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Migration et proxénétisme au Mali:Qui protège donc ces réseaux de proxénètes ?
Publié le vendredi 18 decembre 2020  |  Le challenger
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© Autre presse par DR
Ville de bamako
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Les réseaux de proxénètes qui exploitent les naïves jeunes filles ne semblent nullement inquiétés au Mali. Ils opèrent au vu et au su de tout le monde en toute impunité, hormis quelques interpellations au cours d’opérations généralement financées par des ONG.

«Le Mali est un pays de transit de première importance pour les trafiquants d’êtres humains qui s’attaquent aux personnes les plus vulnérables». L’auteur de ce constat peu flatteur n’est autre que Jürgen Stock en personne, le tout puissant Secrétaire Général de l’Organisation internationale de la Police criminelle (Interpol).
Plus grave, renchérit Pasteur Hama, responsable d’une Eglise nigériane à Bamako, «Le Mali est un carrefour du trafic. Il y a plusieurs nationalités qui passent par le Mali. C’est une vérité.», nous confie le leader religieux au cours d’un entretien réalisé dans sa résidence située à Kobala-Coura à la périphérie de Bamako.
Le religieux, qui reçoit de façon régulière les victimes d’exploitation sexuelle dans son lieu de culte, évoque le miroir aux alouettes des recruteurs pour leurs proies. Ils leur font croire qu’ils les amènent en Malaisie ou autres destinations. «C’est un peu compliqué. Nous avons à faire avec un vaste réseau, où l’on ne sait qui est qui. Parfois, le réseau dispose même de relais au sein de l’ambassade du Nigéria à Bamako. Quand les proxénètes confisquent les documents de leurs victimes, ces dernières se débrouillent pour établir des pièces consulaires sur place. C’est un réseau qui fait beaucoup de mal aux jeunes filles», déplore-t-il.
Le Bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) au Mali dénonce sans ambages «un nombre croissant de migrantes nigérianes victimes d’exploitation et de traite dans l’industrie du sexe au Mali». Dans son rapport intitulé ‘’Les fièvres de l’or au Mali : profils et dynamiques migratoires dans les régions de Sikasso et Kayes’’, l’OIM estime que l’augmentation du nombre de travailleuses de sexe ‘’laisse également croire que des réseaux de trafic de femmes sont à l’œuvre au sein des régions concernées par cette étude’’. Toujours selon le rapport, l’appartenance de la quasi-totalité des travailleurs du sexe à la même nationalité (nigériane) peut constituer une première indication de l’existence de ce type de réseaux.

Quand les victimes se transforment en bourreaux
Le Coordinateur de l’Association War Against Human Traffinking Lutte contre le trafic des humains (WATH), Prosper A. Michael, nous décrit des réseaux bien structurés comprenant le recruteur, la maman ou Madame, l’hébergeur, le transporteur et le garde. «Tout est planifié», nous lâche un officier de police en service au commissariat de police du 1er arrondissement de Kayes. Selon lui, ces réseaux font voyager les jeunes filles en petits groupes dans des camionnettes ou des compagnies appelées «bana-bana». «Un premier groupe fait venir les filles au Burkina, un deuxième groupe s’occupe du transport jusqu’à Bamako. C’est un réseau qui fait gagner beaucoup d’argent», détaille sous anonymat cet agent, spécialiste de la traite des êtres humains.
Des enquêteurs de police et responsables d’associations s’accordent à dresser un profil des proxénètes. Les Mamans ou «Madame», disent-ils, sont généralement des anciennes prostituées. «Toutes les trafiquantes sont des anciennes victimes du trafic d’êtres humains. Quand elles finissent de payer, elles se convertissent en proxénètes pour recruter à leur tour des filles », nous fait savoir le Commandant de Police, Souleymane Niampougui, de la Brigade de répression du trafic de migrants et de la traite des être humains, une unité spécialisée de la police judiciaire à la Direction générale de la Police nationale. Un autre fait dans lequel excellent les proxénètes est l’utilisation des fausses identités.
Les trois dernières années, le cabinet du Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Kayes n’a comptabilisé que deux affaires de traite d’êtres humains qui ont été transmises à la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de la même ville. «La question n’est pas suffisamment documentée. Les victimes ne viennent pas se plaindre», souligne le Procureur Moussa Zina Samaké. Les unités de Police judiciaire placées sous l’autorité du Procureur de la République sont parvenues à extraire un groupe de jeunes filles des griffes d’une proxénète à Diboli. «Elle était gérante d’un bar et très connue dans la ville sous une fausse identité. Elle avait fait venir les villageoises pour les enrôler dans la prostitution. Lorsqu’elle a su qu’elle était recherchée, elle a franchi la frontière de l’autre côté du Sénégal et les filles qu’elle exploitait ont été rapatriées. Depuis 4 mois, on la traque sans succès en surveillant les frontières».
Le 25 novembre dernier, la Cour d’assises de Bamako a jugé deux ressortissants nigérians pour traite de personnes et pratiques assimilées. La Nigériane Chinyère Chukwumailo dite Fanta exploitait des filles à Niaoulémi, un site d’orpaillage situé dans le cercle de Kangaba. A la barre, elle a fait part de ses regrets avant de demander pardon aux victimes. La dame Chinyère Chukwumailo a été condamnée à 18 mois de prison et 10 ans d’interdiction de séjour au Mali.
Quant à Oscar James, poursuivi pour les mêmes infractions, il devrait accueillir à son adresse deux filles nigérianes dans un restaurant à Kalana. Alertées par certains passagers du car à bord duquel elles se trouvaient pour se rendre à Bougouni, les deux jeunes filles se sont confiées à la police. Venu les accueillir ne se doutant de rien, Oscar a été arrêté par les policiers. Devant la Cour, il déclara qu’il était seulement chargé d’accueillir les filles. La Cour l’a déclaré non coupable. Il a été acquitté de l’infraction de traite de personnes et pratiques assimilées, faits prévus et punis par les articles 1, 7 et suivants de la Loi n° 2012-023 du 23 juillet 2012 relative à la lutte contre le traite des personnes et les pratiques assimilées.

