Huit ans que l’opération Barkhane est déployée au Mali... Un pays gangréné politiquement. Dans cette guerre asymétrique menée par de fanatiques islamistes, la France, qui déplore 50 morts, est face à des choix stratégiques.
Un groupe du bataillon de chasseurs à pied traque les groupes armés terroristes (GAT) dans leur sanctuaire, près de la forêt de Tofagala, au Burkina Faso, en novembre 2019.
Un groupe du bataillon de chasseurs à pied traque les groupes armés terroristes (GAT) dans leur sanctuaire, près de la forêt de Tofagala, au Burkina Faso, en novembre 2019. (PHOTO PQR/LE PARISIEN/MAXPPP)
2021 marque le huitième anniversaire de l’opération Barkhane sans que la situation sécuritaire et politique au Mali ne se soit améliorée. Au contraire, elle s’est fortement dégradée : un putsch a renversé en août dernier un président élu mais incapable, et porté au pouvoir un quarteron de colonels qui ne semblent pas mettre fin à la corruption. Quant à la guerre contre les GAT, les groupes armés terroristes dans le jargon militaire, elle n’a jamais cessé malgré le renfort français de 600 hommes, en majorité légionnaires, qui ont ratissé la région des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger en infligeant des pertes dans les rangs djihadistes. En vain.
Drones et avions versus miroirs et bergers
Dans cet affrontement de petit niveau, l’ennemi refuse le contact frontal avec les soldats français, et se disperse comme une volée de moineaux dès qu’il est prévenu de leur arrivée. Si Barkhane s’appuie sur des drones et des avions de reconnaissance, les islamistes, eux, utilisent des miroirs pour donner l’alerte et payent des bergers pour surveiller la progression des convois. Des renseignements qui permettent aux GAT d’enterrer sur leur route des IED. Ce sont ces engins explosifs improvisés qui ont causé la majorité des pertes françaises. 50 morts à la fin 2020. Les cinq derniers militaires tués pendant les fêtes ont sauté sur une mine artisanale. Non discriminantes, ces IED tuent des civils mais détruisent aussi les blindés français et maliens, comme dans la plupart des guerres asymétriques menées par les fanatiques islamistes.
Un désengagement progressif
Après que la ministre des Armées ait annoncé une réduction « très probable » des effectifs, à commencer par les renforts, un désengagement progressif pourrait s’accompagner d’une nouvelle articulation du dispositif français au Sahel. Dans un schéma optimiste, les armées africaines occuperaient le terrain, soutenues par des Forces Spéciales, des aéronefs français et les moyens de renseignement américains. À condition que les soldes, les primes, et les munitions des soldats maliens, au bord de la révolte, ne soient pas détournés par leurs officiers accusés de rester à l’arrière. En fait, au Mali, l’armée française remonte son « rocher de Sisyphe », sans espoir d‘éradiquer un ennemi qui prospère sur l’extrême pauvreté du pays et l’incurie du gouvernement malien.
« French bashing »
Sur le plan militaire, Barkhane remporte des victoires. Mais pour gagner la guerre, il faut que les autorités du Mali développent leur pays. En huit ans, Paris n’a pas réussi à imposer au gouvernement malien l’application des accords d’Alger alors que, sans la présence militaire française, ce régime se serait effondré face aux djihadistes. En fait, le péché originel des difficultés françaises au Mali est la conséquence de l’option stratégique hasardeuse choisie à Paris dans l’euphorie de l’opération coup de poing Serval en 2013. François Hollande déclenche l’année suivante l’ambitieuse opération Barkhane, 4 500 hommes déployés dans le désert de cinq pays. Une mission impossible. Héritant d’une situation déjà établie, Emmanuel Macron a essayé depuis d’impulser un sursaut côté africain. Au point de leur parler « cash » au sommet de Pau, début 2020, pour qu’ils fassent cesser, malgré leur inertie, le « french bashing » contre Barkhane. Il y a du mieux mais le problème n’est pas réglé. Au lieu de plier bagage après Serval en 2013, quitte à renforcer si nécessaire au coup par coup le dispositif déjà existant dans la région, la présence militaire française, aujourd’hui critiquée sur place parce qu’étrangère, sert de prétexte à la propagande islamiste pour enrôler des éleveurs peuls en conflit ancestral avec les cultivateurs dogons. Du coup, l’opération Barkhane s’est retrouvée confronter à de nouveaux combats, sur fond de guerre tribale attisée par une partie des Touaregs et des terroristes algériens affiliés à Al Qaïda, à l’origine du conflit en 2013 et désormais alliés aux rebelles peuls.
Une analyse risquée
Conséquence : de la frontière algérienne au Nord, le champ de bataille s’est étendu au-delà de la boucle du fleuve Niger, qui représentait une « ligne Maginot » naturelle pour contenir les GAT au Burkina Faso, plus d’un millier de kilomètres au Sud. Le président tchadien n’a pas envoyé de troupes supplémentaires et les pays européens censés dépêcher des forces spéciales pour le renfort « Katuba » traînent les pieds depuis des mois. Ils restent septiques devant le credo français qui brandit une menace terroriste et un déferlement migratoire en Europe si le régime malien s’écroulait, alors que les attaques terroristes ont été perpétrées essentiellement sur le continent par des terroristes originaires du Maghreb et du Proche Orient.
Une analyse risquée car nul ne sait ce qu’il pourrait arriver dans ce cas-là. Pire. Des responsables maliens continuent de parler avec des chefs rebelles peuls et touaregs, comme jadis le régime algérien avec ses groupes terroristes pour mettre fin aux années de plomb. Un exemple imité en Afghanistan par les États-Unis qui quittent le pays et négocient avec les Talibans, sans avoir demandé au départ son avis au gouvernement afghan. Au Mali, c’est le contraire qui se produit. Bamako est en contact avec ses ennemis, sans que Paris, qui pourtant les combat en première ligne, ne soit vraiment dans la confidence et se retrouve un jour devant le fait accompli, ne souhaitant pas légitimement que les terroristes qui ont fait couler le sang se retrouvent un jour à une table de négociation.