“Nous voulons des actions culturelles partout au Mali que ce soit au nord au centre et au sud”
Du 19 au 21 novembre dernier, la résidence privée à Bamako de l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) au Mali, Son Excellence M. Bart Ouvry, a accueilli une exposition d’art de 26 jeunes artistes maliens intitulée ” Jeunes talents du Mali ” dont le designer malien de renom, Cheick Diallo, en était curateur. Une initiative de l’ambassadeur à laquelle plus de 400 personnes étaient invitées. Une manière pour lui de de soutenir et de promouvoir les jeunes talents maliens. Attirés par cet intérêt de S.E.M Bart Ouvry porté sur les artistes locaux, nous l’avons approché pour une interview. Dans cet entretien, il répond à nos questions, entre autres sur cette exposition, sa perception de la culture au Mali, ses prérogatives dans le domaine culturel en tant qu’ambassadeur de l’UE au Mali ainsi que les actions de son institution pour la culture dans notre pays.
Aujourd’hui-Mali : Bonjour, vous avez organisé une exposition d’art dans votre résidence privée de Bamako, alors qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?
S.E.M Bart Ouvry : La première motivation, c’est que j’ai remarqué que les activités des artistes ont été négativement impactées par la pandémie à coronavirus. De nombreuses expositions ou résidences de créations auxquelles ils devaient participer ont été annulées ou se sont mal passées et donc finalement le public aussi est resté absent. Je sais que ce fut une période difficile pour les artistes. Pour moi, c’est avant tout un geste de solidarité.
La deuxième source de motivation c’est dans l’optique de rencontrer les artistes et les Maliens. Organiser une exposition, c’est une manière de les inviter chez moi. Ce fut un plaisir et une belle expérience.
En tant qu’ambassadeur de l’Union européenne au Mali, pouvez-vous nous dire quelles sont vos prérogatives sur le plan culturel et avec quelles marges d’intervention?
La culture est avant tout une compétence, notamment à Bamako, et l’Institut Français joue un rôle prépondérant dans ce sens. Quant à l’Union européenne, elle vient en appui à ce que font les Etats membres de l’UE. Elle vient aussi en appui au Mali qui se trouve dans une situation difficile ces dernières années. Les artistes maliens, depuis 2012, suite au coup d’Etat, ont beaucoup souffert et pourtant en termes d’image pour le pays et d’attrait de tourisme par exemple, la culture à une valeur intellectuelle mais aussi économique et c’est cela que nous voulons appuyer et aider les artistes à mieux se former et à apprendre à connaitre leur public, pas seulement à Bamako, mais dans tout le pays.
La culture est un facteur important pour les gens de s’identifier à leur pays et à mieux comprendre les valeurs de leur pays qui sont souvent universelles. Les valeurs qu’on voit dans les œuvres d’art ici sont des valeurs universelles comme le droit de l’enfant. Pour moi, c’est cela l’essentiel de notre action.
Quelle est votre perception de la vie artistique et culturelle au Mali ?
Le Mali à une grande tradition culturelle. C’est un pays qui a une longue histoire dans un son artisanat et aussi sa littérature par exemple. Cette richesse fait connaitre des valeurs et une manière de vivre qui est très importante. La sagesse par exemple des écrits d’Amadou Hampaté Ba sont vraiment remarquables.
La musique malienne est connue internationalement et qui est certainement le secteur qui a moins besoin de notre appui, mais qui reste quand même très important pour l’image du pays. La kora est un instrument de l’Afrique de l’ouest qui est plus connu au Mali que dans beaucoup d’autres pays africains. Il faut reconnaitre aussi que les artistes plasticiens sont de grands ambassadeurs du Mali et surtout sa culture auprès du reste du monde. Nous avons par exemple l’une des œuvres d’Ange Dakouo qui est sur les amulettes qui sont des porteurs de messages de bonheur. C’est important.
Quels sont les liens que vous avez avec le tissu culturel et avez-vous la possibilité de soutenir des projets ?
Nous faisons régulièrement des appels à projets dans le domaine culturel. Nous venons d’en clore deux il y a juste quelques mois. Et d’autres sont en gestation. Nous faisons des propositions de financement qui ne sont relativement pas énormes parce que nous voulons toucher des projets culturels de base qui ont vraiment une présence de terrain, par exemple des projets qui impliquent femmes et enfants. Nous voulons aussi des actions partout au Mali, que ce soit au nord, au centre et au sud.
En tant que passionné d’art, comment voyez-vous les artistes de la jeune génération et leur travail ?
C’est vrai, je suis un passionné d’art et acheter de temps à autre des œuvres d’artistes dans le pays où je vis est une manière pour moi d’aider ses artistes.