Les aveux d’un récidiviste, l’impuissance des autorités..
En 2019, le Commissariat de Police du 1er arrondissement de la ville de Kayes a arrêté la Nigériane Sofia John pour proxénétisme avant de la mettre à la disposition de la justice. Emprisonnée, elle a pu sortir pour reprendre ses activités, selon un officier de la Police judiciaire qui a requis l’anonymat. Quant à elle-même, impossible de la rejoindre. Elle serait rentrée au Nigéria, si l’on en croit son ex-copain, un certain Gassama.
Nous avons eu accès aux archives de la Police, notamment les procès-verbaux d’enquête préliminaire. «Les filles nigérianes viennent à Kayes sous mon adresse et restent avec moi pour pratiquer leur métier qui est la prostitution. Généralement, avant de prendre le départ, elles me demandent de payer les frais de route, qu’elles vont me rembourser après. C’est ce que je fais pour leur permettre de venir au Mali. Une fois arrivée, je leur prête la somme de 500. 000 F CFA pour qu’elles puissent envoyer quelque chose aux parents, se nourrir et payer la location. Quand elles commencent à travailler, elles me remboursent petit à petit jusqu’au dernier centime. Sans mentir, elles cherchent mon adresse et après les échanges par téléphone, je leur envoie de l’argent. 300. 000 F CFA par personne. En compensation, elles me remboursent 1. 000. 000 F CFA. Au cas où elles n’arrivent pas à rembourser, je prends contact avec les parents pour le remboursement », avoue Sofia aux enquêteurs de la Police.

Banalisation des violences et abus vécus par des migrantes
Parmi les filles qui pratiquent la prostitution contre leur gré au compte de Sofia, figure Bella Ogome. Dans sa déposition devant les policiers, elle a formellement accusé sa compatriote. Elle verse régulièrement l’argent à Sofia qui l’héberge sur recommandation de sa première patronne, Fina. Sofia John se défend : «C’est une fausse allégation. Certes, elle me remet de l’argent mais c’est au compte de la dame Fina (la proxénète qui est rentrée au Nigéria suite au décès de sa mère). Par ailleurs j’ai même envoyé, courant décembre 2018, une somme de cent cinquante (150 000) F CFA à sa patronne».
«Où sont les documents de voyage de Bella ?» A cette question de l’enquêteur, elle répond : «Sa patronne n’a pas donné ses documents de voyage».
Le témoignage de son copain, le sieur Gassama, la contredit pourtant : «Je reconnais que les 7 filles logent chez ma copine et pratiquent la prostitution à son compte. D’après elle, ces filles viennent du Nigéria à son adresse pour pratiquer la prostitution».
Sofia John est connue des archives de la Police de Kayes qui l’a déférée courant 2017 pour un cas similaire, mais elle parvient toujours à s’extraire des mailles de la justice. Une impunité dont bénéficient ces nombreuses proxénètes et leurs complices ?

