dire l’essentiel, pas un mot de plus, ni en moins, juste ce qu’il fallait pour se faire comprendre. Totalement différente de ces jeunes filles qui assénaient deux ou trois réflexions telle que le soupirant n’osait plus poursuivre la conversation. Et quand on pensait qu’elles osaient traiter celui-ci de petit imbécile prompt à mettre la main à la poche avant la moindre sollicitation financière. Ces petites lucioles ont du mal à entendre des propos dissonants sur leur conduite. Et puis quelle audace de garnir le portefeuille régulièrement de billets de banque sachant bien qu’on ne se laisserait guère enchainer le cœur.



Mou de mépris



Matou était vraiment belle, se disait le sous –officier. En plus, elle était curieuse et exceptionnelle. Comment la vieille trieuse et son bouledogue de mari avaient-ils pu fabriquer une pareille créature… Un front magnifique, pas trop grand, pas trop petit pour une jeune fille, une bouche ravissante, pleine d’esprit. Des yeux gris scrutateurs, à qui rien ne devaient échapper. Sa robe rouge bordeaux venait certainement de France. Christian Dior ? Balenciaga plutôt… Ses moindres gestes étaient gracieux et semblaient parler à Abdou. « Me voilà ! Si je vous plais, tant mieux ! » On ne perdait point un reflet de ses cheveux bien féminins et noirs d’ébène.

Matou dévisageait discrètement l’homme vêtu de son uniforme vert feuilles d’arbre. « Il est un peu plus âgé, et j’ai horreur des hommes qui ont plus de dix ans que moi. Il n’est pas très beau, et je déteste les hommes qui ne sont très beaux. Pourquoi me plait-il tellement alors ? »

Elle voyait les autres trieuses ébaucher un mou de mépris, mais elle levait la tête et s’apercevait que leurs yeux pétillaient d’ironie. Immédiatement s’éclairaient les regards de ces femmes qui s’attendaient à une réplique dure. Ces dernières étaient agréablement surprises en entendant celle qui avait l’âge de leurs progénitures murmurer : « Comme je vous comprends ! ».



Pas une dure-à-cuire



Ses yeux fixaient ceux d’Abdou. Elle lui tendait les deux mains pour l’aider à se lever de l’escarbot sans prendre le risque de se faire découvrir les cuisses. Ses longues mains ne portaient aucune bague, et sur sa gorge couleur d’ébène un seul bijou ravissant, mais sans grande valeur, mettait la tache jaune de l’or plaqué. Puisqu’elle aimait les bijoux, lui se proposait de lui combler d’aise. Autant ses finances le lui permettaient. Abdou comprenait qu’elle était passionnément intéressée par son offre tant son visage s’illuminait de gaieté et sentait son petit cœur bondir de la cage thoraxique. Matou n’était pas une dure-à-cuire comme nombre de jeunes femmes de son âge et de son élégance. Elle était vraiment extraordinaire.

Abdou sentait une fièvre étrange l’envahir. Il n’arrivait plus à chasser celle-ci de ses pensées jour et nuit. Mieux, il se détachait de ses trois épouses qui sentaient un affaissement de son affectivité. A peine quatre mois bouclés de son troisième mariage, Hawa avait commencé à espionner ses coépouses sur l’état de leurs liens avec le mari. Mais celles-ci semblaient s’interdire toute forme de coopération. Un léger énervement s’était emparé d’elle. Cependant le plaisir et l’excitation trouvés ces derniers temps sous le toit d’Abdou lui paraissaient plus forts que la tentation d’en découdre. A ses yeux, le mariage est une belle institution qu’il faut préserver quoique qu’il arrive.



A suivre

Georges François Traoré


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