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COVID-19 au Mali : La gueule de bois des hôteliers
Publié le vendredi 4 decembre 2020  |  Le Démocrate
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Expulsion, fermeture de boutiques, endettement, mise en chômage technique, licenciement d’employés. Telles sont, entre autres, les conséquences de la Covid-19 sur le secteur de l’hôtellerie à Bamako, la capitale malienne.
« J’avais 16 employés au niveau de mon hôtel et une recette mensuelle de trois à quatre millions de F CFA. Mais à cause des mesures prises dans le cadre de la Covid-2019, je n’ai fait aucune recette en mars, avril et mai. J’ai été obligé de mettre en chômage technique 14 de mes employés », explique Satigui Diallo, le promoteur de l’hôtel ‘’Bon accueil international’’ de Bamako. Seuls le gardien et le gérant ont été épargnés. Financièrement asphyxié, ce promoteur d’hôtel n’arrivait plus à subvenir même aux petits besoins de son entreprise. « Si j’étais en location, j’allais être expulsé parce que je n’allais pas pouvoir honorer le loyer », s’exclame M. Diallo, d’un air triste.
A la différence du Bon accueil international, l’hôtel ‘’Makilékilé’ est dans les liens d’un bail. En plus de ses 7 employés, de l’eau et de l’électricité, son promoteur, Jean Camara, paye mensuellement cent cinquante mille (150 000) F CFA à titre de loyer. La fermeture des hôtels, bars et restaurants au Mali par le Conseil supérieur de la défense nationale, tenu le 17 mars 2020, a conduit à la faillite de l’hôtel Makilékilé. Pendant trois mois (mars, avril et mai), le promoteur n’a pu payer ni ses employés ni le loyer. D’ailleurs, en septembre 2020 encore, les loyers des mois de mars, avril et mai n’étaient pas payés. Pour M. Camara, c’est « la pire des périodes » qu’il ait connue en tant qu’hôtelier. En ce qui concerne ses employés, excepté le gérant, les six autres ont été mis en chômage technique pendant trois (3) mois, sans aucune rémunération.
Pourtant, avant la Covid-2019, la recette journalière du Makilékilé oscillait entre 150 000 et 200 000 F CFA, selon son promoteur. A cette cadence, les recettes d’une semaine permettaient à M. Camara de payer non seulement le loyer, mais aussi ses 7 employés.
Pascal Togo, lui, est promoteur de l’hôtel ‘’L’Accueil’’, situé en commune I du district de Bamako. Si la crise de la Covid-19 a causé des cas de chômage technique chez les autres, elle a contraint le promoteur d’hôtel lui-même au repos forcé. Incapable de faire face aux besoins de son établissement et menacé d’emprisonnement à cause des dettes, il a fermé boutique. « J’avais huit (8) employés que je n’arrivais pas à payer depuis mars. Je n’arrivais même pas à payer le loyer qui était de 250 000 F CFA. J’ai été expulsé », explique-t-il. Il est désormais en chômage, n’ayant plus les moyens de faire autre chose.
À l’hôtel ‘’Khasso’’, situé à Kalaban-Coura, en commune V de Bamako, certains des 15 employés ont été mis en chômage technique, même si le promoteur, Yamadou Diallo, n’a pas souhaité donner le nombre exact de ses employés. A la différence des autres, la durée du chômage technique dans son établissement n’a pas excédé un mois.
En commune II du district de Bamako, l’hôtel ‘’Fifa’’ n’a pas échappé aux conséquences de la Covid-2019. Tous les employés ont été mis en chômage technique pendant les mois de mars, d’avril et de mai, selon le gérant, Endiélou Kassogué. « Cette maladie nous a conduits à la cessation des activités pendant trois mois », explique le gérant qui affirme que la dizaine d’employés de cet hôtel n’a pas été payée durant cette période.
« Au niveau de la Fédération nationale de l’industrie de l’hôtellerie au Mali, on gère, depuis le début de la Covid, quotidiennement les problèmes des hôteliers. Tous les jours, nous sommes interpellés soit parce que tel propriétaire d’hôtel a été expulsé par son bailleur, soit un tel est convoqué au tribunal pour non-paiement de dettes », a déploré le chargé à la communication de ladite Fédération, Satigui Diallo.
Selon lui, « certains ont fait des contrats avec le bailleur pour échelonner le paiement, alors que d’autres ont été trimballés au tribunal pour faire payer ». Plus de 80% des hôtels en location ont fermé boutique ou sont poursuivis devant les tribunaux, selon Satigui Diallo.
Les grands hôtels paient le plus lourd tribut
Les grands hôtels de Bamako sont ceux qui ont été les plus touchés par la Covid-2019. Si les promoteurs des hôtels moyens se sont limités au chômage technique en quelques mois, certains grands hôteliers ont été obligés, en plus du chômage technique, de remercier plusieurs dizaines d’employés. C’est le cas de l’hôtel de l’Amitié, l’un des plus grands hôtels de la capitale malienne, situé en commune III du district de Bamako.
