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Soumeylou Boubèye Maïga à propos de la lutte contre le terrorisme: » La combinaison hardie de plusieurs facteurs aux plans local, sous-régional voire continental est nécessaire pour parvenir à une sécurité collective «
Publié le mardi 19 janvier 2021  |  L’Indépendant
Conférence-débat
© aBamako.com par AS
Conférence-débat du parti ASMA-CFP sur la Transition
Bamako, le 28 Novembre 2020, l`Alliance pour la Solidarité au Mali - Convergence des Forces Patriotiques, (ASMA-CFP) a animé une conférence-débat sur la Transition.
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Ancien Directeur général de la Sécurité d’Etat, ancien ministre de la Défense, ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga jouit d’une réputation de fin connaisseur de la problématique sécuritaire, celle relative au terrorisme sahélo-saharien en particulier, qui le fait solliciter dans les foras internationaux et sur les antennes des grands médias. Dans l’entretien que nous vous proposons ci-dessous, il explique son approche pour » une paix durable et définitive dans les zones en proie aux violences « . Elle passe par » un Etat efficace « , l’indispensable articulation entre actions militaires, de développement et de gouvernance locale, des réponses sous-régionales comme la FC-G5 Sahel et l’Initiative d’Accra, au-delà un projet de sécurité collective à l’échelle continentale sous l’égide de l’Union Africaine.




De nos jours, il semble qu’aucune région du continent africain ne soit épargnée par le terrorisme. Qu’est-ce qui explique cette expansion de la menace terroriste?

L’accroissement des foyers de tension est une des tendances inquiétantes de l’évolution de la situation sécuritaire sur le continent. Ces dernières années, la recomposition des groupes affiliés à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et la percée de l’État islamique en Afrique centrale, dans le bassin du Lac Tchad et au Sahel a démontré que l’Afrique est une zone d’intérêt majeur pour la nébuleuse terroriste. Les raisons de cette diffusion de l’insécurité liée à la présence et à l’activité de groupes armés terroristes sont multiples. Premièrement, ces acteurs sont parvenus à recruter au sein des populations locales, en particulier rurales, en se faisant l’écho de la colère et de la frustration de celles-ci contre les mauvaises pratiques en matière de gouvernance de l’État.

Deuxièmement, la faiblesse de nos outils de défense et l’absence d’une véritable sécurité collective au niveau continental créent les conditions d’entretien et de propagation de cette menace. Tout cela est accentué par la très grande porosité de nos frontières, qui fait que les groupes passent d’un espace à un autre sans grande difficulté.

Troisièmement, cette expansion semble également participer d’une volonté des groupes armés terroristes d’étendre un peu plus la ligne de front. Depuis 2018, l’action des groupes terroristes en Afrique de l’Ouest s’est fortement accélérée, dans certains cas à l’appui de combattants étrangers terroristes, débordant du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Nigeria vers le Tchad, le Benin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire.

La même tendance est observable sur le reste du continent, notamment en RDC, au Mozambique, en Somalie, au Kenya, en Tanzanie. Ce qui devrait nous amener à nous interroger sur la pertinence du choix des zones d’intervention de structures ad hoc comme la Force multinationale mixte de lutte contre Boko Haram (FMM) ou encore la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S). Pour ce qui nous concerne, il me semble inéluctable d’envisager l’implication de pays comme la Côte d’Ivoire et Sénégal qui, en tant que voisins immédiats, peuvent être objectivement considérées comme des pays du champ. Mais plus généralement de mettre en place dans le cadre de la CEDEAO des arrangements et des articulations permettant de renforcer la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière organisée et d’empêcher que les discontinuités territoriales constatées ne servent de poches aux groupes terroristes. De même, nous devons continuer d’insister sur le renforcement capacitaire de la MINUSMA.

Malgré la lutte implacable menée par les Forces internationales en appui aux armées nationales contre les groupes terroristes au Sahel, ces derniers parviennent toujours à se relever et à porter des coups. Qu’est-ce qui rend la lutte antiterroriste aussi complexe dans cette région ?

