Au-delà de l’émotion suscitée par la mort tragique cette semaine de trois jeunes soldats près d’un avant-poste de la présence française au Mali, se pose désormais, de plus en plus ouvertement, une interrogation sur la stratégie et le bien-fondé de l’opération Barkhane au Sahel. Et si l’armée française était parvenue aux limites de cette grande campagne anti-djihadiste lancée en 2013 ?
En tout cas, cette nouvelle tragédie s’est à l’évidence produite au pire endroit et au pire moment pour l’État-major et les forces alliées. C’est à Hombori, dans ces confins du désert du Gourma, dans la zone des Trois Frontières séparant Mali, Niger et Burkina Faso que le véhicule des trois jeunes soldats français, tout juste déployés au Mali, a sauté. Victimes d’une mine artisanale, l’arme de prédilection des groupes présents dans la zone, cet épicentre du djihadisme sahélien où les affidés du Groupe État islamique et d’Al-Qaïda rêvent de la création d’un vaste califat.
Au pire moment et au pire endroit, car c’est précisément à Hombori, ce poste avancé tenu par les forces françaises et maliennes, que le Général Lecointre, chef d’État-Major des armées, s’était rendu en personne le 10 décembre dernier pour y vanter je cite : « l’amélioration de la sécurisation de la zone… »
La création de la force « Takuba » peine à se mettre en place
Le déploiement Barkhane, qui vient pourtant d’achever l’« Opération Bourrasque », une grande offensive conjointe dans la zone, est-il en train de s’enliser dans les quelques cinq millions de kilomètres carrés du Sahel ? Cette embarrassante question a déjà été directement posée au président Emmanuel Macron, promoteur-en-chef de l’engagement français dans la région. C’était lors du dernier G5 Sahel, en juin 2020, à Nouakchott en Mauritanie. En réponse, Emmanuel Macron avait mis en avant les offensives victorieuses contre le djihadisme, affirmant qu’il fallait même je cite « amplifier cette dynamique… ».
Pour autant, aujourd’hui, l’amorce d’un changement de stratégie n’est plus tabou, au sein même de l’armée française. Partir maintenant, certainement pas. Mais évoluer, ajuster, oui.
L’un des éléments de réponse : la création de la force « Takuba », soit 500 forces spéciales européennes déployées sur le terrain et combinées avec les unités du G5 Sahel. Pourtant, annoncée il y a plusieurs mois, le projet « Takuba » peine à se mettre en place, les partenaires européens traînant des pieds, à quelques exceptions près, devant l’initiative française.
Quid des intentions de la nouvelle administration américaine ?
L’avenir de la guerre contre le terrorisme au Sahel repose aussi maintenant sur les intentions de la nouvelle administration américaine. Le Pentagone était parvenu jusque-là à contenir les rageuses incohérences de Donald Trump qui, voulant mettre un terme à l’implication de Washington dans les guerres lointaines et sans fin, avait ordonné la fermeture de la nouvelle base de drones d’Agadez dans le nord du Niger, pourtant vitale aux opérations alliées…Pour l’instant, en ce début d’année 2021, les drones américains sont toujours là à sillonner le ciel de l’Afrique de l’Ouest.
Dans l’attente d’un prochain G5 Sahel, sans doute mi-février et, qui sait, de nouvelles annonces, de nouvelles stratégies, de nombreuses voix s’élèvent pour rappeler qu’aucune victoire ne sera jamais possible au Sahel si l’on s’obstine à se focaliser sur les conséquences et non sur les sources de la crise.