La décision de M. le procureur de la République Mamoudou Kassogué d’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé et de cinq autres personnalités est salutaire et mérite d’être soutenue.
En effet, la junte malienne, en ordonnant l’ouverture de cette formation judiciaire pour atteinte à la sûreté de l’Etat à l’encontre d’une poignée de civils parmi lesquels le chroniqueur Youssouf Mohamed Bathily dit Ras Bath, a pris une décision audacieuse et particulièrement enrichissante pour l’évolution du droit.
Si elle est maintenue, elle pourrait conduire à un retour de bâton mémorable, c’est-à-dire, une réaction imprévue en sens opposé qui entrera dans l’histoire judiciaire du Mali.
D’une part, il me semble que peu de personnes avisées sont susceptibles de croire à cette fable d’un coup d’Etat organisé par moins d’une dizaine de personnes, toutes civiles, dont il n’est même pas certain qu’elles se connaissaient personnellement.
D’autre part et surtout, le procès sera l’occasion d’un débat judiciaire particulièrement dense et instructif qui ne manquera pas de faire avancer d’un pas de géant la construction d’un Etat de droit au Mali.
En effet, il y aura au moins un avocat malien ou français, qui ne manquera pas de contester la légalité de poursuites engagées par le procureur de la République contre des civils pour préparation d’un coup d’Etat imaginaire sur instructions des auteurs militaires … d’un coup d’Etat bien réel lui puisqu’il a été effectué le 18 août 2020 !
On se délectera lorsqu’un avocat demandera la comparution du Colonel Assimi Goïta, pour lui demander de s’expliquer sur les conditions exactes de démission du président Ibrahima Boubacar Keïta.
On saura ainsi pourquoi ce dernier qui avait déclaré en 2013 que “Kati ne fera plus peur à Bamako, en tout cas pas à Koulouba” s’est, à la surprise générale, retrouvé avec son Premier ministre à Kati et non pas à Koulouba ou Bamako pour y enregistrer un discours diffusée sur l’ORTM peu après minuit, soit à une heure insolite pour une annonce de démission.
De même, il sera intéressant de savoir pour quelle raison le président de la République a, non seulement démissionné de ses fonctions, mais aussi a pris l’initiative de dissoudre l’Assemblée nationale et d’abroger la décision de nomination de son Premier ministre et des ministres.
On savourera la demande du même avocat ou d’un autre tendant à la comparution du Premier ministre Boubou Cissé, des membres de son gouvernement, du président de l’Assemblée nationale Moussa Timbiné, du chef d’état-major de l’armée, le général Abdoulaye Coulibaly, afin de savoir dans quelles circonstances, ils ont décidé le même jour d’abandonner leurs domiciles et leurs familles respectives pour aller camper dans un dortoir à Kati et pour n’en sortir qu’à la suite des pressions exercées – devinez sur qui – par la CEDEAO, l’Union Africaine, l’ONU, l’Union européenne, la France et plusieurs autres Etats amis.
On se régalera lorsque le Colonel Assimi Goïta sera invité à informer la cour d’assises sur les circonstances dans lesquelles il a signé en qualité de Président du Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP), un organe non prévu par la Constitution du 25 février 1992, un document intitulé « Acte Fondamental N° 001/CNSP du 24 août 2020 » daté du 24 août 2020 dont l’article 41 précise :
« Avant l’adoption d’une Charte pour la transition, les dispositions du présent Acte qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles de la Constitution du 25 février 1992.
Toutefois, les dispositions de la Constitution du 25 février 1992 s’appliquent tant qu’elles ne sont pas contraires ou incompatibles avec celles du présent Acte ».
Autrement dit, il serait jouissif de prendre connaissance des explications du Colonel Goïta sur le motif pour lequel un document établi par un groupe d’officiers putschistes a une autorité supérieure à celle d’une Constitution adoptée par plusieurs millions de citoyens maliens qui déclare expressément que « tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien » (Article 121 de la Constitution).
Il serait tout aussi intéressant d’être informé sur les raisons pour lesquelles le président de la République Ibrahima Boubacar Keïta et son fils Boubacar Keïta restent encore séquestrés au domicile du père plus de quatre mois après sa « démission » de ses fonctions !
En outre, on prendra plaisir à écouter la réponse du procureur de la République lorsqu’un avocat accusera la justice malienne d’avoir deux poids et deux mesures, en permettant à un putschiste et son complice de prêter serment en qualité de vice-président et de président devant la Cour suprême, en appliquant les instructions d’un ministre de la Justice dont la décret de nomination est anticonstitutionnel et en poursuivant d’une main de fer quelques civils dont l’un, Youssouf Mohamed Bathily dit Ras Bath, n’a fait qu’exercer son droit d’expression en critiquant « ouvertement les autorités de la Transition », notamment au sujet de l’insécurité à Farabougou, de leur gestion de la crise sanitaire ou encore de la nomination de gouverneurs militaires.
Par ailleurs, Maître Zana Koné, l’avocat de M. Ras Bath, a déclaré à l’AFP le lundi 28 décembre 2020 que son “client se porte bien, il n’est pas maltraité mais il a le crâne rasé, ses cheveux longs (de type rasta) sont partis” .
Les règles régissant la garde vue ne prévoyant pas de rasage des personnes gardées à vue, M. Ras Bath a nécessairement été victime d’un traitement dégradant et humiliant en violation, non seulement de l’article 3 de la Constitution, mais aussi de l’article 1er de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de New York du 10 décembre 1984 à laquelle le Mali a adhéré le 26 février 1999, de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Mali a adhéré le 16 juillet 1974 et enfin de l’article 5 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples que le Mali a ratifié le 21 décembre 1981.
le procureur de la République étant ainsi informé de l’existence de cette infraction grave commise pendant une garde à vue, on n’a aucun doute sur le fait qu’il ne manquera pas d’ouvrir une information judiciaire pour sanctionner le ou les qui l’ont commise.
En définitive, la décision courageuse du ministère public d’ouvrir une information judiciaire pour atteinte à la sûreté de l’Etat est salutaire et doit, à juste titre, être soutenue par tous les maliens, épris de justice.
Il doit être encouragé à tenir bon jusqu’à l’aboutissement de son action à savoir la poursuite de tous les auteurs et complices de coups d’Etat ou de putsch commis depuis le 21 mars 2012.