SociétéDr Moussa Sissoko, ancien conseiller d’Att charge du développement social : “ATT était une opportunité pour le Mali, son image attitrait les investisseurs”
ATT, je l’ai connu en 1991 lors de la Transition. Un jour j’étais avec des enfants à la Maison des jeunes en tant qu’éducateur spécialisé et soudain un gendarme est arrivé pour me remettre une convocation m’invitant au siège du Ctsp. Arrivé sur place, on m’introduisit dans le bureau d’ATT où j’ai trouvé l’ancien Premier ministre, Modibo Sidibé, feu Mamadou Lamine Traoré et le ministre de la Jeunesse de l’époque, un certain Fané. ATT m’a dit : “M. Sissoko, je t’ai appelé pour te féliciter par rapport à tout ce que tu es en train de faire pour les enfants”.
En retour, je lui ai dit : «M. le Président, je suis surpris par cette démarche car on ne convoque pas quelqu’un pour le féliciter. Il s’est mis à rire en disant que les Sissoko sont des peureux». Du coup, il m’a dit : “Sissoko, je veux que vous m’aidez par rapport à un projet de soutien aux enfants”. C’est en ce moment que je l’ai invité à faire un tour à la Maison des jeunes pour voir de visu ce que nous faisons avec les enfants.
Après cet entretien, il nous a fait la surprise en nous rendant visite et nous avons travaillé ensemble dans la Cour autour d’une table pour voir ce que nous pouvons faire ensemble. Il m’a fait savoir que les enfants disent qu’ils vont mourir pour lui et de l’aider à monter quelque chose au profit d’eux. Je lui ai dit : “M. le Président, votre nom est un label”. Il m’a mis en contact avec Youssouf Sangaré et Kari Dembélé pour que nous réfléchissions ensemble sur les textes de base de la Fondation pour l’enfance. Je l’ai rassuré que je suis prêt à être à ses côtés après la Transition pour l’atteinte de ces différents objectifs.
C’est comme ça que nous nous sommes connu. Après la Transition, il m’a fait appel et nous sommes restés ensemble jusqu’à sa mort. Après la Transition, je sollicitais sa présence auprès de l’Unicef pour de grandes rencontres à Addis-Abeba, en Egypte. Je le priais de venir avec moi dans les rencontres internationales et il me suivait. On devait aller aussi au Sommet mondial des enfants à New York. Arrivée à Paris, il y a eu les attentats du 11 septembre. A l’époque, il m’avait soufflé à l’oreille qu’il voulait être président de la République du Mali. J’ai répondu que je n’étais pas d’accord. Il a poursuivi : “Même si tu n’es pas d’accord, il faut m’aider”. J’ai répondu : “Il n’y a pas de problème” et je l’ai aidé dans sa campagne, notamment dans l’élaboration de son programme. Après son élection à la Présidence et plus tard, il m’a nommé conseiller technique.
Ainsi, durant une dizaine d’années j’ai été son conseiller technique en charge du développement social, notamment les logements sociaux, la promotion de la jeunesse, le développement de l’enfance…De notre collaboration, je retiens, que quand il te met au travail, il te met en fonction. J’ai eu la chance d’avoir des dossiers qui font honneur à son bilan, notamment les logements sociaux, l’Amo et tous ceux qui avaient trait aux questions des enfants. Le président mettait ses conseillers en confiance et s’il te confiait un dossier, c’est ta proposition qui était retenue. Cela était un honneur. On avait des rencontres hebdomadaires avec le président de la République, souvent même individuelles, sur des dossiers qu’il nous confiait. Je suis venu à ses côtés avec deux programmes, à savoir le développement de l’enfance au Mali et le document de politique portant sur la jeunesse. C’est dans ce document que pas mal de ses projets ont été tirés dont le Fonds d’insertion des jeunes, l’Apej…Nous avons eu beaucoup de débats autour de l’Apej car certains voulaient le voir logé au ministère de la Jeunesse tandis que d’autres le voulaient à l’Emploi.
L’homme m’a séduit par son charisme, son esprit d’ouverture. Quand il te donnait un travail, il te suivait. Toute chose qui te motivait aussi à l’aider. Au montage du projet de l’Amo, j’étais son conseiller qui suivait le dossier. Quand ça été adopté, le plus difficile était l’adhésion des populations qui ne comprenaient pas le mot “obligatoire” et certains, à savoir la Cstm, nous ont dit que des prélèvements ont été faits sur leur salaire sans les avertir. ATT m’a dit : “On fait comment ?” J’ai dit : “Président, rien à faire. On leur rembourse leur argent”. Ce qui a été fait. Et lorsqu’ils ont accepté de retourner, le Président m’appelle et me dit : “Moussa, tes gens-là veulent retourner !”. J’ai dit : “Sans souci, le temps nous a donné raison”.
ATT n’était pas un homme compliqué, conflictuel. Il voulait que les différends soient toujours résolus par la négociation, l’entente et le dialogue. Je me souviens, quand la directrice générale de l’Unicef est venue au Mali, cela a été une grande opportunité d’argent pour le Mali. Un jour, il m’a posé cette question : “A quoi sert la circulation sanguine dans le corps ?” J’ai répondu : “M. le Président, ça nourrit le corps”. “Donc, a-t-il ajouté, la circulation sur les routes à travers le pays c’est comme la circulation sanguine dans le corps”. Il m’a dit que les routes amènent le développement, que c’était sa vision des infrastructures. ATT était une opportunité pour le Mali, son image attitrait les investisseurs. C’est pourquoi, il prenait souvent des engagements devant les populations sans pourtant savoir avec quelles ressources il va les réaliser.
ATT m’a raconté une histoire. Lorsqu’il s’est rendu en Chine, à Shangaï précisément pour la finalisation du financement du troisième pont, il m’a dit qu’au cours d’une rencontre avec le président chinois, un officiel leur expliquait les opportunités que la banque d’investissement de Chine, l’Eximbank peut offrir aux pays africains dans le développement des infrastructures. Il dit à ce dernier qu’avec le troisième pont, c’était très difficile. A cet instant, pour lui c’était l’occasion de demander autre chose au président chinois, notamment la route de Ségou. Et le président chinois qui a eu vent de cette conversation avec son interprète, s’est renseigné auprès de ATT sur la longueur de la route et a aussi donné des instructions, séance tenante, pour son financement à hauteur de 300 milliards Fcfa. Cela a été possible grâce à son charisme.
Nous le pleurons aujourd’hui, mais nous sommes surtout fiers d’avoir été ses conseillers, ses amis. A ne pas oublier les activités sportives qu’il soutenait beaucoup, notamment la Super coupe ATT. Il était très humble. Après les rencontres, il avait un mot pour tout le monde, il prenait ta main, demandait tes nouvelles, celles de tes parents, tenait toujours des propos rassurants, de consolation. C’était un président accessible. Il nous a toujours conseillé d’éviter le trafic d’influence et de se consacrer à ce à quoi nous avons été nommés. Il nous disait : “A part le travail, il n’y avait rien à bouffer ici”.
Nous pleurons Amadou, mais aussi nous le fêtons parce que c’est ce qu’il a voulu. Amadou n’a pas besoin qu’on le pleure, il a réalisé des œuvres pour ce pays. Nous qui avons été des acteurs d’un certain niveau de ses réalisations, c’est notre fierté aujourd’hui. Parlons de l’homme, fêtons Amadou. Dors en paix Amadou !