Silence radio à l’Ambassade du Nigéria à Bamako
Le rapport de l’OIM sur «Les fièvres de l’or au Mali : profils et dynamiques migratoires dans les régions de Sikasso et Kayes » fait clairement cas de cette impunité. En effet, les éléments recueillis dans le cadre de cette étude révèlent l’existence de réseaux fortement établis qui agissent en toute impunité en raison du manque de contrôle et de représentation des autorités publiques au sein des zones minières. «Un aspect préoccupant est le témoignage de représentants des autorités qui banalisent les violences et les abus vécus par ces femmes, en indiquant que leur travail permettait de maintenir les orpailleurs sous contrôle. Cette banalisation des violences dont sont victimes les travailleuses du sexe aggrave leur vulnérabilité », nous édifie le rapport.
Selon le président de l’Association War Against Human Traffinking (WATH, Ndlr), Amara Cissé, le suivi des dossiers des trafiquants devant la justice est limité. «Plusieurs fois, la justice a laissé les trafiquants sortir de la prison sans nous aviser. La justice laisse partir les trafiquants sans indemniser les victimes. Il faut que la justice fasse son travail », renchérit Olubusayo Ibikunle, vice-président de WATH. Pour se constituer partie et recourir aux services d’un avocat, l’Association WATH suit actuellement de près à Kangaba, Bamako et Kéniéba, les dossiers de vingt cinq (25) proxénètes, dont vingt trois (23) femmes et deux (2) hommes.
De mars 2020 jusqu’à ce jour, nos demandes de rencontres avec des représentants de l’Ambassade de la République Fédérale du Nigéria à Bamako sont restées sans réponse.

Des rituels pour empêcher les filles de fuir

De nombreux témoignages recueillis au cours de nos différents entretiens font état de l’usage de supposés pouvoirs spirituels de ces animateurs de réseaux de proxénétisme empêchant les jeunes filles de leur échapper. Ils récupèreraient leur sang et leurs cheveux pour en faire des «gris-gris» (des talismans ou amulettes qu’ils leur donnent). La pratique consiste à faire peur aux filles en leur disant qu’elles risquent la folie ou de voir un membre de leur famille mourir si elles trahissent.
Selon une source policière, les filles sont soumises à un rituel qui vise à les soumettre à leur proxénète. «On leur dit que si elles arrivent à s’échapper, elles deviendraient folles et si elles parlent, elles subiraient la colère des fétiches. C’est pourquoi elles refusent de dire la vérité », explique la même source policière. En mars dernier, le commissaire du Commissariat de Police du 1er Arrondissement de Kayes a déclaré qu’une jeune fille de nationalité nigériane, souffrant manifestement de problèmes mentaux, errait à travers la ville.
Pasteur Hama reconnait que les «Mamans» font recours aux pouvoirs spirituels pour attraper les jeunes filles. «Ce n’est pas seulement physique», ajoute-t-il.
En mars 2019, le Bureau de l’OIM au Mali a publié un communiqué sous le titre : « Mali : des «rituels vaudou» gardent les victimes de traite en situation de servitude ». « Durant ces rituels, les victimes de traite sont forcées de signer un contrat moral avec les trafiquants qui financent leur périple. Le contrat est scellé par un prêtre spirituel ou «médecin indigène» que les victimes promettent de ne jamais dénoncer à la police. Elles promettent d’obéir à leur «madame» et de s’acquitter entièrement de leur dette et demeurent soumises par peur constante de représailles», détaille le texte de l’OIM.

Note de la rédaction

Cet article est la dernière partie d’une vaste enquête sur les réseaux de prostitution de femmes migrantes au Mali, réalisée dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication ». Cette publication intervient à la veille de la Journée internationale des Migrants, célébrée demain 18 décembre 2020 à travers le monde. La Journée des Migrants a été proclamée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à travers la Résolution A/RES/55/93. Elle commémore l’adoption de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Mis en œuvre par l’UNESCO dans huit pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée-Conakry, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal), ce projet est financé par le ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI) via l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS). Il vise à donner aux jeunes garçons et filles les moyens de prendre des décisions éclairées sur les questions migratoires grâce à un meilleur accès à une information de qualité. En conséquence, le projet contribue à renforcer la capacité des professionnels des médias de la sous-région à rendre compte de la migration tout en promouvant des normes et bonnes pratiques en matière de droits de l’homme et des approches sexospécifiques et inclusives en matière de couverture de la migration dans les pays ciblés.
L’enquête est l’aboutissement d’un parcours de formation sur les techniques de journalisme d’investigation en lien avec la migration, qui a bénéficié à plus d’une centaine de journalistes, et d’un appui au travail de terrain. Cette initiative entre par ailleurs dans le cadre du « Plan d’Action des Nations-Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité », mis en œuvre par l’UNESCO.

Chiaka Doumbia/Le Challenger
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