La lutte contre le terrorisme est un combat qui doit s’inscrire dans la durée et les résultats des efforts entrepris peuvent prendre du temps avant d’être perceptibles. Ce n’est pas une guerre classique au terme de laquelle une seule action militaire suffirait à produire des résultats irréversibles. En outre, au Sahel c’est un phénomène qui s’est développé et s’est enraciné dans des problématiques locales.

Les groupes agissent dans des contextes où les États souffrent d’un déficit de gouvernance, d’une maîtrise insuffisante de la cartographie sécuritaire et d’un contrôle limité sur une grande partie de leurs territoires, en particulier les espaces périphériques et frontaliers. Le développement du terrorisme dans la région est donc à la fois le résultat de facteurs structurels, de vulnérabilité, et d’éléments déclencheurs, qui se sont progressivement mis en place dans la région au moins depuis plusieurs décennies.

Les groupes terroristes exploitent ces situations pour avoir un ancrage local dans les localités où ils sont actifs. Cela rend particulièrement difficile la lutte armée contre le terrorisme. Dans un tel environnement, le contre-terrorisme doit être pensé à travers une approche globale qui inclut différents types de réponses allant des approches sécuritaires à la prise en charge au niveau micro local des attentes des populations.

Aujourd’hui, d’ailleurs, de plus en plus, les réponses, qu’elles soient nationales, régionales, ou internationales, essaient de prendre en compte ces différents aspects dans leurs articulations. Nous avons besoin d’atteindre rapidement un niveau plus élevé de coordination et de centralisation.

Toutefois, le combat des valeurs et la réponse doctrinale face aux djihadistes doivent relever de chaque Etat sur son sol, tenant compte de ses réalités socio-historique pour ne pas fragiliser les gouvernants en accreditant involontairement la thèse de leur inféodation à des puissances étrangères qui veulent transposer chez nous leurs normes sociétales.

En plus des activités des groupes armés terroristes, l’on assiste aussi à une multiplication des milices armées et des groupes dits d’autodéfense respectant très peu les règles d’engagement. Qu’est-ce qui explique cette prolifération, qui s’apparente à certains égards à une forme de sous-traitance de la sécurité ?

L’émergence de groupes d’auto-défense et milices traduit une défaillance de l’autorité régulatrice et seule détentrice légitime de la force armée : l’État. C’est lorsque ce dernier n’arrive pas à remplir convenablement son rôle régalien que d’autres cherchent à s’y substituer.

La circulation ainsi que la disponibilité accrue des armes de pointe et de fabrication artisanale, leur importation clandestine et la récupération d’armes auprès des forces de défense et de sécurité à la suite d’affrontements ont fortement contribué à exacerber le phénomène. La croissance du banditisme en partie liée à la prolifération des armes légères et de petit calibre a contribué à aggraver l’insécurité.

Dans le Centre du Mali, le Nord du Burkina Faso et l’Ouest du Niger, des milliers de civils ont perdu la vie au cours des dernières années, une partie de la population contrainte à l’exil et une autre condamnée à vivre dans l’angoisse. En outre, en plus du coût humain élevé et des conséquences humanitaires dramatiques, ces violences ciblées ont eu d’importantes répercussions sur la cohésion sociale. L’un des grands défis qui attendent les gouvernements du Sahel, singulièrement le Mali, c’est celui de la reconstruction du tissu social à travers un processus de réconciliation.

Les mécanismes existent, qui pourraient nous permettre de marquer une présence militaire accrue sur le terrain. Cela suppose notamment d’aller vers une approche pragmatique prenant en compte les autres composantes militaires, dont les mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation ainsi que les mouvements non-signataires.

En plus des efforts de recrutement en cours, nous pouvons avancer de manière plus volontaire vers l’effectivité des Unités Spéciales Anti-Terroristes pour absorber le potentiel disponible au niveau des mouvements, ainsi que vers la création d’un corps de garde-frontières pour lutter contre les différents trafics.