Par exemple, les œuvres des autres pays ne m’intéressent pas forcément en ce moment. Etant ici, en ce moment, je m’intéresse aux artistes maliens auxquels je veux présenter des opportunités en les présentant à mes collègues et amis à travers des initiatives comme cette exposition. Il y a beaucoup de ces jeunes artistes qui ne connaissent vraiment pas le monde des arts. Il y a peu de galeries, mais j’ai fait en sorte d’inventer des galéristes à cette exposition afin qu’ils rencontrent les jeunes artistes et nouer des contacts avec eux. L’objectif de cette exposition est surtout de présenter ces jeunes artistes à un large public.
J’ai voulu le faire dans la diversité. C’est pourquoi, ne connaissant pas assez tous ces artistes, j’ai fait appel au Designer malien, Cheick Diallo, qui maitrise le monde artistique malien, d’être le curateur de cette exposition. Ce travail qu’il a fait de façon bénévole, l’objectif étant de donner de la visibilité aux jeunes artistes maliens.
Les artistes, notamment les jeunes plasticiens, manquent de moyens. Il y a encore peu d’infrastructures culturelles au Mali, notamment de galeries. La commande publique est quasi-inexistante. Selon vous, que faudrait-il faire pour redynamiser ce secteur et aider ses créateurs en difficulté ?
Dans beaucoup de pays, il y a une règle qui dit que quand les pouvoirs publics construisent un bâtiment par exemple, qu’il y ait une obligation de consacrer une partie du coût du bâtiment à l’achat d’œuvres d’art. Pourquoi ne pas le faire ici ? C’est un infime pourcentage. C’est une stratégie qui peut beaucoup aider les artistes. Mais je crois que le dernier mot revient aux autorités du pays. Nous sommes là pour soutenir des initiatives culturelles, mais les politiques culturelles relèvent de la compétence des autorités maliennes.
L’absence de marché de l’art digne de ce nom en Afrique et notamment au Mali n’est-elle pas un risque majeur pour le patrimoine contemporain africain ?
Je pense qu’un marché d’art a toujours existé au Mali et en Afrique, mais je crois que pour des artistes, il est important d’avoir des clients et surtout d’être exposés à l’international. Je crois que le fait qu’il y ait des collectionneurs internationaux n’est pas un problème en soit, mais il est vrai qu’il faut créer des musées locaux pour stimuler des collectionneurs locaux afin de collectionner et donc créer un public local. Je crois que ça se fera. Je suis sûr que toutes les œuvres d’art qui sont dans les musées européens et autour desquels il y a un mouvement pour demander leur retour est un bon début. Je crois aussi qu’il y’a des musées en Afrique qui fonctionnent régulièrement et qui font régulièrement des expositions. Automatiquement, il y aura échange avec les musées européens.
L’essentiel, c’est de ne pas figer les œuvres d’art. Il faut les faire vivre dans les yeux du public et j’espère que c’est quelque chose qui se fera avec le développement du secteur culturel partout en Afrique.
Quel message avez-vous à l’endroit des artistes maliens aujourd’hui ?
Je voudrais dire aux artistes qu’il n’y a pas de frontières en termes d’art. Un artiste doit aussi s’ouvrir au reste du monde. Il peut avoir des références internationales. Par exemple, Picasso était Espagnol. Pour aller plus loin, il faut abolir les frontières, mais le plus important pour un artiste c’est de ne pas oublier ses propres racines. Je demande aux artistes maliens d’avoir un œil ailleurs et de voyager. Ils peuvent voyager à travers le net où ils ont l’opportunité de voir et de s’inspirer par exemple des arts modernes chinois.
Ce qui m’a frappé lors de mon questionnaire aux artistes au besoin de mon catalogue pour l’exposition, c’est que je me suis rendu compte que ces jeunes artistes ont très peu de référence internationales. Ils ont des références nationales et souvent ces mêmes références reviennent. Certains s’inspirent des textiles traditionnels maliens comme le bogolan, d’autres des Koredugaw. C’est une très bonne chose. Mais je leur demande aussi de regarder ailleurs et de nourrir leur esprit, de se libérer de certaines contraintes.
Je voudrais aussi leur dire de cesser d’être trop commerciaux. Il est certes vrai qu’il faut vivre de son art, mais un artiste doit travailler dans une certaine liberté. Mariam Ibrahim Maiga, comme bien d’autres, est un bon exemple. Elle se développe d’une manière très libre.
Il faut éviter d’aller trop dans le portrait classique qui peut facilement se vendre pour décorer le salon d’un expatrié. Je suis conscient que les artistes doivent vivre, mais ils doivent veiller à bien développer leur parcours artistique et ne pas s’arrêter à mi-chemin.