Son aisance verbale, sa vivacité d’esprit et sa riposte rapide en faisait une négociatrice recherchée. Elle, qui d’ordinaire était réservée, devenait généreuse, expansive, généreuse, soudaine. Matou ne doutait plus d’elle, n’hésitait plus à secouer le cocotier gouvernemental.
Inscrite en licence 2 de droit public, Matou enfourchait sa première moto rutilante, recevait deux valises – une bourrée de jolis tailleurs, l’autre de dessous de femme, de flacons de parfum, de vernis, de chaines, boucles d’oreilles, brosses et dentifrices… Tout ce foisonnement d’objets, Matou les avait reçus sans avoir le temps d’exprimer la demande. Cette pléthore au lieu de la satisfaire aiguisait sa boulimie.
Sira épousait l’idée qu’une fille en quête de meilleur parti devait s’en mettre plein les yeux. Tout homme fin connaisseur de la grâce, de l’élégance, de l’intelligence, ne serait pas difficile à conquérir. Matou ne fût pas longue à parapher ce point de vue. Pendant des années, on ne voyait qu’elle dans les célébrations d’anniversaire, de mariage, de baptême où son charme ravageur lui permettait d’écraser n’importe quelle rivale.
La gent masculine caressait le désir de tremper sa plume dans l’encre de ses yeux pour inscrire sur son tee-shirt ou son grand boubou ces plus beaux mots de la langue française : « je t’aime ». Elle se contentait tantôt d’un sourire – pistolet, tantôt de relations frivoles, mais n’avait jamais enchaîné son cœur. La lutte, les combines pour s’attacher ses faveurs, redoublaient d’intensité. Certains brillaient par leur propension à dévaloriser tel ou tel concurrent en exhumant son passé présumé héréditaire ou par un jeu d’épreuves de force stimulées, d’autres faisaient étalage de la fortune de leurs parents et promettaient de la combler de bonheur. Les disputes éclataient entre rivaux, des coups de couteau ou de feu se chargeaient de régler les différends dans le sang et les larmes.
On ne parlait plus que d’elle. Les gens se demandaient si Matou était à la célébration, comment elle était habillée, qui avait arraché son cœur pour le glisser dans le sac à main qu’elle portait en permanence et qui se mariait avec l’habit. Histoire de vérifier si la robe, le pantalon ou le boubou bazin était de la même couleur que le cœur qui respirait dans le sac en attendant d’être étreint.
Sira faisait sienne la grande règle : « je dois veiller à que l’estime que ma fille a d’elle-même soit équilibrée. Si elle l’est, je dois veiller à ce que cette auto- estimation ne baisse jamais ». Elle était de cette catégorie de parents qui désirait que le comportement de leur progéniture correspondît à leur propre volonté. Autrement dit qui ne tenait nullement compte de la personnalité propre ou de la spontanéité de l’enfant… qui devenait comme un bâton que l’on casserait en deux.
Résistances brisées comme verre
Les profs de Matou se moquaient de la pauvreté de certains étudiants, de leur diction du métier de leur père, de la timidité de tel ou tel autre, et cela devant toute une classe qui riait. La foudre enseignante ne s’abattit pas sur Matou. Au contraire, elle était chouchoutée mais jouait à l’indifférence, forçant ainsi l’admiration de nombre de ses détracteurs pour sa « modestie ». Admiration dont elle avait besoin pour se sentir en sécurité. En vérité, elle craignait d’être le point de mire, d’être mise en avant. Matou fuyait les autres. Afin de ne pas prendre conscience de cette peur, de cette fuite, elle se donnait des raisons apaisantes auxquelles elle croyait : sa timidité.
Toutes ses résistances se brisaient comme verre contre la suggestion de siéger au bureau de l’association des élèves et étudiants en qualité de secrétaire à l’organisation. A sa charge, elle avait donné le meilleur d’elle-même dans un milieu affublé d’une culture qui plongeait l’individu dans les tracas, l’agitation, la compétition, l’épuisement et les querelles. Bref, la délinquance augmentait dans d’effroyables proportions. Les déviations, les obsessions sexuelles sous toutes leurs formes devenaient reines et l’argent roi. Elle ne s’était point laissée enrouler dans la spirale de ces multiples tentations, mais s’intéressait à tout, mue par l’envie d’apprendre pour comprendre et savoir pour pouvoir. Son aisance verbale, sa vivacité d’esprit et sa riposte rapide en faisait une négociatrice recherchée. Elle, qui d’ordinaire était réservée, devenait généreuse, expansive, généreuse, soudaine. Matou ne doutait plus d’elle, n’hésitait plus à secouer le cocotier gouvernemental. A la demande du secrétaire général qui avait toutes les peines du monde à obtenir quoique ce soit du ministère. Mise sur orbite, elle allait au-delà de toutes les espérances. Ces succès inespérés avaient fait dire à ses camarades que « le foulard a terrassé le bonnet ».