Un projet de ferme semi-automatisée a été lancé dans l’extrême Nord aride du pays, avec l’appui de la Banque mondiale, de la coopération allemande et du gouvernement malien.
Pour ceux qui rêvent de visiter Mars et qui, comme à peu près l’ensemble de la planète, n’ont ni les moyens ni les compétences techniques pour se construire le vaisseau spatial nécessaire, il existe une formule plus économique : envisager un voyage à Taoudenni, à l’extrême Nord du Mali.
Pour cela, il faudra tout d’abord trouver à Tombouctou un véhicule tout-terrain robuste, puis une solide escorte chargée de votre protection et enfin mettre le cap plein Nord en roulant pied au plancher sur 800 kilomètres afin d’éviter de se faire enlever par les djihadistes du Jamaat Nosrat Al-Islam Wal-Mouslimin (JNIM, ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM), ou leurs sous-traitants. Après quarante-huit heures de voiture, les dunes de sable rouge de cette partie extrêmement aride du Sahara s’offriront à vous.
Pour nombre de Maliens, le nom de Taoudenni résonne encore comme un cauchemar. C’est là que le dictateur Moussa Traoré, au pouvoir entre 1968 et 1991, avait fait construire son bagne. Une prison qui n’avait pas besoin de barreaux et où les pensionnaires à vie étaient chargés, à coups de trique, de récolter le sel des mines à ciel ouvert environnantes. Inutile de penser à s’échapper, le désert et les 50 °C en pleine journée étant le meilleur des filets pour retenir tous ceux qui pouvaient imaginer un instant se faire la belle.
Grain de folie
Lors de ces trente dernières années, Moussa Traoré est tombé, le bagne a fermé, l’Etat a déserté, les rébellions ont prospéré et les groupes djihadistes se sont implantés. Pour répondre aux revendications des Arabes bérabiches qui habitent la zone, une région administrative a été créée – la plus vaste et la moins peuplée du Mali – mais aucun gouverneur, aucun fonctionnaire n’est jamais venu s’installer.
Autant dire qu’il faut beaucoup d’espoir et un sérieux grain de folie pour lancer ici un projet d’envergure. Avec l’appui de la Banque mondiale, de la coopération allemande (GIZ) et du gouvernement malien, Moulaye El Oumrany, le neveu du doyen de la communauté bérabiche, s’est mis en tête de « repeupler » cette capitale fictive dont les habitants sont partis par « commodité » et d’en faire un « pôle économique ».
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Revenu il y a deux ans d’Allemagne, il a notamment imaginé de construire sur cette terre infertile, où les rares points d’eau sont salés, une ferme semi-automatisée. « Du fait de la situation au Mali, le projet a pris un peu de retard mais nous allons maintenant commencer la réalisation », assure le directeur de l’ONG Paix et Progrès. « Quand on a commencé, cela relevait de l’utopie mais d’autres partenaires, comme les Nations unies et l’ambassade de France, commencent à nous suivre », souligne Moulaye El Oumrany.
Avant de démarrer, il a fallu tout d’abord mener des études géophysiques, hydrauliques, sociologiques, économiques. Chargé de la partie prospective, Ali Niang, qui n’est pas du genre à se décourager à la première difficulté venue, raconte avec humour : « Je ne sais pas combien de consultants nous avons embauchés. Ils disent oui et, une fois rentrés chez eux, vous appellent le lendemain pour dire qu’ils abandonnent. A Taoudenni, les gens s’amusent en disant qu’ils n’ont jamais vu un étranger deux fois. »
« Modèle israélien »
Avant de voir plus grand, le projet agricole devrait débuter sur une surface de quatre hectares. « Nous avons conçu une ferme adaptée à son milieu en s’inspirant du modèle israélien avec des palmiers dattiers arrosés par goutte-à-goutte. Mais avant que ceux-ci soient arrivés à maturité dans trois-quatre ans et que les populations puissent vendre les fruits, nous avons débuté avec des activités de maraîchage, avec des plantations d’aubergines, de piments, de pommes de terre et de gombos », expliquent Moulaye El Oumrany et Ali Niang.
Pour accéder à la terre arable, il faut d’abord retirer 80 centimètres de sable, puis corriger l’acidité du sol à la chaux. L’élevage de chèvres monté en parallèle permet de fournir de l’engrais organique.
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« L’objectif est de réinsérer des ex-combattants, mais pour l’instant pas un seul n’est venu », s’esclaffe Ali Niang. Le lieu est cependant protégé par les anciens rebelles du Mouvement arabe de l’Azawad qui ont perçu l’intérêt économique du projet. Celui-ci peut déjà se targuer de n’avoir rencontré aucun incident sécuritaire. « Nos vrais clients sont les communautés bénéficiaires. Si elles sont contentes de notre travail, c’est le meilleur moyen d’être en sécurité », constate-t-il. Les premières récoltes sont attendues pour le mois de septembre 2021.
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Cyril Bensimon