En effet, selon son directeur général, Karim Debbeche, cet hôtel qui enregistrait des dizaines de clients par jour n’en a enregistré qu’une vingtaine durant tout le mois de mars.
Face à ces difficultés, la direction a mis en chômage technique 101 employés sur les 167. « Nous avons, au niveau de l’hôtel de l’Amitié, 157 employés en CDI et 10 en CDD. Sur ce nombre, nous étions obligés de mettre 101 en chômage technique pendant les mois de mars, avril et mai », a expliqué Karim Debbeche. Plus grave, la direction était obligée de s’endetter pour subvenir aux besoins quotidiens de fonctionnement de l’hôtel. « Durant toutes ces périodes, on était en train de cumuler des dettes. On est hyper endetté. On est en train de voir des arrangements avec la société Energie du Mali (EDM), des arrangements avec l’Institut national de prévoyance sociale (Inps), avec l’État et aussi avec les fournisseurs. Avec moins de clients, on ne pouvait pas tenir », nous confie le directeur général de l’hôtel de l’Amitié.
Après trois mois de chômage technique, la situation n’a pas changé. Les clients ne viennent toujours pas et la direction fait face à un problème économique. La dernière « dure » décision qu’elle a prise, c’est le licenciement d’une soixantaine d’employés. « Nous avons été obligés de licencier 66 employés pour motif économique », explique Karim Debbeche qui convainc que cette décision vise à « éviter » la fermeture de l’hôtel.
L’hôtel ‘’Al Farouk’’, situé au quartier du Fleuve, en commune III du district de Bamako, et dirigé également par Karim Debbeche, était confronté au même problème. A cause de la Covid-2019, 74 sur les 90 employés ont été mis en chômage technique et l’hôtel a été complètement fermé jusqu’à fin septembre. Durant tout le mois de mars, c’est-à-dire avant la fermeture, cet hôtel n’a enregistré que 4 clients, selon son directeur.
Le Radisson Blu, un autre grand établissement hôtelier du quartier chic de l’ACI 2000, en commune IV du district de Bamako, a subi aussi l’impact de la Covid-2019. Comme tous les autres hôtels, sa direction a aussi procédé au chômage technique. Ainsi, 90 employés ont été mis en chômage technique, selon le directeur commercial de l’établissement. Pire, ceux qui sont restés en activité ne perçoivent qu’une partie de leurs salaires, avec tout de même un temps de travail quelque peu réduit, confesse l’hôtelier. « En principe, on devrait même fermer parce qu’on a des revenus qui ne parviennent même pas à prendre les charges fixes », confie M. Sidibé.
Pour le directeur national adjoint du Tourisme et de l’Hôtellerie du Mali, Djibril Issa Niaré, dans le rapport qui est toujours en cours d’élaboration et qu’il n’a pas souhaité mettre à notre disposition, il ressort que la Covid-2019 a causé la mise en chômage de 14 000 employés dans le secteur du tourisme au Mali. Les 75% de ces employés mis en chômage sont du secteur de l’hôtellerie. Sans souhaiter donner plus de détails, il indique que la majorité de ces 14 000 employés licenciés sont à Bamako.
Khalid Dembélé, professeur d’Économie à l’Université, n’est pas surpris de ce chômage créé par la Covid-2019. Il trouve que c’est le moindre mal auquel il fallait s’attendre avec la fermeture des frontières et l’interdiction des regroupements. « Les frontières sont fermées et on a fait trois mois sans qu’il y ait de voyage. Or, quand il n’y a pas de voyage, on ne peut pas parler d’hébergement. Pourtant, les hôtels tirent leur plus grand profit dans les séjours », explique-t-il, avant d’ajouter : « Quand les frontières ferment, il est clair que les recettes mensuelles baissent et quand les recettes baissent, ça se répercute sur les emplois ».
L’expulsion des promoteurs d’hôtels, la mise en chômage technique ou le licenciement des employés sont, indique M. Dembélé, inévitables, car il n’y a pas eu de prévention, de mesures d’accompagnement conséquentes.
Quid du fonds de soutien alloué au secteur privé ?
Si certains estiment que les mesures d’accompagnement annoncées par l’ancien chef d’État du Mali, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), concernaient aussi le secteur de l’hôtellerie et du tourisme, d’autres pensent le contraire. « Ce qui est dit est différent de ce qui est fait dans la gestion de ce fonds », se plaint le promoteur de l’hôtel Bon accueil international, le professeur Satigui Diallo. Ce dernier dément même les allégements sur les impôts, l’eau et l’électricité promis par le président IBK. Tout ce que cet hôtel a reçu de l’État, à en croire son promoteur, ce sont des sacs de riz, de farine, des pâtes alimentaires. Ces vivres sont aussi destinés aux employés qui sont mis en chômage technique, a soutenu le promoteur de l’hôtel.
Les promoteurs des hôtels Khasso et Makilékilésont dans la même situation. Ils affirment n’avoir rien perçu de ce fonds.