Si on évalue le volume de forces dont nous avons besoin et les capacités que nous devons développer pour faire face à l’éventail des menaces et en tenant compte de la taille de notre territoire, nous devons faire admettre de consacrer autour de 4% de notre PIB au Secteur Paix-Sécurité sur environ 5 ans. Parce que comme le disait François Hollande au moment de l’Opération Serval, la défense passe avant les déficits.

Parallèlement à cette situation, les trafics en tous genres ne font qu’augmenter. Y-aurait-il un lien de cause à effet entre toutes ces activités criminelles ?

Cette question est très importante car aujourd’hui la tentation est grande d’attribuer l’expansion et l’intensification de la violence dans la région aux seuls groupes terroristes. Or, il faut rappeler que de façon historique, le Sahel a été une zone de transactions commerciales et de trafics, reliant l’Afrique du Nord à la partie subsaharienne du continent.

Les groupes terroristes en s’installant dans la zone ont fait preuve de pragmatisme en s’accommodant de l’existence des activités criminelles présentes dans la région. Bien que ces différents acteurs aient des agendas différents, les liens qui se sont tissés par la suite entre les réseaux criminels et les groupes terroristes ont fatalement contribué au développement et à l’exacerbation de la violence dans certaines localités.

En outre, le faible niveau de connaissances sur les itinéraires de trafics, des groupes armés et d’autres entrepreneurs de la violence constitue l’une des failles de la gouvernance du territoire dans une grande partie du Sahel qui est un espace stratégique, quasiment vital pour la criminalité transfrontalière organisée.

Aujourd’hui, des flux de trafics quittent depuis le Bassin du Lac Tchad pour transiter par la Zone des 3 frontières pour remonter par différents itinéraires sur l’Europe et même des pays du Golfe via l’Afrique du Nord, profitant du vide administratif créé par l’action des groupes terroristes et des milices qui sont partie prenante dans les réseaux de l’économie criminelle.

A votre avis, quelle peut être la solution pour le retour d’une paix durable et définitive dans ces zones en proie aux violences ?

Le retour d’une paix durable dans notre région passe par plusieurs choses. Tout d’abord, il nous faut construire des États efficaces, capables d’instaurer de véritables dialogues avec toutes leurs composantes. Ceci est extrêmement important pour (re)légitimer l’action publique et la rendre conforme aux aspirations de nos populations.

Au Mali, par exemple, 2012 et 2020 ne doivent pas être considérés uniquement comme de » simples » accidents de parcours mais nous pousser à réfléchir sur les contours, nouveaux, de la gouvernance. Il faut que les acteurs politiques acceptent de remettre en cause un certain nombre de leurs postulats de base, en d’autres termes sortir des approches dogmatiques improductives. Ensuite, il est clair que le caractère multidimensionnel de l’insécurité à laquelle nous sommes confrontés appelle à une réponse holistique. Mais le dire ne suffit pas. Il faut avoir une véritable vision et surtout beaucoup d’audace pour réussir l’indispensable articulation entre les actions militaires, de développement et celles visant à améliorer la gouvernance, en particulier au niveau local.

Enfin, il faut être conscient qu’aucun de nos pays, pris individuellement, n’est en mesure de faire face tout seul à cette menace. C’est pourquoi, il faut saluer les différentes initiatives prises à l’échelle régionale, notamment la FMM, la FC-G5S et l’Initiative d’Accra, pour contenir l’hydre terroriste. Cela dénote d’un engagement certain à trouver des solutions collectives à des problèmes transfrontaliers et transnationaux.

Cependant, ces structures ad hoc ne doivent pas nous faire perdre de vue le projet de sécurité collective à travers une approche plus intégrée ainsi qu’un renforcement progressif des capacités de la CEDEAO et de l’Union africaine conformément à l’architecture africaine de paix et de sécurité pour évoluer vers de vraies alliances militaires sur la durée.

Entretien réalisé par Saouti Labass HAIDARA

Source: l’Indépendant
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