SociétéAu non de tous les miens « Tant que durera le jour, je n’oublierai pas. Quand viendra la nuit, je me souviendrai. » A. Charles Swinbure (Songs Before Sunrise)
Publié le mercredi 6 janvier 2021 | Le Républicain
Ainsi, Demba, tu t’en es allé, sans klaxonner ; sans que nous doutions de rien, le moindre du monde. La nouvelle fut si assommante que j’ai failli ne pas reconnaitre notre grande sœur Ami qui me l’a annoncé. Et quand le je l’ai identifiée, j’ai continué à lui demander quel Demba ? Quel Demba ? Jusqu’à ce qu’elle raccroche le téléphone. Tu nous as quitté furtivement, comme pour ne causer de la peine à personne. Mais ce que tu oubliais, ton absence sera pour nous, tes amis, tes compagnons d’un seul ou de plusieurs années, et bien sûr tes parents proches et lointains, ton absence, dis-je, sera pour nous tous une peine de condamnation à perpétuité. Tant tu étais attachant, serviable et même dévoué à tous les tiens.
Toi et moi, nous nous sommes rencontrés la première fois en novembre 1977, lorsque tu t’es présenté à moi comme étant le petit frère de Bakary, mon ami, ma porte d’entrée dans la famille Konaré. J’étais le tout nouveau Secrétaire général de l’ADEENSUP (Association des Etudiants de l’Ecole Normale Supérieure). Ce jour-là, tu portais une chéchia Cabral et arborait une barbe à la Ché Guevara. Une apparence très rassurante pour notre ancrage idéologique de l’époque. Le fait de venir te présenter à moi était une façon de me dire que tu te tiens à « ma disposition ». Je peux témoigner devant Dieu et les hommes, plus de 43 ans après, que cette promesse fut tenue, sans faille ni discontinuité ? Notre amitié a démarré au quart de tour. La petite bande, petit à petit mais très vite, s’est constituée : Samba Diallo, Hamady Sékou Diarra, Tièbilé Dramé, Madama Bouaré, alias Jéninkanyimi, Moussa Makan Camara, Seydou Guindo, (et certains autres à qui je demanderai d’excuser l’omission de leurs noms). A côté des activités au sein au sein de l’ADEENSUP et de l’UNEEM, nous avons continué à nous fréquenter même sur le plan privé. La famille de chacun était la famille des autres. Progressivement, et en raison surement de cette fréquentation quotidienne, et de notre âge qui me rapprochait de toi plus que de Bakary, tu m’as « confisqué » à cet dernier.
En 1979, nous avons bénéficié de bourse d’études de 3e cycle, toi pour la Russie (URSS, à l’époque) Samba et moi pour la France. Paradoxalement, ces années de séparation, ont contribué à nous rapprocher, à créer ce que notre grand Sidi appelait le Trio. Nous sommes devenus amis inséparables. Ni nos parcours professionnels individuels, ni la constitution de nos familles respectives, n’ont pu attiédir nos relations fondées sur l’estime, les valeurs communes d’intégrité, de respect, de solidarité et d’amour de la patrie. Nos épouses se fréquentent et s’estiment les unes les autres. Tu étais le chéri de Oumou, ma femme, j’étais celui de Fatim, celle de Samba, et Samba était le chouchou de Lalla, ta femme. Nous étions évalués à travers les prix de la Confiance, de la Méfiance et de la Défiance, prix que samba et moi t’avions décerné à perpétuité, car de nous tous, tu étais celui qui acceptait l’autodérision, pour souder le Trio. Nos familles nucléaires et élargies sont devenues communes. Tant de faits, tant de souvenirs ont cimenté et scellé cette amitié en béton dont tu étais l’armature.
Demba, ta serviabilité légendaire n’avait d’égal que ta loyauté, ton humilité et ton endurance. Combien de fois tu t’es délesté de tes derniers sous pour venir au secours des autres ? Incomptable. Combien de fois tu as offert à quelqu’un d’autre, ce que tu as acquis pour ton plaisir ou pour tes besoins propres ? Des milliers et des milliers de fois.
Demba tu n’as jamais voulu prendre ce qui ne te revenait pas, à fortiori prendre la part d’un autre. Bien au contraire, tu t’es toujours battu pour les faibles, les victimes et tous ceux qui te demandaient un secours ; à plusieurs reprises, tu as cédé volontiers à un autre ce qui te revenait de droit ou qui t’avait été offert par mérite. Tu rendais service dans la tradition de notre Prophète Muhammad (SAW), qui nous enjoignait de donner avec notre main droite sans que notre main gauche (à fortiori une tierce personne) ne se doute de rien.
Demba, pour servir tes prochains et ta patrie, tu déployais une débauche d’énergie qui déroutait ceux qui t’observaient. Des journées interminables, des nuits sans sommeil, des longs moments sans repos, ni même boire ou manger. Il t’arrivait d’être au bureau à 6 heures du matin et t’y retrouver encore à 22 heures. Tout cela, pour les autres ; pour la patrie. Il m’est arrivé de te dire à plusieurs reprises, qu’à l’heure du Jugement dernier, ton corps se plaindra auprès du Tout-Puissant pour avoir été sollicité à l’excès par toi. Tu souriais comme pour dire que tu acceptes, si c’est pour servir ton prochain.
Demba, tu étais pétri d’humilité, tu as vécu humblement, tu vivais d’humilité. Beaucoup parmi nous, en raison des hautes fonctions que ton frère a occupées auraient été plus « visible ». Mais comme un avion furtif de dernière génération, comme un sous-marin nucléaire, tu as disparu des radars, tout en étant à pied d’œuvre.
Demba, tu es inqualifiable. Tu es tout simplement unique.
Tu nous as comblés, Samba et moi, ainsi tant d’autres, d’une sublime amitié, une indicible amitié. A présent, tu nous accable d’un vide insondable. Avec comme seule consolation, le sentiment, le bonheur et la fierté d’avoir été tes amis.