« L’ancien président de la République avait alloué des fonds au secteur privé et avait promis de faire des allègements, mais nous n’avons rien vu. Nous payons les impôts et l’électricité régulièrement, comme avant la Covid », déclare le secrétaire à la communication de la Fédération nationale de l’industrie de l’hôtellerie, faitière des hôteliers du Mali.
Cet autre promoteur d’hôtel et membre influent de la faitière, Yamadou Diallo, a accusé l’État d’avoir piétiné le secteur de l’hôtellerie pendant ce moment.
Faux, rétorque le directeur général adjoint du Tourisme et de l’Hôtellerie, Djibril Issa Niaré. Selon lui, l’État n’a mis aucune somme à la disposition du secteur de l’hôtellerie. « A aucun moment, je n’ai appris qu’il y a eu un fonds alloué au secteur du tourisme. Or, j’ai été impliqué dans la gestion de cette crise au niveau de notre direction ».
Les initiatives prises par l’État en faveur des hôteliers, selon lui, c’était, dans un premier temps, le paiement de la dette intérieure. En ce qui concerne le fonds, M. Niaré trouve que les hôteliers n’ont pas compris le discours du président. Selon lui, l’engagement que l’État a pris, c’est de garantir des prêts que les hôteliers pourraient contracter auprès des banques et établissements financiers. « L’État a dit qu’il va mettre à la disposition du secteur privé un fonds de garantie. Un montant devant permettre de garantir les prêts que les entreprises pourraient demander au niveau des banques. C’est cette nuance que beaucoup n’ont pas comprise. L’État n’a pas donné de l’argent », a-t-il précisé.
Aussi, ajoute-t-il que ceux qui n’ont pas bénéficié de cette garantie ne respectent, peut-être, pas les critères d’éligibilité. Et le DGA du Tourisme et de l’hôtellerie de convaincre qu’il y a bien eu des subventions sur les impôts, l’eau et l’électricité. Le contenu du discours du président de la République d’alors, Ibrahim Boubacar Keïta, mentionne bien cette subvention dont beaucoup ont bénéficié, dit-il.Lorsque nous les avons rencontrés, les promoteurs des grands hôtels -comme Amitié, Al Farouk et Radisson Blu- n’ont pas remis en cause cette subvention.
Les hôtels hébergeurs des expatriés en attente de leur argent
En avril, l’État a décidé de rapatrier les Maliens bloqués à l’étranger. À leur arrivée au pays, ces expatriés devraient passer 14 jours de confinement avant de rejoindre leurs familles respectives. Puisqu’il n’y a pas de lieux appropriés pouvant les accueillir, l’État a décidé d’aller vers les hôtels afin que ceux-ci logent ces Maliens expatriés. « L’État a saisi la Fédération en début d’avril afin que certains hôtels acceptent d’héberger les Maliens rapatriés qui devaient passer 14 jours de confinement », précise le chargé à la communication de la faitière des hôteliers du Mali, Satigui Diallo.
Au total, 24 hôtels ont répondu favorablement à cette demande de l’État. « Les hôtels ont fait des prêts lourds pour pouvoir héberger ces expatriés, mais après, l’État n’arrive pas à payer leur dû », regrette le secrétaire général de la Fédération, Yamadou Diallo. Parmi les 24 hôtels concernés, certains ont été payés à 50% pendant que d’autres n’ont rien perçu.
À en croire Yamadou Diallo, son hôtel, le Khasso, a hébergé 19 personnes pendant deux semaines. Selon lui, l’État lui doit encore. La nuitée dans les hôtels varie entre 25000 et 100.000 FCFA, suivant le standing.
Le directeur général adjoint du Tourisme et de l’Hôtellerie ne dément pas cette information. Il confirme d’ailleurs que les 24 promoteurs d’hôtels qui ont accepté d’héberger les expatriés se sont lourdement endettés, car l’État avait, selon lui, dit qu’il n’avait pas de liquidité au moment des faits. Mieux, en plus de la nuitée, chacun de ces 24 hôtels a pris en charge les trois repas normaux des rapatriés. Cela, pendant toute la période de confinement. « Les hôtels concernés ont préfinancé cet hébergement. Ils se sont endettés et ont procédé à la prise en charge des pensions complètes de chaque pensionnaire, c’est-à-dire la prise en charge de la nuitée et trois repas normaux », a confirmé Djibril Issa Niaré, directeur général adjoint du Tourisme et de l’hôtellerie du Mali.
Ce qu’il faut enfin retenir, c’est que la Covid-2019 a dangereusement impacté le secteur de l’hôtellerie à Bamako. Elle a mis en chômage un nombre important d’employés et même d’employeurs et faisant des dizaines d’hôteliers d’endettés. La situation ainsi créée prendra sûrement beaucoup de temps avant la normalisation, pronostiquent les hôteliers.
Enquête réalisée sous l’assistance de la CENOZO
Boureima Guindo
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