Soumaïla Cissé, en se rendant chez Ibrahim Boubacar Keïta, a réhabilité une idée bien malmenée, celle d’une spécificité malienne en matière de pacification des mœurs politiques
L’expression aurait fusé de toutes parts avant le cataclysme de 2012. A cette époque, on se gargarisait à tout bout de champ du qualificatif : « à la malienne ». L’expression a d’ailleurs connu une évolution remarquable. Remplie, à l’origine, d’une bonne part d’autodérision vis-à-vis des petites et grandes misères du quotidien, elle s’est peu à peu prise au sérieux, virant à l’autosatisfaction et au péché d’orgueil, statufiant un mode de règlement de conflits politiques et sociaux par la palabre, le recours aux médiateurs traditionnels et aux ressorts culturels et justifiant une méthode de gouvernement fondée sur le « consensus ». La recette n’était pas mauvaise. La faute a été de la croire infaillible et de ne pas chercher plus loin. Une année et plus de tuiles ont enterré cet illusoire prêt-à-penser et réveillé en catastrophe la nécessité de réfléchir en profondeur à nos problèmes et à leur résolution.
Et pourtant, la méthode « à la malienne » bouge encore comme l’a illustré la visite rendue par Soumaïla Cissé, dans la soirée de lundi, à Ibrahim Boubacar Keïta. Que le perdant du second tour de la présidentielle reconnaisse sa défaite et félicite le vainqueur était souhaité de tous en vertu de normes désormais classiques en démocratie. Soumaïla Cissé a fait beaucoup mieux en se rendant, avec sa famille, au domicile d’IBK qui l’a reçu en famille pour une conversation au ton presque intime (si on exclut les caméras de télévision). Le candidat de l’URD avait beaucoup de raisons (politiques, éthiques, tactiques, etc.) d’agir ainsi. Il s’est expliqué sur certaines mais s’est aussi référé à la culture malienne pour justifier sa démarche, réhabilitant du coup l’idée d’une spécificité malienne en matière de pacification des mœurs politiques.
Ces valeurs culturelles servent donc encore utilement et devraient continuer à servir à haute intensité puisque la Commission dialogue et réconciliation, par exemple, en a amplement l’usage. Le danger, hier comme aujourd’hui, est que leur utilisation exclusive et lénifiante pousse à esquiver les problèmes et à les dépasser sans les avoir réglés, et finalement supplante le réel et les décisions douloureuses qu’il réclame.
Ce danger reste présent, porté par la paresse intellectuelle et surtout par de mauvaises habitudes prises aussi bien dans la classe politique que la société civile. Le second tour de la présidentielle et les ralliements empressés qu’il a occasionnés ont ainsi désagréablement rappelé l’ère d’un « consensus » qui n’était au fond qu’un unanimisme de façade, taillé pour déjeuner par beau temps et incapable de résister à la moindre bourrasque sociale comme l’affaire du code de la famille l’a démontré bien avant le coup d’Etat ou l’aggravation de la rébellion dans le nord.
La volonté de compromis, quel que soit son soubassement culturel, ne devrait pouvoir prospérer aux dépens de la vitalité de la politique. Démocratie et gouvernance pour garder le bon cap ont, en effet, besoin d’une opposition pugnace (et d’une société civile active) pour maintenir les gouvernants en éveil en dénonçant les dérives réelles ou supposées. Le vote a désigné un président de la République et, indirectement, ceux qui devraient théoriquement lui porter la contradiction. Si chacun assume cette distribution des rôles sanctionnée par le suffrage populaire, comme Soumaïla Cissé en a donné l’impression, et si chacun remplit sa part du contrat implicite conclu avec nos concitoyens, l’étiquette « à la malienne » pourra être arborée avec une fierté légitime et une crédibilité indiscutée.